jeudi 9 mai 2013

Marcha contra el paro y la precariedad 5: Arrivée à Carthagène

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7 Mai – Cartagena



Après un week-end passé à Paris pour participer à la marche pour la 6ème République, je rejoins avec ma belle-famille Cartagena pour assister à l’arrivée de la marche. De la marche de Paris, j’ai ramené un drapeau du Front de Gauche que nous laissons flotter au côté du drapeau républicain. Nous sommes plus d’une centaine à attendre la marche à l’entrée de la ville, entre le port industriel et la promenade sur la mer du centre-ville. Carthagène est un vieux port au fond d’une grande calanque. Son site rappelle un peu La Ciotat, ou même Marseille.  D’un côté de la rade, trois navires militaires, de l’autre côté les grues d’un chantier naval. La marche arrive. Ils sont aujourd’hui plus d’une centaine. Comme à chaque entrée de ville, le comité d’accueil et la marche se mêlent dans les embrassades, les applaudissements et les slogans.


 Puis nous prenons ensemble la direction du parlement de région. Arrivée dans le centre-ville piétonnier, la marche rassemble plusieurs milliers de manifestants. Nous traversons la rue commerçante. Les gens qui nous regardent passer sont pour la plupart des gens aisés, ou plus. Nous ne ressentons pas d’antipathie de leur part, ou rarement, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre. Peu suivent l’admonestation scandée de temps en temps par les manifestants « Unite, no nos mire ! » (Rejoins-nous, ne nous regarde pas), mais beaucoup hochent la tête en assentiment devant nos slogans et pancartes. Nous ne suivrons pas jusqu’au bout la marche. Il nous faut rentrer donner à manger à notre fille qui est déjà fatiguée. Mais je suis heureux d’avoir pu rejoindre ces amis de marche pour leur arrivée. Comme à Murcia au milieu des milliers de manifestants du 1er Mai, ils ont été ici accueillis dignement. Au-delà des conséquences concrètes que pourrait induire cette marche, elle est déjà une réussite en un sens : celles et ceux qui l’ont faite ne sont plus des individus humiliés par le chômage, isolé les uns des autres et confrontés au regard méprisant ou condescendant de leur entourage, ce sont des femmes et des hommes qui se savent être des êtres humains en marche, qui ne sont pas seuls face à ce à quoi elles/ils sont confrontés, cette tricherie des dominants qu’ils nomment crise.

Entre les étapes de la marche contre le chômage et la précarité que j’ai suivi d’Archena à Murcia, la marche pour la 6ème République et cette arrivé à Cartagena, j’ai l’impression cette semaine d’avoir participé à une seule et même marche qui a lieu à travers toute l’Europe. Une même marche qui peut avoir la forme de petit ruisseau comme quand nous étions une vingtaine sous la pluie torrentielle, voire même avoir la forme d’une rembla à sec, en surface, comme quand je discutais il y a quelques mois avec Antonio, conseiller municipal IU d’Archena, qui me paraissait tellement fatigué et sans perspective dans son action politique, puis prendre la forme de fleuves puissants qui mènent vers l’immensité des océans.   
 



Marcha contra el paro y la precariedad 4: 1er Mai à Murcia

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1er Mai 2013, de Molina à Murcia



Avec cinq camarades d’Archena, nous retournons à Molina pour prendre le départ de la marche. Nous sommes déjà plusieurs centaines. Des bus sont descendus de Yecla pour rejoindre celles et ceux qui ont marché tous ces jours. Et puis beaucoup sont montés depuis Murcia. Les drapeaux de la République espagnole sont omniprésents. Aucun drapeau bicolore de la monarchie et du franquisme. Des slogans antifascistes retentissent quand la marche passe devant un bar qui affiche ce drapeau.



