Pour
l'Eglise, le mariage est un sacrement. C'est-à-dire le signe concret
de l'amour de Dieu pour son humanité. Déjà l'Ancien Testament avec
le Cantique des cantiques porte le témoignage que les amours
humaines peuvent être à l'image et à la ressemblance de l'amour
que Dieu propose à l'humanité. Les chrétiens sont donc tout à
fait légitimes pour promouvoir dans la société des conditions
telles que chacun puisse vivre des amours à l'image de l'amour de
Dieu. Ces temps-ci, nombre de chrétiens se sont mobilisés contre la
loi du « mariage pour tous », considérant que
l'ouverture des droits du mariage civil aux couples homosexuels
mettraient en danger ces conditions. Pour eux, le mariage homosexuel
dévoierait le sens profond du mariage. Pour ma part, mon expérience
militante de rencontre et d'accompagnement des personnes prostituées
au sein du mouvement du Nid, m'a poussé à méditer à la lumière
du livre d'Osée en quoi le mariage pouvait constituer une
institution opposée à la prostitution. Or Osée nous montre comment
les logiques de la prostitution peuvent s'infiltrer dans un couple et
pervertir le mariage. Prévenir des perversions qui menacent l'amour
fait donc partie des missions de l’Église. La prostitution
constitue à mon avis l'archétype du détournement de l'amour. Là
où l'amour est gratuité, la prostitution prétend possible de
l'acheter et de la vendre. Là où l'amour est liberté, la
prostitution n'est que jeu de domination et d'humiliation. Là où
l'amour rend possible toutes naissances, biologiques comme
spirituelles, la prostitution est fermeture à l'avenir. De tous ces
risques, les couples homosexuels ne sont pas exempts. Cependant je ne
vois rien qui leur interdit forcément d'accueillir la gratuité, la
liberté et la fécondité de l'amour. Le risque de la mobilisation
des chrétiens contre le mariage homosexuel est donc d'oublier
pourquoi le mariage est une institution humaine si importante pour
l’Église. Il ne s'agit pas d'une institution formelle nécessaire
au bon ordre de la société, il s'agit d'une forme d'incarnation de
l'amour de Dieu parmi les humains qui libère des logiques de la
prostitution : la violence, la cupidité, l'absence de foi. Le
risque alors est de se tromper dans l'avertissement que nous
adressons à nos contemporains. Ce sont les logiques de la
prostitution dont il faut préserver le mariage, et non les écarts
vis-à-vis d'un formalisme arbitraire.
Or de
nombreux aspects du « couple chrétien », tel qu’on
pourrait le concevoir à écouter ses défenseurs ou à observer ceux
qui prétendent l’incarner, ne présentent que de faibles
résistances aux logiques prostitutionnelle. Pour simples preuves
pratiques, il suffit de constater la persistance de la prostitution
dans les pays et les régions sociologiquement chrétiennes. La
résistance spirituelle contre la prostitution de ces familles
chrétiennes est si faible qu’elle n’empêche par leurs hommes
d’être clients-prostitueurs. Parfois même j’ai entendu des
épouses « de bonne bourgeoisie chrétienne » préférer
que leur mari aille voir les « belles de nuit », plutôt
qu’ils les « trompent avec une maîtresse». Leur
résistance spirituelle est si faible qu’elle n’empêche pas
leurs filles et leurs fils de se laisser entraîner à
l’autodestruction dans la prostitution. Je me rappelle du
témoignage d’une jeune femme qui méprisait tant son corps que se
laisser prostituer constituait pour elle une manière de vengeance
sur le regard qu’on a porté sur elle depuis toute petite. De même,
de nombreux garçons, victimes d’homophobies dans leur adolescence,
croient découvrir leur identité sexuelle en se livrant corps et âme
au milieu de la prostitution homosexuelle. Elle est si faible cette
résistance spirituelle que des pays à majorité chrétienne,
gouvernés par des partis prétendument chrétiens, laissent l’état
organiser la prostitution, comme l'Allemagne et l'Espagne. Et quand
les pays chrétiens ne sont pas réglementaristes, ils sont
prohibitionnistes comme l’Irlande et la majorité des Etats-Unis.
C’est dire s’ils n’ont rien compris où se trouvent le problème
dans la prostitution, croyant que le scandale serait le « vice »
des personnes prostituées, alors que le scandale est au contraire le
fait qu’elles soient exploitées et humiliées.
