mardi 26 septembre 2017

Le moment populiste est arrivé en Allemagne

Les résultats des élections fédérales du 24/09 indiquent clairement que le moment populiste, tel qu’il est décrit par Laclau et Mouffe, touche maintenant le coeur du système ordolibéral. Jamais les deux principaux partis de gouvernement, la CDU et la SPD, n’ont eu des résultats aussi faibles depuis 1949. Un parti nouveau d’extrême droite se place comme la troisième force politique du pays. Et le reste du paysage politique est dispersé autour de 3 autres partis qui réunissent chacun environ 10% des voix: les libéraux, les Verts et die Linke.
  

Affiche électorale du parti fondé par le journal satyrique "Titanic"; "Port obligatoire de la burqa pour les nazis; cacher   [leur] sales gueules]"


Le succés du populisme de droite, Alternative für Deutschland (AfD)
L’AfD rentre pour la première fois au parlement fédéral, et se retrouve être la troisième force en présence, avec 12,6% des voix et 94 députés, alors qu’elle n’existe que depuis 2013 et n’avait pu alors rentrer au parlement en restant sous le seuil des 5%. Ses slogans sont xénophobes sans masque. L’AfD fait ses meilleurs résultats au Sud de l’ancienne RDA. Là où des partis d’extrême-droite (NPD, Republikaner…) ont fait plusieurs percées électorales depuis la réunification. L’AfD est même la première force politique en Saxe. Ce sont les regions qui ont le plus soufferts de la réunification. Les jeunes sont partis massivement ailleurs en allemagne. Des villes entières y sont désertées. Cependant, l’AfD fait des scores supérieures à 5%, et souvent à 10%, partout en Allemagne. Les études sur les transferts de voix (Sueddeutsche Zeitung, 26/09/2017) montrent que l’essentiel des nouveaux électeurs de l’AfD sont des anciens abstentionnistes. D’ailleurs l’abstention a perdu 5% (une participation de 76% contre 71% en 2013). Viennent ensuite des électeurs de la CDU, du SPD et de die Linke.
Non seulement il existe en Allemagne un rejet des partis traditionnels, en particulier de ceux qui à travers la Grosse Koalition (CDU + SPD) ont appliqué la politique de précarisation des travailleurs (Hatrz IV, en 2002 par le SPD). Mais surtout c’est uniquement à l’extrême droite, à travers l’AfD et sa xénophobie qui profite pour l'instant de ce moment populiste.
Retour des libéraux, le vote protestataire des gagnants de l’ultra-libéralisme.
La chute de la CDU, à son plus bas niveau depuis 1949, ne s’explique pas seulement par les gains de l’AfD. La FDP, parti ultra-libéral qui avait perdu les deux tiers de ses électeurs en 2013, réalise le quatrième meilleur score, avec 10,7% des voix. Ses nouveaux électeurs viennent massivement de la CDU, mais aussi des anciens abstentionnistes et du SPD. Son retour doit beaucoup à la personnalité de Christian Lidner qui a pris des distances avec la CDU et défendu un programme extrême-libéral. Il gagne des électeurs dans les régions les plus riches du Sud de l'Allemagne.
La SPD s’écroule.
Avec 20,5% des voix, les socio-démcrates allemands font aussi leur plus mauvais résultat electoral depuis 1949. Ils payent leur participation au gouvernement de grande coalition. Mais peut être aussi leur obstination à defendre le fait d’avoir introduit la dérégulation du marché du travail par la culpabilisation des chômeurs. Schröder disait en 2003 pour justifier la loi Hartz IV : « Eigenverantwortung fördern und mehr Eigenleistung von jedem fordern » (exiger plus de responsabilité personnelle, aider les compétences de chacun); parmi les slogans du SPD en 2017 apparaît: „Kinder fordern Eltern. Wir fördern Eltern“ (Les enfants réclament [beaucoup] de leurs parents, nous encourageons/aidons les parents), qui peut être lu comme une manière d'adoucir la formule qui avait tant fait débat, mais aussi pour une manière de l'assumer pleinement en continuant à jouer sur la corde d'un moralisme qui culpabilise les plus faibles en premier.