La marche rejoint la deux-fois-deux-voies qui mène à Murcia. Le ciel est clair, d’autant plus qu’il a été lavé par la pluie de la veille. Il fait frais, mais le soleil chauffe vite. Dès la première cote, les vestes tombent, et la marche s’étale. Le nombre paraît d’autant plus conséquent alors. Je chemine avec Antonio, le conseiller municipal IU d’Archena. Lui aussi s’étonne de l’ampleur des manifestations contre le mariage pour tous en France. La discussion nous mène à parler du chômage et du travail au noir dans les champs. En fait, même là les espagnols ont du mal à s’employer. Ce sont plutôt des immigrés qui sont engagés par les propriétaires des fincas. Par réflexe, je lui fais la remarque qu’il s’agit du vieux schéma de mise en concurrence des travailleurs. Il me détrompe. Le salaire horaire pour les immigrés est en moyenne de 5€. Ce qui fait 200€ pour une semaine de quarante heures, soit 800€ mensuel! Mais beaucoup d’espagnols acceptent de travailler pour 4 voire 3€ de l’heure. C’est que les espagnols ne savent plus travailler aux champs. Ils ont désappris. Antonio me raconte alors comment son grand-père était chevrier. Il  avait quelques dizaines de chèvre. C’était un travail qui supposait toute une « culture ». Lui-même a appris et saurait s’occuper des bêtes, mais ses enfants et petits-enfants n’en ont aucune idée. Il me raconte encore que son père avait deux cochons, quelques chèvres, des poules et des lapins. Ils habitaient au centre-ville d’Archena, à quelque pas du marché couvert actuel. Et tout le monde avait ainsi ses bêtes à la maison. Il faut s’imaginer l’odeur dans les rues d’Archena des années 1950 ! Quand ils coupaient les branches des citronniers et des abricotiers dans les huertas, ils les ramenaient pour donner le feuillage aux chèvres. Puis ils donnaient les branches aux lapins qui grignotaient l’écorce. Enfin, le bois qui restait séchait vite et servait pour le feu de cuisine. Aujourd’hui les branchages de taille des vergers sont brulés sur place, les lapins sont des grosses bêtes aux yeux rouges élevés en batterie et les enfants ne savent pas que les poules ont des plumes…

Puis je lui demande ce que c’est que d’être le seul conseiller IU dans une petite bourgade de la province de Murcia. Beaucoup de travail, surtout au début. Les veilles de conseils municipaux, il veillait jusqu’à quatre heure du matin pour préparer les dossiers et ses interventions. Surtout qu’à l’époque où il a commencé, c’était le boom immobilier, et le conseil municipal se réunissait souvent sur les questions d’urbanisme. Maintenant, c’est plus calme. Et puis, il a pris des habitudes. Il a appris beaucoup de choses. Il a moins besoin de travailler ses dossiers. Heureusement, parce que physiquement, il ne pourrait plus. Tout ce travail au conseil municipal est éreintant. Il est forcément en minorité. Parfois à 8 contre 9, avec les 5 conseillers PSOE et les 2 « divers droites », contre les 9 du PP. Mais aussi souvent tout seul. Et puis, depuis une réforme de Zapatero, certaines décisions peuvent être prises par la majorité sans débat au conseil municipal. Plusieurs décisions clef d’urbanisme ont été prises là. Alors Antonio a commencé à engagé des actions en justice. C’est une véritable rupture. Jusque là, il y avait un accord tacite entre partis : on pouvait tout se dire, au conseil pendant les délibérations, ou même par déclarations publiques. Une action en justice, c’est très mal vécu. Y compris parmi les militants IU, beaucoup étaient réticents. Il s’agit de dire que la maire, qui a remporté entre 60 et 40% des suffrages, mérite d’aller en prison. A Archena, tout le monde est cousins à un degré ou un autre… Il s’agit de deux projets immobiliers, où la mairie à donner le permit de construire, malgré un avis négatif de l’architecte officiel. Ce sont des cas de prévarication car une décision a été appliquée en sachant qu’elle était illégale. Seulement la municipalité a réussi à retourner la situation. Là où les plans déposés prévoyaient une vingtaine de logement, ce sont des centaines d’appartement qui ont été livrés. Du coup les raccordements d’électricité et d’eau ne sont pas suffisants. Aux personnes qui s’en plaignent une fois les logements livrés, la mairie répond que c’est la faute du procès en cours qui a fait obstruction au bon déroulement des travaux. Je me fais la réflexion en l’écoutant à quel point il faut soutenir humainement celles et ceux qui se mettent en avant dans nos actions, que cela soit en tant que porte-parole ou bien en tant qu’élu.

Vers midi, nous arrivons au rond-point qui marque l’entrée de la ville de Murcie. C’est là que confluent notre marche avec celle venu du Nord-Est de la Province. J’aperçois de loin Cayo Lara, leur porte-parole actuel de IU, entouré de micros. Au fur et à mesure que nous avançons dans l’avenue principale, nos marches se confondent avec le défilé syndical du 1er mai. Il y a du monde. Les discussions que nous avions avec Tete à propos du sens de cette marche prennent un autre relief au milieu de cette foule. Nous étions une cinquantaine tout au plus à Archena. Parfois même une vingtaine sous la pluie battante tranversant les huertas et leurs hameaux. Mais aujourd’hui, avec le beau soleil dans le ciel lavé par les pluies de la veille, nous sommes plusieurs dizaines de milliers. Je ressens la fierté que certainement partagent celles et ceux qui ont fait la route depuis Yecla. Elles/ils sont au chômage. Méprisés par beaucoup, et trainant jour après jour un sentiment de culpabilité même vis-à-vis de leurs proches qui pourtant savent comment elles/ils en sont arrivé.e.s là, elles/ils ont réalisés une prouesse physique et mentale et ce retrouvent aujourd’hui entourés des milliers de celles et ceux qui disent haut et fort que « ceci n’est pas une crise, mais une tricherie ».




