lundi 20 avril 2015

Podemos, un feu de paille?

Cet article fait suite à une discussion que j'ai eu avec David Hernandez Castro, animateur des écosocialistes de la région de Murcia, le 15 avril 2015.
- Philippe Gastrein

Alors que beaucoup d'entre nous sont persuadés du succès certain de Podemos dans les mois à venir, plusieurs signes indiqueraient plutôt que sa dynamique est entrain de s’essouffler, voir de refluer. Pour David, la marche pour le changement, dans les rues de Madrid, convoquée par Podemos le 31 janvier dernier aura été son chant du cygne. Un an plus tôt, les participants d'une marche semblable convoquée par le mouvement social (les « marées ») se comptaient en million, et non en centaines de milliers. Les résultats aux élections régionales d'Andalousie, de 15 %, sont bien inférieurs à ce qu'escomptait la direction de Podemos : autour de 25 %. Aujourd'hui les intentions de vote de Podemos sont en baisse, et il serait heureux si Podemos conserve 15 % des suffrages quand les élections générales arriveront en novembre ou en janvier prochain.

Pour David, ces difficultés de Podemos, voire son reflux, s'expliquent par les contradictions propre à Podemos, dont il m'avertissait depuis l'été dernier. On peut synthétiser ces contradictions en deux choix stratégiques : a) une organisation très hiérarchisée et centralisée autour de Pablo Iglesias et b) le refus d'assumer un discours « à gauche » et de proposer une idéologie. David résume avec ironie ces positions par le « centralisme cybercratique ».

a) Une organisation hiérarchisée et centralisée

Dès après les élections européennes de 2014 où Podemos avait fait la surprise, obtenant 8 % des suffrages, et 5 eurodéputé.e.s, en seulement 5 mois d'existence, le projet de Pablo Iglesias annonçait une volonté d'un exécutif resserré, en opposition avec un projet de parti alternatif, porté par des membres d'Izquierda Anticapitalista (NPA espagnol), qui était plus horizontal. La fondation en parti de Podemos au cours de l'automne 2014 va confirmer ces orientations, avec des statuts ne laissant aucune place à un éventuel courant minoritaire dans l'exécutif.
Cette forme d'organisation est en contradiction avec les attentes de la majorité de ceux qui y adhèrent, puisque ceux-ci viennent pour beaucoup du Mouvement 15M (Indignés), ou en tout cas pensent rejoindre ce qui en serait la continuation. Cette fausse perception est d'ailleurs celle qui domine parmi nous en France. Malgré le succès des « cercles », organes de rencontre et d'organisation locaux de Podemos, les statuts du nouveau parti ne leur donnent quasiment aucun pouvoir décisionnel. Les décisions des militants qui s'engagent concrètement sur le terrain, consacrent du temps aux réunions, etc. sont court-circuités par des référendums sur internet. Or le nombre d'adhérents de Podemos (adhésion gratuite) étant supérieur de 100 voir 1000 au nombre de militants de terrain, les débats qui peuvent avoir eu lieu en assemblée comptent pour rien dans les décision finale validées par des votes par internet. Plus pervers, le poids médiatique de Pablo Iglesias est tel qu'il peut remporter la décision par ses seules consignes de vote, quelque soit l'implication militante des militants locaux. Des situations de ce type se sont produites déjà à plusieurs reprises, notamment à Murcie même, où la candidate aux européennes désignée par les cercles locaux s'est faite remplacée par une proche d'Iglesias, inconnue localement.
Il se trouve que David porte une grande estime personnelle à Pablo Iglesias, et ne doute pas de son engagement à gauche. Pour autant, le pouvoir corrompt, même les meilleurs. Surtout, ce « centralisme cybercratique », s'il se pérennise, induira, pour les futures structures politiques qui l'adopteront, un fonctionnement basé sur le charisme des personnalités politiques, semblable aux primaires de type étasuniennes, où gagnera le plus doué à appliquer un bon marketing politique. Déjà en Espagne, on voit un renouvellement des porte-paroles des différents courants politiques, pour mettre en avant des jeunes, avec belles gueules et joli bagout…
La conséquence concrète de cette organisation pour Podemos, c'est la faiblesse, voire l'absence, de son réseau de militants locaux. En fin de compte, Podemos se résume à un petit cercle d'universitaires, pour beaucoup experts en Sciences Politiques. Cette faiblesse du militantisme est entre autre la conséquence de l'absence d'ouverture pour des minorités organisées. Pour rentrer dans Podemos, il faut abandonner ses appartenances partidaires précédentes. Plus encore, il est interdit de créer dans Podemos des cercles qui reproduiraient des associations préexistantes. Du coup, pour un militant aguerris d'une des différentes organisations de gauche, le choix se limite à soit rester hors de Podemos, soit y entrer en se dissolvant dans une masse où la parole d'Iglesias à un poids hégémonique, tout au plus est-il possible d'y être un partisan démonstratif d'Iglesias pour exister… L'autre cause de ce manque de militantisme est la faiblesse, pour ne pas dire l'absence, de formation politique au sein de Podemos. Elle se limiterait à une formation à l'utilisation des nouvelles technologies.