Die Linke perd à l’Est, se renforce à l’Ouest, mais n’apparaît pas comme une réponse aux chaînes de revendications populaires.
Le parti de Gauche, résultat de la fusion des communists critiques de l’Est et des socialistes opposés aux mesures liberales de la période Schröder progresse faiblement, à 9,2 % (ce qui représente un gain de 500 000 voix, amorties en pourcentage par la hausse de la participation). Mais il recule dans tous les Länder de l’Est, là où die Linke est souvent aux affaires, souvent en coalition avec le SPD. Et de manière symétrique die Linke progresse dans tous les Länder de l’ancienne RFA, passant partout la barre des 5%.
De nombreux anciens électeurs de die Linke sont passés à l’AfD. Ce transfert concerne essentiellement l’Est. Parrallèlement les nouveaux électeurs de die Linke viennent surtout de la SPD, et un peu des Grünen. Die Linke continue à se normaliser à l’Ouest où elle a longtemps eu du mal à dépasser les 5%, mais dont les représentants sont en interne du parti les plus véhéments contre le gouvernement de Merkel. Par contre, die Linke ne parvient pas à incarner une proposition politique credible pour les colères des victimes de la réunification et de son aggravation après la déstruction des solidatrités sociales organisée par la SPD il y a 10 ans (ce qui est présenté aujourd’hui en France comme le fameux “modèle allemande”).
Les Verts, parti stable des classes éduquées et favorisées.
Die Grüne progresse légèrement aussi (8,9%). Il a été clairement identifié pendant la campagne comme un parti potentiel de gouvernement. C'est ce qui va se produire avec une alliance dite « Jamaïcaine » (du drapeau noir _ CDU, jaune _ libéraux, et vert). Son électorat est resté relativement stable, centré dans les grandes villes riches du Sud de l'Allemagne, et les villes universitaires. Beaucoup d'électeurs écologistes ont néanmoins voté die Linke cette fois-ci. Mais dans le même temps, die Grüne a convaincu un grand nombre d'abstentionnistes et des jeunes électeurs qui votaient pour la première fois.


Début du moment populiste allemand
Mouffe et Laclau décrive le moment populiste comme le moment où les élites politiques ne réunissent plus la confiance des citoyens. S'il se trouve une proposition politique qui fait la synthèse des revendications contradictoires exacerbées à travers la populaition, celle-ci se trouve en mesure de rassembler rapidement une nouvelle majorité qui peut balayer les tenant de l'ancien système. La chute historique du nombre de voix reccueillies par la SPD et la CDU (ils réunissent à eux deux 53 % des voix) est le signe du désaveu porté contre les deux partis qui ont gouverné le pays depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Le retour de la FDP, autour d'un programme extrême-libéral et de la personnalisation de Christian Lidner, pourrait constituer une forme de réaction des gagnants du système, comme un petit Macron allemand. La faible progression des Verts et de die Linke montre à la fois que les secteurs de la population qu'ils représentent chacun, les classes moyennes hautement éduquées qui ont le souci de l'avenir écologiquement durable de leur environnement d'une part, et les victimes du « modèle allemand » d'autre part, sont suffisamment exaspérés pour ne pas venir au secours des grands partis hégémoniques CDU et SPD. Personne ne parle néanmoins de convergence entre ces deux familles politiques. Ce n'est pas dans ce versant progressiste de la politique qu'est venu pour l'instant la proposition populiste qui fédère le peuple. Malheureusement, comme longtemps avec le FN en France, c'est ceux qui accusent les étrangers d'être la cause des malheurs de chacun qui obtiennent un succès électoral. Par contraste, on peut apprécier la réussite politique que constitue la France Insoumise, qui est parvenu à réunir aussi bien les jeunes et les urbains éduqués, qui auraient voté Grüne outre-rhin, et les travailleurs syndiqués et les chômeurs qui auraient votés die Linke.




26/09/2017, Hannovre.
Philippe Gastrein