Je retrouve dans la marche David Hernandez Castro, membre du parti « Ecosocialistas de laRegion de Murcia », que l’on m’avait présenté la veille. Nous reprenons la discussion entamée hier. Son parti a longtemps été un courant au sein de IU qui a essayé de faire accepter les principes de l’écoscocialisme, en particulier ceux qui ont trait à la démocratie interne. Depuis un an, ils ont décidé de se constituer en parti à part entière, pour pouvoir peser dans le fonctionnement de IU comme un partenaire parmi les autres. Il s’agit à la fois de constituer un parti à l’échelle nationale, qui fonctionne selon les principes écosocialistes de la démocratie « assembléaire » et de constituer une formation qui favorise l’entrée des militants de conscience écologiste dans IU, jusqu’à présent dominé par le PCE. En effet, en Espagne, contrairement à la France et à l’Allemagne, les électeurs sensibles aux enjeux de l’écologie sont quasiment confondus avec celles et ceux qui ont tendance à voter pour la gauche comme IU. Il n’y a pas vraiment d’environnementalistes de droites ou de verts-libéraux favorables au « capitalisme vert ». Los Verdes sont déjà engagés dans des coalitions électorales avec IU dans certaines communautés, comme Murcia, mais ne sont jamais membres à part entière de IU. Pour David, l’écosocialisme repose sur deux piliers : l’écologie sociale et la démocratie participative. En conséquence, l’organisation interne des écosocialistes doit correspondre à ce qu’elles/ils proposent pour la société. C’est pourquoi elles/ils sont très critiques contre les parti « traditionnels », en particulier ceux qui dans IU prétendent œuvrer pour un changement de système mais continuent de fonctionner de manière pyramidale, avec délégations de pouvoir. Les écosocialistes comptent elles/eux se réunir en congrès annuellement, contrairement au PCE et à IU qui renouvellent leurs instances et leurs orientations que tout les trois ou quatre ans. Lors des congrès écosocialistes, il n’y aura pas de délégations de vote. Chaque adhérent, et même sympathisant, pourra voter et participer aux débats, soit en étant présent, soit via des moyens de communications à distance. Pour l’instant, les écosocialistes étaient limités à la province de Murcia. Elles/ils commencent tout juste à étendre leur organisation sur l’ensemble de l’Espagne. Nous verrons comme cela marchera à l’épreuve des faits. David est directement impliqué dans la conceptualisation et l’organisation de la démocratie participative interne. Il écrit d’ailleurs en ce moment même une thèse sur le sujet. En discutant avec lui, j’ai l’impression de me retrouver dans la position de l’arroseur arrosé. Plusieurs fois ces derniers jours, je parlais au gens que je rencontrais dans la marche de l’écosocialisme en train d’être formulé par le parti de gauche en France. Et je découvre une forme d’écosocialisme peut être plus avancé sur certaines questions, en tout cas qui pourrait nous donner des leçons, à nous qui à l’évidence fonctionnons (encore) comme un parti traditionnel. En tout cas les écosocialistes de Murcia affirment sans détour que la démocratie participative fait partie intégrante du projet de l’écosocialisme, et que les organisations qui le portent doivent mettre en pratique en leur sein cette forme de partage du pouvoir. David m’enverra des liens de ses publications. Beaucoup de documents de haute portée philosophique et théorique à étudier en espagnols !

