mardi 4 mai 2010

A qui aurait peur de l'islamisation de la France

En réaction à l'article de "La Vie": "la face sombre des traditionalistes"; relié au souvenir d'une vive discussion...

Quel est le plus grand risque pour la France? Pour l'Europe occidentale? Son "islamisation" ou son retour aux fascismes? Pour autant que la pérennisation de l'Islam en France soit en soi un risque. Car dans l'Islam, les extrémistes comme ces gens de Saint-Eloi sont minoritaires. Tandis que de larges pans de l'Église catholique se sont et sont toujours impliqués dans le fascisme européen. L'Église institutionnelle a soutenu le massacre revanchard de centaines de millier de républicains (depuis les petits capitalistes bourgeois de centre-droit jusqu'aux communistes en passant par les socialistes ou les anarcho-syndicalistes) en Espagne, et elle béatifie et canonise encore aujourd'hui les tortionnaires de cette époque, et non seulement elle méprise les victimes innocentes de ces exactions en appuyant des décisions politiques de déni de justice, mais aussi elle ignore les prêtres et catholiques martyrs de la foi incarnée qui étaient dans le camp républicain. Ces gens dont il est question dans l'article, j'en ai rencontré plus que j'aurais souhaité dans différents réseaux ecclésiaux: au scoutisme, parmi des séminaristes, à l'occasion de grands rassemblements... Ils sont nombreux, violents, intolérants. Ils ont des positions sociales pour la plupart confortables. J'en ai rencontré un seul qui avait leur profil psychologique parmi les musulmans, un auvergnat converti. Je ne nie pas que les cultures musulmanes sont aussi capables de produire des systèmes de gouvernement fasciste. Mais quand elles le font, c'est par mimétisme de la "civilisation chrétienne occidentale", qui jusqu'à présent aura été de loin la "civilisation" la plus efficace pour ranger l'humanité en catégories, et faire souffrir la portion d'humanité ne faisant pas partie de la bonne catégorie... Colonialismes, nazisme (avec ses collaborateurs empressés de toute l'Europe occupée), fascismes, national-catholicismes ibériques... De grandes réussites en la matière.
En France, il n'y a pas de parti "islamique" aux élections. Pendant ce temps le FN, dont la composante de type national-catholique constitue une des bases essentielles, fait 20% avec régularité...
Peut-être peux-tu voir dans la rue des femmes portant foulard sur la tête (comme toutes les femmes "bien élevées" à travers l'Europe des années 1920), est avoir le sentiment, à partir de cette observation, que des valeurs opposées à celle de notre "nation" seraient entrain de progresser dans le pays. Alors qu'en est-il quand des générations de jeunes têtes blondes rient de blagues antisémites et négationnistes? Serait-ce là un retour souhaité aux "bonnes vieilles valeurs" de notre nation? Celle-là qui permirent l'envoi de centaines de millier de juifs, tziganes, républicains espagnols, et autres non-conformes-pas-français vers les camps d'extermination d'Allemagne?
Sera-ce le tour justement des musulmans d'avoir à porter une marque distinctive afin de restreindre leurs droits? Voire préparer une déportation purificatrice, dont nous avons déjà les outils institutionnels pour la réaliser: centres de rétention, fonctionnaires de police habitués à effectuer des rafles, à ne pas se laisser émouvoir par la détresse de familles séparées pour des raisons arbitraires? Plutôt qu'une étoile jaune, un croissant vert?
Car voilà le risque réel dans notre pays et notre continent: l'islamophobie et ses conséquences déjà concrétisées et potentielles. Et cet article en est la parfaite illustration: le vrai risque pour notre pays, le fascisme, ici dans sa version national-catholique, utilise la peur du faux risque, une prétendue invasion de nos pays par les musulmans, pour se mobiliser et élargir sa base. Se laisser convaincre par la dangerosité d'une prétendue islamisation de la France, c'est le début de la collaboration avec le retour du fascisme en Europe.