Il ne
suffit pas d’être en couple, ni d’être hétérosexuel, ni
d’avoir des enfants « biologiquement naturels », ni
même de n’avoir de relations sexuelles qu’avec son partenaire
(ce qu’on croit suffisant pour définir la fidélité), pour
échapper aux logiques prostitutionnelles. Le livre d'Osée témoigne
d'une expérience spirituelle incarnée qui a peut être été
fondatrice dans l'histoire de la Foi judéo-chrétienne. Osée a
épousé Gomer, une femme prostituée. Ce faisant, il se faisait
prophète de l'amour de Dieu pour l'Humanité. La relation entre Osée
et Gomer est une histoire tragique et douloureuse, où l'on voit les
logiques de la prostitution continuer à être à l’œuvre pour
pervertir l'amour. En suivant Osée et Gomer, nous pouvons être
averti de ces dangers. J'en identifie trois, qui sont trois formes
d'idolâtrie dans le mariage :
Le sacrement
du mariage catholique n'est pas au service de la stabilité d'une
certaine société. Il est au contraire subversif. Dès son
institution canonique au XIIeme siècle, il dérange par la
centralité qu'il donne au libre consentement des épouxes. La
péricope, où Jésus réaffirme l'indissolubilité du mariage face à
la loi de Moïse autorisant la répudiation des femmes, peut être
considérée comme la racine évangélique du sacrement du mariage.
Or une telle prise de position fait certainement partie de ce qui a
mené Jésus sur la croix. Jésus ne condamna pas les personnes
prostituées, au contraire il présenta certaines d'entre elles,
apparemment devenu disciples de Jean le Baptiste, comme précédant
les prêtres du temple dans le Royaume. S'étant convertie à la
prédication de Jean, elles avaient rompu avec l'idolâtrie. Les
prêtres, eux, malgré leur pureté rituelle que Jésus ne remet pas
en doute, sont toujours dans l'idolâtrie. L'enjeu de la Foi
chrétienne, ce n'est pas des formalismes rituels ou moraux, c'est la
Foi des humains en un Dieu aimant.
La
comparaison que l'Ancien Testament fait souvent entre prostitution et
idolâtrie permet de proposer une théologie basée sur l'analogie
entre amours humaines et amour divin : une théologie des épousailles.
Donc si les
chrétiens sont légitimes à s'engager dans la société pour
promouvoir un certain type de mariage, c'est bien pour promouvoir les
épousailles, les mariages qui incarnent l'amour. Et s'il y a
certains types de mariage à dénoncer, ce sont les mariages
contaminés par la prostitution. Le mariage homosexuel serait-il forcément un mariage prostitutionnel ?
Ni plus ni moins que le mariage hétérosexuel.
Mais en se mobilisant contre cette loi, les chrétiens semblent oublier ce qui fait le cœur sacramentel du mariage qu'ils prétendent défendre. Le plus grand risque se trouve là à mon avis.
Ni plus ni moins que le mariage hétérosexuel.
Mais en se mobilisant contre cette loi, les chrétiens semblent oublier ce qui fait le cœur sacramentel du mariage qu'ils prétendent défendre. Le plus grand risque se trouve là à mon avis.
Car un
couple hétérosexuel, pas plus qu'un couple homosexuel, n'est à
l'abri de la prostitution provoquée par l'argent, ni par celle
provoquée par la violence, ni enfin par
celle qui induit une stérilité spirituelle.
S'engager dans la société, jusqu'à la politique, pour promouvoir les épousailles, c'est à dire garantir des conditions sociales, culturelles et économiques qui ne favorisent pas les logiques prostitutionnelles, ça suppose donc de s'engager:
- contre la prostitution au sens strict, et donc pour son abolition;
- contre la précarité, en particulier celle des femmes, et tout ce qui engendre la précarité, notamment l'inégale répartition des richesses et l'insécurité sociale au travail;
- contre les violences conjugales;
- contre tout ce qui s'oppose à l'égalité entre femmes et hommes, dans les représentations culturelles, mais aussi dans les institutions, politiques comme ecclésiales;
Les opposants au mariage pour tous ont beaucoup prétendu défendre le droit des enfants. L'argument qu'un couple homosexuel en adoptant mettrait en danger ses enfants ne me parait pas sérieux. Mais quand bien même il le serait, considérant la pauvreté qui touchent dans notre pays et dans le monde avant tout des enfants, les combats que je viens de lister répondent, me semble-t-il, beaucoup mieux aux droits des enfants à grandir dans la sécurité économique, affective et culturelle.
S'engager dans la société, jusqu'à la politique, pour promouvoir les épousailles, c'est à dire garantir des conditions sociales, culturelles et économiques qui ne favorisent pas les logiques prostitutionnelles, ça suppose donc de s'engager:
- contre la prostitution au sens strict, et donc pour son abolition;
- contre la précarité, en particulier celle des femmes, et tout ce qui engendre la précarité, notamment l'inégale répartition des richesses et l'insécurité sociale au travail;
- contre les violences conjugales;
- contre tout ce qui s'oppose à l'égalité entre femmes et hommes, dans les représentations culturelles, mais aussi dans les institutions, politiques comme ecclésiales;
Les opposants au mariage pour tous ont beaucoup prétendu défendre le droit des enfants. L'argument qu'un couple homosexuel en adoptant mettrait en danger ses enfants ne me parait pas sérieux. Mais quand bien même il le serait, considérant la pauvreté qui touchent dans notre pays et dans le monde avant tout des enfants, les combats que je viens de lister répondent, me semble-t-il, beaucoup mieux aux droits des enfants à grandir dans la sécurité économique, affective et culturelle.
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