Le défilé du premier mai arrive à son terme, devant le vieux pont sur le Segura. Pepe me dit que d’après la surface occupée par la manifestation, nous serions plus de 50 000, là où d’habitude entre 2 et 3000 personnes se réunissent pour le 1er Mai, 5000 les années de grande mobilisation. Le soir je lirai sur les journaux (de gauche) que nous étions 15 000. Nous étions là, et nombreux, c’est ce qui compte. Beaucoup de gens portant le T-shirt vert appelant à la grève générale de l’éducation pour le 9 mai. Des drapeaux de toutes les organisations de IU, mais aussi hors de IU la Izquierda Anticapitalista (le NPA espagnol), et quelques groupes socialistes. Et évidemment les syndicats dont on m’a fait une explication sur leur positionnement. Les commissions ouvrières (CC.OO, l’équivalent de la CGT française, historiquement proche du parti communiste), la CNT avec ses fameux drapeaux noir et rouge, la CGT (qui est une scission de la CNT), et l’intersindical avec qui je marchais, qui a longtemps était surtout présent parmi les enseignants (sous le nom de STERM) et qui s’élargit à toutes les catégories professionnelles (d’où son nouveau nom). Je retiendrai la courte discussion avec une délégation des CC.OO. réunissant des travailleurs sénégalais. Je leur demandais s’ils ne souffraient pas du racisme. Il est ici tellement présent que ceux d’entre eux qui ont été en France disent n’en pas ressentir chez nous. Les drapeaux de la République dominent partout. Ici, on demande l’établissement de la troisième République. Les slogans les plus souvent repris sont : « Si se puede, no lo quieren » (Si on peut, ils ne veulent pas), « nous ne paierons pas leur dette avec l’éducation, la santé, … », « ceci n’est pas une crise, c’est une tricherie/guet-apens », etc.  

A suivre... 
 

mercredi 8 mai 2013

La théorie du genre expliquée à mon père.

En réponse à une pétition demandant de retirer l'enseignement de notions de la théorie du genre à l'école, car la théorie du genre "nie[rait] l'altérité et la différence des sexes". 

A propos de la théorie du genre, je suis très content qu'elle soit enfin introduite dans les programmes de l'éducation nationale. Il faudrait aller beaucoup plus loin, pour une éducation à une sexualité respectueuse et égalitaire, comme en Suède.
On pourrait discuter des détails deS théorieS du genre (car il y en a plusieurs), et je peux comprendre qu'on y soit opposé, ou que cela gêne. Encore faudrait-il ne pas prêter aux théories du genre des thèses qu'elles n'ont jamais soutenu. Dire que la théorie du genre nierait l'altérité et la différence des sexes est aussi bête que de dire que la théorie de Newton est la cause de la chute des pommes. Parler de genre, c'est évidemment reconnaître qu'il existe un genre. Nous faisons la distinction entre le sexe, qui relève du biologique, et le genre, qui relève du culturel. Ce faisant, nous ouvrons le champs des libertés de chaque personalité. Bien entendu que le genre fait partie de l'identité de chacun. Nous sommes notre corps. Mais nous habitons notre corps, et dans les jeux possibles que nous donnons à nos corps se situent nos libertés. Ce que nous nommons "culture patriarcale" donne trop d'importance à la différence des sexes. Les rôles de chaque individu dans une société patriarcale sont essentiellement determinés par son sexe. Or ce qui me caractérise, c'est certes mon sexe, mais aussi bien d'autres dimensions de ma biologie, comme de mon histoire. L'histoire évolutive de notre espèce ne se caractérise-t-elle pas par l'encéphalisation de plus en plus poussée, c'est à dire des capacités cognitives toujours plus grandes, que les arcs réflexes determinent de moins en moins? On pourrait lire notre histoire évolutive, l'humanisation, comme l'histoire d'une libération progressive vis à vis du biologique "sympathique", c'est à dire des systèmes biologiques automatiques, pour développer toujours plus les possibilités qu'offrent une conscience de soi (ce qui reste biologique puisque notre conscience procède d'un substrat biologique, mais du biologique autodeterminant).

