Je me réjouis que, comme
moi, vous pensez que notre foi chrétienne commune induise un
certaine vision de la dignité humaine justifiant que l'on se
mobilise dans les affaires de la cité, au point de manifester dans
la rue. Vous vous êtes mobilisé contre la loi élargissant aux
personnes homosexuelles les droits liés au mariage civil. J'ai bien
entendu que les organisateurs des deux grandes manifestations ont
insisté pour dire que cette mobilisation ne relève pas de
l'homophobie. Peut être aviez-vous au début du débat un gêne à
l'évocation de la possibilité que deux individus de même sexe
éprouvent l'un pour l'autre une tendresse et un amour qui soit aussi
fort et sincère que la tendresse et l'amour qui fondent depuis
plusieurs siècles le mariage chrétien entre une épouse et un
époux. Mais j'ai bien entendu que depuis vous considériez les
droits garanties à tout type de couple par le PACS comme suffisants,
et donc acceptables et légitimes. Si vous vous êtes mobilisés,
c'est pour défendre la dignité de la personne humaine, et surtout
celle des plus faibles, en particuliers des enfants. Vous êtes aussi
contre l'exploitation du corps des femmes. L'argent et la prétention
d'un droit à l'enfant ne peuvent justifier que l'on instrumentalise
l'utérus d'une femme. Comme moi, vous êtes contre la grossesse pour
autrui.
Après la manifestation,
beaucoup d'entre vous êtes frustrés par les réactions qu'elle a
provoquées. Vous espériez que le gouvernement écoutent vos
revendications. Vous ne vous attendiez pas évidemment qu'il recule
sur tout. Nous sommes bien tous d'accord que la rue ne gouverne pas.
Mais si vous avez jugez utile de manifester dans la rue contre une
loi proposée par des députés récemment élus, c'est que vous
considériez qu'une telle mobilisation d'une partie des citoyens de
notre pays devrait induire un dialogue constructif quant bien même
une majorité aurait voté pour des élus qui portent un programme
opposé. Je me réjouis que vous ayez cette vision apaisé et
participative de notre démocratie. Je me réjouis que dorénavant
quand une mobilisation similaire en nombre aura lieu, serait-ce pour
des idées contraire aux vôtres, vous serez favorables à ce que les
élus de la République, que vous ayez voté pour eux ou non,
engagent un dialogue constructif avec les représentants de ces
manifestants. Je constate d'ailleurs, et le déplore, que le
gouvernement actuel n'a pas cette vision de la démocratie, et vous
traite avec mépris. J'imagine que, au moins rétrospectivement, vous
déplorez le mépris avec lequel ont été traité les manifestants
qui vous ont précédé dans l'opposition à la politique de ce
gouvernement et qui, le 30 septembre 2012, manifestaient contre la
ratification du traité européen instituant l'austérité comme
règle de gouvernement dans notre pays. De même déplorez-vous
certainement le mépris avec lequel ont été traité ceux qui ont
manifesté contre les réforme des retraites du gouvernement
précédent.
Du côté des média,
beaucoup d'entre vous se sentent insultés par la manière avec
laquelle ils ont rendu compte de votre mouvement. Vous avez été
surpris et blessés par l'image de vous que l'on a renvoyé, pleine
de stéréotypes et d'amalgames. Comme si vous n'aviez été qu'une
masse de bourgeois réactionnaires haineux. Évidemment aucun de vous
ne correspond à cette caricature. Vous étiez divers. Chacun de vous
avez une vie riche, complexe. Vos opinions sont nuancées. Votre
mobilisation ne procède pas d'une hargne viscérale, mais d'une
décision raisonnable et mûrie. Sûrement le saviez vous avant, mais
dorénavant vous en êtes encore plus persuadés : il faut être
vigilant sur la manière avec laquelle les média rendent compte de
certains événements. Vous serez critiques quand on vous fera des
caricatures aussi vulgaires des participants à d'autres
manifestations. Vous ne verrez plus dans les manifestations de
défense des droits des travailleurs des syndicalistes aigris et
corporatistes. Comme vous, ces gens-là ont une vie riche et
complexe. Leurs opinions sont nuancées. Leur mobilisation ne relève
pas d'une « grogne » sangliérine, mais d'une réflexion
mûrie et raisonnable. De même quand on vous parlera de
manifestations dans des quartiers populaires, vous ne penserez pas à
ces « jeunes » comme à des « sauvageons »,
mais comme à des jeunes gens qui ont la même jeunesse que vos
enfants, et qui, comme eux, se révoltent face à l'injustice et
rêvent de bonheur pour eux et les leurs. Vous avez aussi été
surpris de découvrir en rentrant que des événements violents ont
eu lieu en marge de cette manifestation. Puis outrés que ces
événements marginaux soient montés en épingle. Du coup, vous
serez dorénavant vigilant quand, pour rendre compte d'un mouvement
social, en France ou à l'étranger, on ne montre que des images
violentes. Vous prendrez l'habitude de demander à ceux qui y
étaient. De même que ceux parmi vous qui ne font pas confiance aux
chiffres donnés par les services de l'état pour évaluer l'ampleur
de la mobilisation, ne leur font pas subitement confiance quand ils
sont contesté par les organisateurs d'autres types de
manifestations...
