dimanche 1 avril 2018

Les malheurs d'Iznogoud chez les Insoumis

Le personnage d'Iznogoud nous fait beaucoup rire quand on le rencontre en BD. En général, il est moins drolatique dans la vraie vie. On le rencontre dans tous les collectifs humains, cet individu qui veut « être Calife à la place du Calife », pour la seule jouissance d'être à la place du chef. Incompétent sinon pour manœuvrer et conspirer. Tant qu'il n'a pas atteint son objectif, il critique et décrédibilise celles et ceux qui lui apparaissent comme des obstacles, il flatte celles et ceux qui lui semblent pouvoir servir, un temps, ses desseins. Une fois chef, il révèle au grand jour son incompétence et son manque absolu de conviction personnelle. Il en devient d'autant plus un chef tyrannique, prêt, pour rester en place, à trahir la cause dont il a prétendu être un défenseur.

On trouve des Iznogouds partout où il y a un peu de pouvoir à grappiller. Depuis le club de pétanque jusqu'aux plus hautes responsabilités. A droite, la figure du chef est évidente. L'Iznogoud de droite n'a pas trop à se travestir. A gauche, le sens même de l'engagement politique est la souveraineté populaire. L'Iznogoud de gauche est obligé à quelques contorsions. C'est le type d'Iznogoud le plus holométabole, qui, à l'instar de certains insectes, change de forme de la manière la plus complète : ne cessant de revendiquer plus de démocratie au cours de son stade larvaire non-calife, il en sera d'autant plus tyrannique une fois imago calife. J'ai rencontré quelques Iznogoud dans les associations et dans les organisations politiques auxquelles j'ai participé. Ils m'ont à chaque fois mis en rage. Instigateurs de zizanies futiles et inutiles qui nous faisaient perdre du temps, de l'énergie et des militants de bonne volonté, pour le plus grand bénéfices de nos adversaires. Ma seule consolation était de savoir que l'Iznogoud est une espèce également distribuée parmi les collectifs humains. Mais de manière générale, les Iznogouds de tout bord participent à décourager partout l'engagement du grand nombre dans l'action collective, collaborant inconsciemment avec l'oligarchie qui aime la passivité du peuple.

Avec la France Insoumise, j'ai l'impression que l'Iznogoud redevient comique, que la rage et la frustration ne les concernent plus qu'eux seuls. En effet, la FI, mouvement politique polycentrique, n'a pas de Calife. L'objet de toute les jouissances de l'Iznogoud : « être Calife à la place du Calife », lui est absolument retiré. Alors évidemment il essaie de recréer un Calife de carton-pâte, comme au Carnaval, pour pouvoir ensuite le brûler. Parfois c'est Jean-Luc Mélenchon. Mais son statut de président du groupe parlementaire de la FI est légitime, avec une claire distinction des rôles avec l'animation du mouvement FI. Aussi se retourne t'on vers Manu Bompard, ou bien « les dirigeants nationaux de la FI qui sont tous issus du PG ». L'insinuation profite de l'habitude à penser que le rôle qu'ils occupent correspond à celui d'un « chef ». Mais la prise de conscience va se diffuser qu'ils ne le sont pas. Le mouvement distribue les responsabilités à qui veut bien les prendre, à travers les « pôles fonctionnels » et les « équipes animatrices des livrets thématiques ». Pour celles et ceux qui s'y sont inscrit, le constat est clair que chacun y prend part selon ses disponibilités, et qu'ainsi chacun gagne en compétences de telle sorte que la compétence n'est pas un a priori. Sinon la compétence d'être de bonne volonté.
On retrouve évidemment la vieille antienne de l'Iznogoud de gauche : « vous n'êtes pas assez démocratique ! ». De la bouche même de celles et ceux qui critiquent, discréditent ou ignorent exactement les décisions collectives prises lors de vote par l'ensemble du mouvement : tout simplement savoureux. Ils se retournent alors contre le fait que les responsabilités ne sont pas attribuées par vote. En effet, le fait de confier les tâches fonctionnelles, c'est à dire le service au mouvement, à celles et ceux qui veulent bien, qui ensuite s'auto-organisent entre eux, et de tirer au sort les représentants des « exécutifs » (convention, puis assemblée représentative), génère une frustration sans borne : on leur retire la jouissance du conflit permanent entre nous, la possibilité d'humilier l'autre en le mettant en minorité, et de se glorifier de recueillir une majorité, pour des tâches que les uns ou les autres auraient tout aussi bien fait, et de toute manière mieux fait ensemble en coopérant… Mais la pire des frustrations, c'est qu'ils vont être confrontés à la mise à nu de ce que leurs manœuvres iznogoudiennes cachaient, sinon à tous, en tout cas à eux mêmes : leur incompétence à rendre service à notre cause commune, concrètement, humblement, au quotidien.

Alors je sais que j'écris ceci au tout début de notre expérimentation collective. Qu'ici ou là les iznogouds l'emportent parce qu'ils ont convaincu autour d'eux que la FI est telle qu'eux même la fantasment : hiérarchique et donc non-démocratique, puisqu'ils n'imaginent pas d'autres formes d'implication de tous que celle du vote de représentant. Que notre forme d'organisation polycentrique pourrait faire apparaître des effets pervers que nous ne supposons pas encore (en tout cas l'alerte sur ces effets pervers ne viendra pas de ceux qui regrettent de ne pouvoir se complaire dans la lutte mesquine pour les places de Calife, même s'ils seront les premiers à s'enorgueillir de nous avoir averti). Que cette forme d'organisation dépend beaucoup d'une certaine forme de discipline de chacun, centrée sur la bienveillance, laquelle dépend elle-même de pratiques qui génèrent des dynamiques vertueuses, et que justement les Iznogouds, alliés à nos adversaires, sont en capacité de faire s'écrouler ces dynamiques vertueuses, remplissant chacun de méfiance et d'amertume.
Mais pour l'instant, celles-et-ceux qui me mettaient en rage de nous faire perdre du temps, me font rire comme dans la BD, de l'effet comique que leur propre obsession à être Calife à la place du Calife est sans objet ni effet face à un Calife tellement débonnaire puisqu'il n'existe pas, et que ce sont elles-eux qui perdent du temps à s'agiter pour rien... 

Philippe Gastrein,
Cahors,
01/04/2018