 Pour faire une disgression qui sort du champs strict des théories du genre (et ce que je te présente relève déjà d'une théorie du genre parmi d'autres, en lien avec la biologie évolutionniste. Pour mention, il existe des formes plus sociologiques de la théorie du genre), on pourrait placer l'humanité à une troisiéme étape de la libération de la matière. La vie a engagé la première étape: l'autoréplication de l'ADN libère de la dégradation de l'information causée fatalement par la seconde loi de la thermodynamique. L'encéphalisation, puis l'émergence de la conscience permet dans une deuxième étape le développement de comportements complexes qui ne relèvent pas d'automatismes réflexes prédeterminés génétiquement. Nous sommes à l'orée d'une troisième libération vis-à-vis de la matière: vite résumée, donner la conscience non plus à l'échelle d'un organisme, mais à celle de la biosphère. Dans la perspective de la théologie de Teilhard de Chardin, il s'agit de donner une conscience à l'Univers. Cette troisième libération procède de la complexification progressive de notre culture. Elle se développe dans trois directions: une direction temporelle, une direction sociale et une direction individuelle. Au niveau temporelle, c'est une forme d'imortalité des idées qui a commencé dès l'invention de l'écriture, et peut être avant, avec la mise en place de tradition orale, de rites, du langage parler en somme. La dimension sociale me parait être le plus grand défi du moment historique que nous traversons, et justifife mon engagement politique. Il s'agit de trouver un mode de conscience collective où l'humanité cesse définitivement d'agir comme un groupe prédateur, mais comme un élément conscient et planificateur de son écosystème. Ce processus évidemment a commencé dès la transition néolithique. Mais à bien considérer les choses, l'ultralibéralisme relève d'une régression dangereuse de ce point de vue. Enfin la dimension individuelle relève de la transition la plus délicate pour accomplir cette troisième libération. Nous pourrions aboutir à la fin du processus à une forme de vie de type fourmi. Nous aurions alors échoué la troisième libération de la matière. Le niveau de l'espèce où s'exprime entièrement toute la liberté potentielle, c'est la personne de chaque individu.

L'état patriarcal de l'évolution de nos sociétés conservent l'archaïsme de réduire chaque individualité à son sexe. Je répète, le critiquer ne revient pas à nier le sexe de chacun. Les dispositifs que nous avons inventer pour voler ne nient ni la loi de la gravité ni notre constitution physique qui nous fait plus lourd que l'air. Pour autant il est possible à l'humain de voler. Les potentialités qu'une femme peut accomplir dans une vie sont quasiment aussi nombreuses que que celle d'un homme, et vice versa. La société patriarcale interdit, de manière coercitive violente souvent, par conditionnement culturel sinon, aux femmes de vivre ce qui est permit aux hommes, et vice versa. C'est cela que la théorie du genre dénnonce, et c'est cela que le féminisme entend changer. Il ne s'agit pas de transformer les hommes en femmes. La solidarité dans une société libère chacun des faiblesses de sa constitution physique ou mentale. Donner la liberté à chacun d'explorer et de développer ses potentialités, cela n'a rien à voir avec la négation des caractéristiques propres de chacun, en terme de constitution physique ou de personalité psychologique. Il ne s'agit pas d'obliger les uns les autres à devenir ce qu'ils ne sont pas, encore moins ce qu'ils ne peuvent pas devenir du fait de leurs limites. L'apprentissage d'une langue induit des plasticités cérébrales, le cerveau change. Cela suppose aussi des dispositions, une oreille musicale, etc. Quand on décide d'apprendre des langues à tout les enfants, certains y seront doués, et en profiteront pour s'épanouir dans des métiers polyglotes; d'autres auront toujours de la peine à communiquer dans une autre langue. Il y a bien assez de métier où la maîtrise des langues n'est pas essentielle pour leur permettre de s'épanouir. De même, la pratique d'un sport transfome le corps de celui qui le pratique. Les muscles se renforcent, les tendons et les os se solidifient, jusqu'au cerveau où certaines aires cérébrales se développent préférentiellement. Là aussi, quand on propose à tous les enfants de découvrir une large palette de sport, il ne s'agit pas d'obliger chacun à développer le même système musculaire, et de développer les mêmes agilités. Il s'agit de la même chose quand nous introduisons les jeunes aux différences de genre, et à la liberté qu'ils ont à l'intérieur de leur corps sexué. Nous n'avons pas l'intention d'obliger les garçons a être maternant s'ils deviennent pères, ou d'interdire les filles à devenir mère. Nous leur indiquons qu'ils et elles sont libres de choisir dans une palette de possibles.

Comme j'espère te l'avoir montré, la théorie du genre est une forme de libération. Libre à toi de penser ce qui te parait juste. Libre à toi de signer ce qui te semble correct. Néanmoins il y a des affirmations qui sont fausses. Si ton opposition à la théorie du genre venait du fait que celle-ci nierait la différence, une telle réaction était justifiée à mon avis aussi car il s'agirait d'une violence, mais elle est infondée. La théorie du genre est une ouverture à l'altérité. Elle donne accès aux multiples altérités qui traversent le genre humain, sans se restreindre à la seule différence des sexes, qui en est une parmi d'autres, peut être la plus profonde.

mercredi 1 mai 2013

Marcha contra el paro y la precariedad 3: de Archena hasta Molina de Segura.