Vous vous êtes mobilisés
non pas pour une haine mesquine et médiocre contre des gens qui
seraient différents de vous. Vous l'avez affirmé haut et fort :
cette manifestation n'est pas homophobe. Vous aviez à cœur
l'intérêt général, le droit des plus faibles, en particulier
celui des enfants. En ce sens votre engagement est noble. C'est
l'exercice de votre citoyenneté, qui est votre devoir. Vous concevez
tout à fait que l'on peut ne pas être d'accord sur le fait que
cette loi soit un danger pour les enfants. C'est pourquoi vous avez
eu recours à des arguments rationnels. Vous n'avez pas brandi la
Bible, mais le Code Civil. Vous n'avez pas fait référence à une
loi divine, mais à des références anthropologiques qui peuvent se
discuter. Vous avez aussi montré, et peut être découvert, une
France diverse, qui peut se mobiliser sur une même question, avec
des références religieuses et philosophiques divergentes. Vous avez
fait vivre la France républicaine et laïque, côte à côte avec
des musulmans, avec des protestants, avec des athées, avec des
juifs, et même avec des personnes homosexuelles. Vous avez fait
vivre l'idée républicaine selon laquelle ce n'est pas la religion,
les origines ethniques, ou l'orientation sexuelle qui rendent
français, mais la volonté commune de vivre ensemble. Et en effet
vous avez montré que vous aviez la volonté de vivre avec des
musulmans, des juifs, des protestants, des athées et des personnes
homosexuelles dans une nation qui partage les mêmes références
anthropologiques.
C'est avant tout les
enfants que vous défendiez. Afin qu'ils ne soient pas
instrumentalisés par les adultes. Qu'ils ne souffrent pas des choix
posés par les adultes autour d'eux. Vous voulez les garantir contre
la précarité et l'arbitraire affectifs. Vous n'êtes pas de ceux
qui pensent que l'amour est précaire par essence. Ce sont les
égoïsmes qui le précarisent. C'est un combat que nous menons dans
notre intimité, car chacun d'entre nous sommes traversés par des
égoïsmes dont nous voyons bien qu'ils déstabilisent nos amours.
Mais cet enjeu ne se limite pas à l'intimité. Si vous êtes sortis
dans la rue, c'est que vous pensez aussi que des décisions
collectives peuvent favoriser soit la stabilité de la fidélité et
de l'amour, soit encourager l'illusion du plaisir facile et libre des
égoïsmes. Parmi ces décisions collectives figurent les lois, mais
aussi les réalités économiques. Des cartes publiées dans « Le
mystère français » de Todd et Le Bras montrent une très
forte corrélation entre chômage et occurrences des familles
monoparentales (1). Cette corrélation géographique ne doit pas
tenir à une causalité directe. Nous voyons bien que les régions où
il y a un fort chômage sont aussi les régions où ceux qui
travaillent acceptent plus facilement des conditions de travail
difficile, par peur du chômage justement. Or la doctrine sociale de
l’Église (2) est ferme pour dire que le travail doit être un lieu
de promotion de la dignité humaine, et non une fin. C'est le sens du
jour chômé institué par le récit de la Genèse, le Sabbat des
juifs et le repos dominical que nous avons eu à défendre l'an
dernier. Le travail doit donc laisser le temps d'élever ses enfants.
Le travail doit donc assurer une stabilité à la vie des familles.
Le travail ne doit pas être un lieu de souffrance, non seulement
parce qu'aucun travailleur ne le mérite, mais aussi parce que les
parents sont des travailleurs et que leur souffrance se répercuterait
sur leur enfant. Alors je pense que vous condamnez aussi fermement le
projet de loi qui est en discussion cette semaine, qui prévoit de
changer le code du travail de telle sorte que la précarité devienne
la règle dans le travail. En particulier les employeurs pourront
exiger plus de mobilité des salariés (3), donc des familles
déstructurées parce que séparées géographiquement, ou
désorganisées dans ses rythmes de vie. Certainement entendez-vous
dire que cette loi permettra de maintenir de l'emploi car les
entreprises ont besoin de ce genre de flexibilité. Mais si pour vous
le droit des enfants prime, alors je vous fait confiance pour
considérer que le droit des enfants à grandir dans des familles
stables, où l'amour comme les conditions de vie ne sont pas
précaires, prime. Vous proposiez un dialogue au gouvernement pour
trouver des solutions qui rendent justice aux revendications des
personnes homosexuelles sans sacrifier le droit des plus faibles. De
même, vous penserez qu'un dialogue est nécessaire pour trouver des
solutions qui permettent que les productions et les services dont
nous avons besoin soient réalisés, mais que le droit des plus
faibles doit être le critère qui nous guide pour discerner entre
les différentes manières d'organiser le travail et le partage des
richesses produites qui existent. J'imagine donc que vous serez aussi
très nombreux aux manifestations du 9 avril contre ce projet de loi.