Alors, à propos du"danger de l'islamisation de la France":

1) il n'y a pas d'islamisation, dans le sens où il n'y a aucun mouvement démographique significatif sur la base duquel on pourrait prévoir qu'à court ou moyen terme la majorité de la population française deviendrait de confession musulmane: a) le taux migratoire de musulmans est redevenu minoritaire par rapport à d'autres confessions, b) le taux de conversion de non musulman à l'Islam est négatif (il y a moins de conversion à l'Islam que de musulmans qui cessent de pratiquer et d'adhérer à leur religion, mais ils le font silencieusement, alors que l'enthousiasme des convertis est très communicatif... à l'instar des encore plus nombreux convertis aux églises évangélistes et pentecôtistes d'inspiration anglo-saxone à la théologie complice de l'ultralibéralisme...), c) la sécularisation des familles musulmanes au cours des générations est plus rapide et plus massive que ce que les familles catholiques ont connues en deux siècles de sécularisation de la société française. En conséquence de ses trois paramètres démographiques (vérifiables scientifiquement), la majorité de l'Islam en France est une sorte d'Islam sécularisé, qui se décline depuis un vague sentiment d'identité (du genre de ces personnes qui dans les sondages se déclarent "catholiques" mais ne croient pas en la résurrection) jusqu'à une pratique "à la carte" avec quelques éléments de spiritualité de type recommençant qui cherche à trouver un sens existentiel à partir des ressources mystiques des traditions musulmanes... Et cette forme d'Islam sécularisé, d'après les données sociologiques et démographiques actuelles, qui ne changeront pas sur un terme de deux décennies, ne peut que se renforcer encore parmi les différents autres courants de l'Islam en France. Chez les musulmans, la proportion d'extrémistes portant barbe ou niqab (selon le sexe), en appelant à un djihad compris comme "guerre sainte" (là où tout arabisant entend naturellement "effort spirituel"...), étant persuadés que l'infériorité des femmes et la supériorité des hommes relèvent d'un commandement divin, est la même que, chez les catholiques, la proportion d'extrémiste heureux de voir les prêtres porter soutanes et dentelles, condamnant le concile vatican II parce que la liberté de conscience y est reconnue, étant persuadés que l'infériorité des femmes et la supériorité des hommes relèvent de la volonté divine... Sauf qu'il y a plus de catholiques que de musulmans, donc plus d'intégristes catholiques que d'intégristes musulmans; sauf que les catholiques ont des positions sociales et économique beaucoup plus avantageuses que les musulmans qui héritent d'une infériorité économique, ayant été majoritairement des ouvriers immigrés; sauf que les institutions catholiques en France et en Europe (plus encore en Europe, comme en Espagne ou en Italie, où les courants extrémistes du catholicisme détiennent des terres, des télés, des universités, comptent des milliardaires parmi leurs affidés...) sont bien organisées et puissantes alors que les musulmans sont encore entrain de se bricoler des institutions sous forme d'associations.

2) Quand bien même la majorité des français deviendraient musulmans, ce ne serait pas en soi une catastrophe pour la société française. Au niveau collectif comme au niveau individuel, l'Islam ne s'oppose pas à l'humanité. L'islam est une religion qui a été embrassée par des humains qui ont été pleinement humains en habitant sincèrement leur foi et leurs principes, et les vivant comme islamiques. L'islam a été choisi par des sociétés comme référentiel, et parmi ces sociétés, il y en a eu et il y en a qui sont parvenus et qui parviennent à permettre un vivre ensemble humain. De tout les cas, certes nombreux, dont on pourrait dire que l'Islam a été utilisé pour justifier des comportements contraire à la dignité humaine, on pourra en trouver au moins autant où ce fut le christianisme, l'humanisme des Lumières, les droits humains, le communisme, etc. qui ont été utilisés avec autant d'efficacité à convaincre des masses, pour justifier l'égoïsme de quelques uns, le déchaînement et la perpétuation de violences et d'injustices.


Ce qui m'amène à conclure pourquoi, pour moi, le fascisme, porté par l'extrême droite, est le vrai danger pour notre société. Le fascisme, au sens large, au sens où il est un risque devant nous, c'est la focalisation de la hargne de la majorité sur une minorité plus faible, pour non seulement détourner cette majorité des vraies causes de ses souffrances, de ses angoisses et de ses frustrations, mais aussi pour perpétuer voir amplifier les privilèges que se sont octroyés quelques uns, qui sont les vraies causes des souffrances etc. de la majorité.

Le fascisme est en contradiction totale avec le christianisme.
Non seulement en contradiction avec la chrétienté, religion chrétienne dont on a extrait l'essence, c'est à dire la foi, pour n'en garder qu'une objectivité formelle faite de morale et de "valeurs", car de toutes les "lois" qu'on pourrait tirer des évangiles, il y en a aucune dans la lettre qui cautionne tant soi peu l'égoïsme, le manque de solidarité, le mépris de l'autre. Rien donc qui cautionne ce qui forme les valeurs réelles du fascisme. Mais encore plus en contradiction avec la foi chrétienne, la foi/confiance en la folie de Dieu qui se donne à l'humanité pour que l'humanité apprenne à être divine par le don et l'amour donné. Car le fascisme est en soi un manque de foi: s'appuyer sur la violence, sur des certitudes formelles, c'est ne pas avoir la foi. Car la foi en l'incarnation, c'est la foi en l'humanité. Or le fascisme ne fait pas confiance en l'humain puisqu'il lui dénie les plus fondamentales libertés: liberté de conscience, liberté d'expression, liberté d'association, liberté de mouvement... Car la foi en l'incarnation, c'est la foi que l'humain devient tout à fait humain, et donc divin, que s'il écoute. Or le fascisme n'est que certitude de sont droit et de son pouvoir, sans écoute de l'autre, sans écoute du plus faible comme nous l'indique Jésus, encore moins donc l'écoute du Tout Autre qu'est le divin.