(Précédemment: 
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 30 avril 2013,

Petit-déjeuner au soleil devant la salle multi-sport. La fatigue se voit sur les visages des marcheurs de la veille. La nuit ne leur a pas permit de tout à fait récupérer. Les camarades d’Archena préparent le petit-déjeuner, puis des bocadillos avec les restes de charcuterie de la veille, pour emporter.
La voiture aux haut-parleurs arrive. El canto a la libertad retentit à nouveau. Nous nous mettons en marche, direction la mairie. Marco, qui est né et a grandit à Lyon avant de revenir se marier à Murcia, rouspète : « il y a même pas un conseiller municipal PSOE ». La mairie d’Archena est tenue par la droite, le PP, depuis 18 ans. Sur 17 conseillers municipaux, 5 sont PSOE, et 1 IU, Antonio. Antonio était là la veille pour accueillir la marche. Aujourd’hui, il est au travail.

Dans les rues, comme hier, beaucoup nous applaudissent. Beaucoup aussi nous regardent de travers. Marco continue de râler :  « Ici, à Archena, il y a 2000 chômeurs [sur 15 000 habitants], s’ils étaient là, à la marche, ça ferait une autre impression… ». Je lui demande, d’après lui, où sont-ils ? Il ne sait pas trop. Il n’a pas d’explication. Il me répète ce qui se disait à la réunion de préparation : beaucoup sont au chômage, mais travaillent, au noir.

Devant la mairie, Coi, l’organisateur de la marche, et Pépé, porte-parole du collectif d’accueil sur Archena, font un discours. Sur la façade de la mairie, une immense banderole demande « Agua para todos ! » (De l’eau pour tous). Il s’agit d’une revendication de la province de Murcie, soutenue par le PP, pour obtenir des volumes plus importants de transfert d’eau depuis le nord de l’Espagne. Cette eau supplémentaire, à ce qu’on m’a dit, ne servira pas vraiment à l’agriculture irriguée. Les manques que connait l’agriculture seraient facilement résolus par la rénovation des canaux déjà existants pour éviter les pertes. Mais il s’agit de permettre encore plus de tourisme de masse, plus de piscines individuelles pour les résidences secondaires, et plus de golf… Je me fais la remarque que cette municipalité PP revendique la solidarité pour l’eau au niveau national et qu’on pourrait détourner ses mots d’ordres et rajouter toute une liste sur la banderole : « Un logement pour tous ! », « Un emploi digne pour tous ! », « de la lumière pour tous ! », « éducation pour tous ! », etc. J’en fais part aux compagnons de marche. L’idée plait…

Nous quittons le centre-ville d’Archena. Des nuages commencent à cacher le soleil. Nous traversons le vieux pont métallique sur le Segura. Nous passons à travers un quartier où ont été construites plusieurs écoles publiques. Les élèves et les enseignants sont dehors dans la cours, et nous saluent avec force cris et applaudissements. Le moment est très émouvant. Pépé me dira qu’il avait prévenu les enseignants pour faire coïncider la récrée avec le passage de la marche. En fait, nous avions un quart d’heure de retard, mais la récré, apparemment, a duré un peu plus longtemps aujourd’hui…



Le dernier quartier d’Archena que nous traversons est La Al Gaida, d’où vient l’association de femmes qui avait préparé le repas de la veille. C’est jour de marché dans ce quartier pauvre. Nous sommes applaudis.
Nous quittons définitivement Archena. Nous traversons les huertas qui bordent le Segura. Les citronniers sont en fleur. Mais la bonne odeur d’Azahar ne s’exprime pas totalement. Les nuages couvrent le ciel maintenant. Le vent s’est levé. Et quelques gouttes commencent à tomber. Quand nous traversons un petit hameau, la pluie s’intensifie, le tonnerre gronde. Celles et ceux qui marchent depuis Yecla sont bien équipés de poncho et d’imperméables. Ceux d’Archena, comme moi, étaient partis en chemise. Des parapluies s’ouvrent et se distribuent. Mais la pluie devient torrentielle. Nous nous protégeons encore sur quelques centaines de mètre sous la banderole de la marche. Puis, surtout à cause du vent, tout le monde cherche refuge dans le hameau. Avec les porteurs de la banderole, je me retrouve le long d’un mur qui nous protège du vent. La dame qui habite là nous invite à rentrer au sec chez elle. Elle sort toutes les serviettes éponges qu’elle peut pour que nous nous séchions. Elle donne même le Tshirt de son fils à un de nous qui était particulièrement mouillé.