Cette faible formation politique proposée aux adhérents de Podemos répond d'ailleurs au choix stratégique assumé de ne pas cliver dans le discours.

b) Refus d'assumer un discours idéologique clivant.

L'intention derrière ce choix stratégique est d'attirer les électeurs traditionnels du PP (parti conservateur, largement héritier du franquisme) et du PSOE. Au niveau stratégique, on pourrait reconnaître des parallèles avec ce qui a fait le succès du Front National en France. Il s'agit de se dire ni de droite, ni de gauche, pour viser une majorité populaire. Pour autant, dans la culture politique des porte-paroles de Podemos, il n'y a aucune ambiguïté avec l'extrême droite. Seulement, leur refus d'assumer une idéologie, d'assumer même une polarisation à gauche, conduit à renoncer à toute éducation populaire, ce qui rend leur électorat volatil. Volatilité qui semble se confirmer en ce moment même au profit d'un mouvement aux racines clairement droitières : « Cuidadanos » (citoyens).

Ni de droite, ni de gauche.
En effet Podemos refuse de se dire de gauche. Il parle de « caste » et de « peuple ». S'il met en avant quelques mesures qui pour des gens politisés sont clairement de gauche, il insiste surtout sur le renouvellement des pratiques politiques. Cette stratégie a fonctionné jusqu'à présent, principalement grâce à l'aide apportée par le monde médiatique, qui pensait ainsi affaiblir Izquierda Unidad (IU, l'équivalent du Front de Gauche, sans équivalent du Parti de Gauche, et donc avec un PCE tout à fait hégémonique au milieu d'une galaxie de micro-partis, souvent régionaux). Seulement maintenant que Podemos apparaît comme un candidat sérieux au pouvoir, les médias se sont retournés contre lui, l'attaquent de la même manière infamante que nous connaissons un peu partout. Mais surtout, les média soutiennent un nouveau mouvement, « Cuidadanos », qui, avec un objectif non affiché, mais connu, clairement ultra-libéral et réactionnaire, joue sur le terrain de Podemos de la promotion des nouvelles manières transparentes de faire de la politique. Cuidadanos en quelques semaines d'existence réuni 10 % des suffrages aux élections régionales d'Andalousie, et ne cessent de monter dans les sondages, alors qu'on assiste à un reflux de Podemos. Vraisemblablement les électeurs du PP qui avaient été attirés pas Podemos se tournent vers Cuidadanos, dès que la possibilité leur en est donnée. Ce faisant, la crédibilité de Podemos diminuant, on peut s'attendre à ce que nombre d'électeurs traditionnels du PSOE retournent à leur vote habituel… Il faut indiquer aussi ici que si IU a vu son ascension dans les sondages avant les Européennes stoppée par l'arrivée de Podemos, elle garde depuis une base de 8-10 % d'intention de vote (8 % aux élections d'Andalousie), plutôt stable.