Le fascisme ne peut pas être une valeur française. S'il y a valeurs françaises, il s'agit des valeurs que les habitants vivant sur le territoire français se donnent afin de vivre au mieux leur humanité commune sur ce territoire donné, pendant le temps qu'il leur est donné de vivre ensemble. Ces valeurs sont donc forcément déterminées par l'histoire des habitants de ce territoire. Par l'histoire de tout les habitants de ce territoire. Il ne nous vient pas à l'idée de nous mettre à essayer de parler la langue des néandertaliens, au motif qu'ils sont probablement les premiers du genre Homo à être passé sur ce territoire, ni à reproduire leurs rites. Il n'y a donc aucune justification à imposer une langue ou une manière de parler, des rites, des usages ou des croyances au nom de ce qu'ils seraient les plus anciens pratiqués sur ce territoire. Ce sont des choses qui ont évolué, et qui changeront. A moins d'admettre pourquoi ces aspects essentiels d'être ensemble se sont imposés à ce qui les a précédé: la force et la violence; et donc admettre que c'est par un rapport de force violent, violent parce que niant ce qui est différent, que tout cela se perpétuera, ou changera. Or tout le projet politique européen, depuis la sortie des guerres de religion, et on pourrait en trouver des racines plus antiques, dont certaines dans le monde musulman, jusqu'à l'état providence d'après guerre, en passant par les lumières et le marxisme, le projet politique donc, c'est de parvenir à une organisation sociale qui, sans violence, laisse s'exprimer les rapports de forces inévitables à toute société, puisque toute société est hétérogène, et donc traversée par des intérêts divergents. Laisser se manifester les intérêts divergents sans violence. C'est à dire, se trouvant confronter à des contemporains qui me dérangent pour de multiples raisons, parvenir à rentrer avec eux dans un processus de négociation où la divergence d'intérêt première se trouve dépasser pour aboutir à un règlement qui conviennent à toutes les parties, qui contraindra certainement chacun dans des limites, mais surtout où personne ne sera nié dans sa dignité, et donc tel que l'intérêt général sera satisfait. Or le fascisme, c'est tout le contraire: c'est nier l'existence des rapports de force par un mythe d'homogénéité, tout en laissant s'exercer la plus extrême violence, violence de classe, habituelle mais exacerbée par sa négation formelle, violence fonctionnelle pour obtenir l'homogénéité phantasmée... Pour moi, les valeurs françaises, universalistes quoiqu'incarnées dans un territoire et une histoire particulières, c'est ce long combat pour trouver une manière de vivre ensemble sans violence, respectueux de la dignité de chacun. A l'évidence, nous ne sommes pas au bout de cette quête collective. Nous devons continuer à construire nos valeurs collectives, avec tout nos contemporains, avec tout nos voisins.

Le fascisme pourrait s'appuyer sur l'Islam pour avancer. Et il le fait ici ou là. Et alors il faudrait s'y opposer avec la même énergie que contre tout fascisme. Mais le fascisme "islamique" serait en contradiction avec l'Islam, tout autant que les fascismes chrétiens sont en contradiction avec le christianisme. Il serait aussi en contradiction avec les principes minimaux du vivre ensemble sans violence qui est l'objectif de la vraie politique, à laquelle aspirent les citoyens musulmans de tout pays, comme tout citoyen, en tant que citoyen de leur pays. Il serait aussi contradictoire parce qu'être musulman, c'est être un homme, une femme de foi. Quelques soient l'étendue de mon ignorance à propos de l'Islam, des compagnonnages d'humanité avec des ami-e-s musulman-e-s, j'en tire au moins cette conviction, que leur démarche de foi est tout à fait analogue à la mienne. Être "soumis" à Allah est vécu spirituellement par beaucoup dans un même mouvement de confiance que d'autres vivent être disciple du Christ. Cette foi-là est opposée à tout fascisme.