L’orage passe. Nous repartons sous les dernières gouttes, protégés par les sacs poubelles que nous a donnés notre hôte d’une averse. Nous traversons Ceuti sous une petite pluie avec seulement un petit arrêt devant la mairie. Quatre personnes nous attendaient à l’entrée du village, et nous laissent à la sortie. Nous retraversons le Segura et rentrons dans Lorqui. Marco recommence à marmonner : « Lorqui, c’est la seule mairie PSOE du coin. On va voir si le maire et l’équipe municipale va nous recevoir. » La place de la mairie nous apparaît vide. Il pleut. Ici, c’est pire que du blizzard. Marco me disait que, les jours de pluie, sa femme refusait d’envoyer leurs enfants à l’école. Quand nous commençons à monter les marches de la mairie, un petit homme avec un pull jaune sort. C’est le maire, me dit-on. Nous faisons une photo avec lui en haut des marches, puis commence une discussion. Je ne m’intéresse pas trop à ce qui se passe. Avec ce qui se dira par les uns et par les autres, je crois que la mairie comptait nous laisser nous reposer dans les sous-sols de la mairie, une sorte de garage pour les services techniques. Finalement, nous entrons dans la salle d’honneur, celle prévue pour les mariages. On est encore en train de monter les tables et les chaises des sous-sols. Nous engloutissons les pique-niques préparés le matin à Archena en buvant la bière et les sodas offerts par la mairie. C’est la pause. On se sèche les pieds, on s’occupe des ampoules, on fait la sieste. Et on discute. Un homme m’interpelle. « Qui es tu ? On m’a dit que tu viens de France ? Tu fais partie d’une organisation politique ? » Je lui parle du Parti de Gauche. Il s’appelle Franz. Il a vécu 10 ans en Allemagne, près de Bochum, où il a travaillé pour Opel. De là-bas il luttait contre le régime de Franco au sein du Parti Communiste Marxiste-Léniniste. Depuis la transition, le parti s’est dissous. Franz continue de militer, mais sans faire partie d’aucun parti. « Je suis libre ».

Secs et requinqués nous prenons le chemin pour la notre destination : Molina. La voiture-haut-parleur et el Canto a la Libertad cesse de nous suivre. Molina de Segura est la quatrième ville de la province, avec 70 000 habitants. C’est une ville ouvrière. Elle est entourée de zone industrielle. Assez rapidement nous nous trouvons sur une deux-fois-deux-voies qui les traverse. Je discute avec Tété. Il a fait partie d’organisation troskyiste. Maintenant il participe au mouvement du 15M. Ce qui lui importe le plus, c’est la manifestation spontanée des gens. Mais la moindre action collective suppose une organisation. Il voit bien que la bureaucratie qu’il critique dans les organisations de gauche traditionnelles, partis comme syndicats, ré-émerge à chaque fois qu’il y a un collectif. Néanmoins, il constate une rupture partout entre les gens de la base, et celles et ceux qui sont dans les directions des organisations. Alors que la marche que nous sommes en train de faire représente beaucoup. Il s’agirait d’un grand moment politique. Nous venons de recevoir des nouvelles de la marche qui traverse le Nord –Est de la province, parallèle à la notre. Ils sont plus nombreux que nous. Ils ont traversé Mula et Bullas où plusieurs conserveries ont fermé. Ce soir, Cayo Lara, le porte-parole national d’IU, les rejoindra. Je lui fais la remarque que me faisait Marco :  « où sont les 2000 chômeurs d’Archena ? ». Ils ne se considèrent pas comme une quelconque avant-garde, ni aucun de celles et ceux qui marchent. Mais il est là. Chacune et chacun qui marche compte. Les gens nous voient traverser les villes et villages de l’arrière-pays de Murcia. Malgré la pluie. Pour le noyau de 15 personnes qui cheminent depuis Yecla, cela fait plus de 80 km jusqu’à Murcia. Ces gens qui nous voient savent que nous sommes là. Beaucoup nous donnent des signes de solidarité : applaudissements, bras levés, coups de klaxon, jusqu’aux pompiers qui enclenchent leur sirène quand ils nous croisent…  et bien sûr les collectifs qui à chaque étape organisent l’accueil, offrent les repas… La vingtaine de personne qui marche tout ce temps sont bien plus qu’une vingtaine. Et puis, même parmi celles et ceux qui nous regardent aujourd’hui de travers, qui sait ce que la démonstration de notre détermination provoquera chez eux, d’autant plus si la situation continuant à se détériorer les impactera ?