Aucune lisibilité pour la gauche anti-austéritaire pour les élections locales de mi-mai.
En terme de stratégie d'alliance, le refus de Podemos de se situer à gauche l'a conduit à refuser tout rapprochement avec IU. Cela a conduit à des situations d'une extrême confusion, en particulier dans la préparation des élections municipales et régionales qui sont prévues pour la mi-mai. Premièrement Podemos, n'ayant pas de force militante crédible localement, a refusé de s'engager dans les élections municipales (il aurait été fréquent sinon de voir des ex-PP admirateurs d'Aznar devenir tête de liste de Podemos dans nombre de petites et moyennes communes). Ensuite, pour les grandes villes, et pour les communautés autonomes, pour répondre aux demandes pressantes de sa base, Podemos a posé des conditions strictes à toute participation électorale. En particulier, le refus de voir nul part accolé les sigles de IU et de Podemos. Du coup se sont créés des intitulés disparates, qui ont ensuite été victimes des dissensions entre partenaires, de dépôt de marque par des adversaires, etc. En fin de compte, aucun nom identifiable ne réunit pour les prochaines élections toutes les organisations de gauche opposées à l'austérité. On trouve même le même nom utilisée par des organisations concurrentes dans des municipalités voisines (« Cambiemos » soutenu par IU contre podemos ici, et soutenu par Podemos contre IU juste à côté…, « Ahora Madrid », « Ganar », etc.).
Enfin, le phénomène Podemos a aussi induit un désengagement du mouvement social qui a été pourtant si puissant l'an passé. Partout s'est installée la conviction que la solution aux difficultés communes viendra d'une prise du pouvoir prochain dans les institutions. Dans la gauche espagnole, nous sommes en somme passé d'un extrême à l'autre : de la conviction portée par les « indignés » que c'est uniquement par les mouvements sociaux, organisés horizontalement que viendra le changement nécessaire au dépassement de la crise sociale et économique, à la conviction portée par Podemos qu'il faut en priorité obtenir le pouvoir dans les institutions pour insuffler d'en haut, avec les meilleurs, le changement de toute la société.

Vers un reflux de Podemos ?

En fin de compte, le présupposé philosophique de Pablo Iglesias explique ses choix stratégiques. Il s'inscrit dans la continuité de Platon : le bon gouvernement est celui des meilleurs. C'est ce qui pour lui justifie d'encadrer Podemos par un cercle restreint et cohérent d'universitaires, la plupart collègues dans les mêmes départements de Sciences Politiques. C'est aussi ce qui explique la méfiance vis à vis des choix collectifs qui pourraient émerger des cercles.

Cependant ces choix risque d'être lourd de conséquence pour la gauche espagnole.
En terme stratégique, la « caste » reprend la main en utilisant la stratégie même de Podemos, et faisant apparaître « Cuidadanos ».
La situation économique dans les prochains mois ne va pas jouer en faveur de l'argumentaire de Podemos. Elle va certainement se stabiliser momentanément. Beaucoup vont se laisser persuader que les choses vont mieux, que les sacrifices auront été utiles. D'autant plus que beaucoup se sont finalement habitués à la précarité, à accepter des travaux pour des salaires et des horaires qui auraient paru scandaleux il y a 4 ans, et qui paraissent aujourd'hui comme une chance…

Surtout la fragilité militante de Podemos le rend vulnérable à une action déterminée et synchronisée d'un petit groupe de militant extérieur. Cette situation a été illustré à Murcie-ville ces dernières semaines. L'alliance entre IU et Podemos, du nom de « Cambiemos », a été actée aux conditions de Podemos : l'organisation de primaires absolument ouvertes, sans garantie préalable sur une représentation minimale des différentes organisations qui soutenaient la démarche. Les cadres de podemos s'y sont présentés sûrs d'obtenir les meilleurs résultats. Les cadres de IU, militants aguerris, ont fait une campagne de terrain dans les réseaux du mouvement social avec toute leur expérience. Ce sont finalement des militants IU qui raflèrent les 4 premières places de la liste. Face à ce résultat tout à fait inattendu, IU elle-même proposa de cèder ses places à Podemos. Mais ce fut la direction locale de Podemos qui refusa cet arrangement. Du coup Podemos à Murcia s'est scindé entre ceux qui continuent à soutenir Cambiemos, et ceux, surtout parmi les cadres, qui refusent le résultat de la primaire, ajoutant à la confusion… Un tel événement pourrait se produire partout en Espagne pour Podemos.

La situation politique n'est pas pour autant désespérée pour la gauche anti-austéritaire en Espagne. Pour David, la porte de sortie à cette impasse se trouve dans le rapprochement de Podemos avec IU. Les appareils des deux organisations sont très antagonistes. Mais IU est en crise depuis la création de Podemos. En particulier, des groupes proches de Podemos, autour de Tania Sanchez, sont sortis d'IU et sont entrain d'organiser une association politique pour les élections municipales à Madrid (« Ahora Madrid ») qui pourrait à terme jouer le rôle de pont entre Podemos et IU. Il faudrait cependant que Podemos se décide à polariser son discours, et que le PCE cesse de vouloir contrôle de manière hégémonique IU ou les alliances électorales qu'il soutient.