J'ai entendu aussi que
vous repoussiez absolument le principe de la « grossesse pour
autrui ». Vous savez qu'il n'en est finalement pas question
dans la loi finale. Mais vous êtes vigilants parce que cela a été
proposé pendant les débats. Et vous avez raison. Du coup, vous
continuerez à vous mobiliser pour toutes les mesures qui rendront
tout à fait impossible, dans les faits et dans les principes, le
recours à une telle exploitation du corps des femmes. Or le combat
contre la grossesse pour autrui relève des mêmes principes que le
combat contre la prostitution. Il s'agit dans un cas comme de l'autre
de l'exploitation du corps des femmes. Dans un cas comme dans
l'autre, ceux qui y sont favorables et qui y ont recours prétendent
qu'ils ont un droit imprescriptible, et que c'est pour eux la seule
manière de l'obtenir : obtenir des enfants portant son matériel
génétique dans un cas, avoir une relation sexuelle dans l'autre
cas. Dans les deux cas, notre conviction que l'humain n'est pas que
matière mais avant tout spiritualité voit bien que l'essence même
de ce dont il s'agit est pervertie. Dans la filiation, ce n'est pas
seulement le partage d'un matériel génétique qui importe, mais
c'est surtout l'accueil gratuit d'un enfant. Une relation sexuelle
n'est pas la mise en action mécanique des organes sexuels entre deux
êtres humains, mais une rencontre réciproque qui ne peut être que
gratuite. Peut être avez vous entendu parler des associations
abolitionnistes, c'est à dire celles et ceux qui luttent pour abolir
la prostitution, qui ont pris position contre la grosses pour autrui
depuis plusieurs années. Aujourd'hui ces associations demandent une
loi d'abolition de la prostitution qui entre autre prévoirait une
pénalisation des clients de la prostitution. Une telle pénalisation
des clients de la prostitution rendrait tout à fait impossible la
reconnaissance du recours aux mères porteuses, car c'est le même
refus de l'instrumentalisation du corps d'autrui qui serait inscrit
dans la loi de notre République. Conscients de cette profonde
solidarité entre la cause du refus des mères porteuse et la cause
de l'abolition de la prostitution, je vous fait donc confiance pour
faire autant d'effort pour participer à la manifestation qu'organise
les associations abolitionnistes le samedi 13 avril.
Personnellement, je n'ai
pas été convaincu de la dangerosité de la loi sur le « mariage
pour tous ». Mais je respecte et estime la mobilisation à
laquelle vous avez participé. Je déplore le mépris avec lequel
beaucoup vous traite. Je vous fait confiance pour ne pas me traiter
avec ce mépris quand je participerai à des manifestations pour la
défense des droits des plus faibles, quant bien même vous penserez
que les raisons que nous invoquerons ne sont pas convaincantes. Je
vous ai écouté et je continuerai à vous écouter pour essayer de
vous comprendre. Pourquoi pensez-vous que le fait que deux hommes ou
deux femmes élèvent un enfant soit si dangereux pour lui ?
Jusqu'à présent je n'ai pas été convaincu, ni par les arguments
« anthropologiques », ni par les références faites à
notre commun patrimoine spirituel qu'est la Bible. Je sais aussi que
vous m'écouterez, et que vous écouterez vos frères chrétiens,
quand nous essaierons de vous mobiliser sur le droit des étrangers à
vivre dignement dans notre pays, comme les prophètes nous y
invitent. Certainement serons-nous donc beaucoup plus nombreux aux
cercles du silence. J'imagine que la prochaine fois qu'il y aura une
initiative pour l'annulation de dettes odieuses, comme cela avait été
le cas pour le Jubilé de l'an 2000 à l'invitation de Jean-Paul II,
les catholiques se compteront par millions dans les . Je vous fait
confiance pour vous mobilisez contre le système prostitueur que
Benoît XVI condamnait en 2011 comme « un crime contrel'humanité ».
Adelphiquement,
Philippe Gastrein
1. « Le mystère
français » Hervé le Bras et Emmanuel Todd, Ed. Seuil – La
République des idées ; pp. 190 et 193.
2. Rappelé encore
récemment dans le message du pape Benoît XVI à l'occasion de la
journée mondiale pour la paix, le 1er janvier 2013
(http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/messages/peace/documents/hf_ben-xvi_mes_20121208_xlvi-world-day-peace_fr.html):
« Le
modèle prévalant des dernières décennies postulait la recherche
de la maximalisation du profit et de la consommation, dans une
optique individualiste et égoïste, tendant à évaluer les
personnes seulement par leur capacité à répondre aux exigences de
la compétitivité. Au contraire, dans une autre perspective, le
succès véritable et durable s’obtient par le don de soi, de ses
propres capacités intellectuelles, de son esprit d’initiative,
parce que le développement économique vivable, c’est-à-dire
authentiquement humain, a besoin du principe de gratuité comme
expression de fraternité et de la logique du don. »
3. Article 7 de l'Accord
National Interprofessionnel signé le 11 janvier 2013, que la loi en
débat est censé reprendre mot pour mot.
1 commentaire:
Bravissimo !
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