Au fur et à mesure de la marche, je suis identifié comme le « Francès » de la marche. On me questionne sur ce qui se passe en France. Tous sont extrêmement surpris par les manifestations contre le mariage pour tous. Ici, tout le monde s’imaginait qu’en France, on ne s’opposerait pas si massivement à une telle loi. Pour beaucoup ici en Espagne, et d’autant plus parmi celles et ceux qui sont engagés à gauche, la France, c’est le pays de la Révolution et de la Laïcité. Je suis moi-même surpris par cette interpellation. Je connais ces portions conservatrices de la France. Elles s’étaient déjà manifestées contre le PACS. Mais à l’étranger, ici en tout cas, ceci n’est pas le visage de la France. En essayant de répondre, je me rends compte qu’en France aussi, on a été surpris. La droite elle-même ne s’y attendait pas. Je propose aussi comme explication que les opposants aux mariages pour tous ont mieux réussi la convergence avec des associations issues des migrations que la gauche. Il n’y avait pas que des représentants du catholicisme conservateur et intégriste, il y avait aussi des associations musulmanes et évangélistes qui ont réussi à drainer une participation de la part d’éléments homophobes parmi les français originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Peut être que des meilleurs observateurs des manifestations contre le mariage pour tous contrediront ce que je conclue de quelques éléments « vu à la télé ».

On m’interpelle aussi sur les élections européennes. Ici, on ne croit pas que la gauche pourra y faire un bon score. L’abstention pour les européennes est généralement de 60%, et concerne particulièrement l’électorat de gauche. Avec la crise, la désillusion vis-à-vis de l’Europe est particulièrement exacerbée. Antonio, de la Intersindical, qui nous a rejoints à Lorqui, revient d’une réunion internationale de syndicats alternatifs en Seine Saint-Denis. Il y était avec la CGT (qui n’a rien à voir avec la CGT française, il s’agit d’une scission de la CNT, qui a gardé une culture libertaire). Il y a avait aussi SUD-solidaire, et d’autres syndicats belges, turcs, allemands. On est encore loin de résolutions communes. Il s’agit d’échange d’analyses sur la situation. Dans la discussion, la nécessité d’un programme commun à une sorte de Front de Gauche européen me semble de plus en plus grande. C’est ce que me répète mon beau-père depuis plusieurs mois. Mais comme nous sommes en retard dans l’organisation face à ce qui ressemble beaucoup à un plan concerté qui se déroule à travers l’Europe pour appliquer l’austérité et remettre en cause la démocratie ! Comme me semblent alors vaines, futiles et irresponsables les bisbilles et chamailleries qui occupent tant de temps parmi les militants des gauches et du mouvement social, ici en Espagne comme chez nous en France !
A l’entrée de Molina, plusieurs banderoles nous attendent. Nous sommes une cinquantaine accueillis par quelques centaines. Tout le monde se retrouve sur la place centrale. Des tentes ont été montés pour nos protéger des intempéries. Mais ce soir nous n’en auront plus besoin. Les odeurs de cuisines flottent déjà. Ce soir, nous nous régalerons de Paella aux artichauts, de Gazpacho manchego (qui contrairement à celui d’Andalousie, se mange chaud, il n’y a pas de tomate, mais du lapin, des légumes et des sortes de galettes de farine bouillie dans la sauce de cuisson, excellent !) et grillades. Des enfants jouent au ballon.

Pour conclure, je traduis (librement et approximativement) des extraits du discours donné par Pedro Martinez (si j’ai bien compris son nom), une figure syndicale locale :
« Nous tenons spécialement à remercier les gens de la marche, aux femmes et aux hommes qui ont marché à travers la Province.  Ils ont marché à travers la Province pour défendre des droits pour lesquels nous nous sommes battus pendant de nombreuses années. Et ils vont défendre ces droits parce qu’il faut les défendre. En effet, les travailleur.e.s doivent travailler, mais elles/ils doivent travailler dans la dignité. Je crois qu’il faut remercier celles et ceux qui marchent surtout parce qu’elles/ils sont exemplaires. Ils représentent tous les citoyens qui sont impactés par les coupes budgétaires, les moyens supprimés par le gouvernement, par les coupes dans la sécurité sociale, dans la santé, dans l’éducation, par la réforme laborale [équivalent de la loi de fléxi-insécurité défendue par le gouvernement français en ce moment]. Nous devons leur dire merci parce que par leur exemple la conscience de beaucoup de femmes et d’hommes de cette région commence à se réveiller. Jusqu’à présent, elles/ils avaient peur. Il faut dire : ou bien nous nous bougeons pour défendre nos droits, ou bien toutes et tous nous serons touché.e.s. »