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Cet article fait partie de la série: "Contre les mariages prostitutionnels".
Par
rapport aux mariages qui deviennent un lieu d’exploitation d’un conjoint par l’autre, ou une institution qui se fait complice d’un
système d’exploitation, est-ce-que le fait que les deux conjoints
aient le même sexe induit forcément un rapport d’exploitation ?
Au contraire, nous constatons que la demande d’obtenir une
institution équivalente au mariage pour les homosexuels provient
justement d’un besoin vécu par plusieurs couples homosexuels de
protéger juridiquement la solidarité qu’ils souhaitaient vivre
ensemble. L’épidémie de SIDA a notamment provoqué nombre de
situations dramatiques où des couples avaient tout mis en commun par
amour, mais où le ou la survivant.e se retrouvait dépossédé.e par
les ayant droits selon la loi.
Est-ce-qu’uncouple homosexuel serait incapable de se respecter réciproquement ?
L’argument souvent défendu par ceux qui discréditent la
formation de couple homosexuelle consiste à dire qu’il s’agirait
d’une forme de narcissisme à deux. Les personnes homosexuelles
auraient évité de rencontrer l’autre sexe par incapacité à
s’ouvrir à la différence. On pourrait déduire cette affirmation
du commentaire de la création de l’humanité dans la différence
des sexes. Or ce que dit la différence des
genres, ce n’est pas une dichotomie absolue entre le masculin et le
féminin. Nous savons bien que personne n’est absolument masculin
ou féminin. S’il est besoin de démontrer que nul en humanité
n’est assigné à un sexe, régulièrement naissent des individus
hermaphrodites. Les différents caractères sexuels sont déterminés
par des processus biologiques complexes résultant de l’interaction
entre l’environnement et le patrimoine génétique de chaque
individu, comme tout processus biologique. L’identité de genre
n’est donc pas la conséquence directe du patrimoine génétique de
l’individu, quand bien même cet individu dispose d’un patrimoine
génétique qui détermine sans ambiguïté son identité sexuelle.
La différence de genre représente l’altérité la plus évidente
au sein de l’humanité, et en même temps l’altérité qui ne
peut se nier par l’exclusion. On ne peut pas affirmer qu’un seul
des sexes représenterait la « vraie » humanité
tellement il est incontournable qu’il faut des femmes et des hommes
pour reproduire l’humanité. L’humanité créée femme et homme,
c’est aussi l’humanité incluant toute altérité entre humains.
L’humanité, femme et homme, à la ressemblance de Dieu, c’est
aussi la nécessité d’embrasser toute la diversité de l’humanité
pour envisager Dieu. Il n’est donc pas nécessaire d’être face à
un individu de l’autre sexe pour être confronté à l’altérité.
On peut d’ailleurs tout autant nier l’altérité tout en vivant
dans un couple hétérosexuel. N’est-ce pas ce qui se passe en
partie quand les couples se choisissent à l’intérieur d’une
même classe sociale, dans un groupe de même opinion ou de même
confession, ou encore à l’intérieur d’une même apparence
raciale ? Quand la violence conjugale éclate, c’est en fin de
compte le symptôme que le couple, quoiqu’hétérosexuel, ne
parvient pas à se rencontrer dans l’altérité. La violence est
alors un moyen pour obliger l’autre à se conformer à ce que je
veux qu’il soit, sans trop déranger mes pré-représentations.
Laquestion de l’accueil des enfants cristallise aussi l’oppositionau mariage homosexuel. Evacuons tout de suite la question des mères
porteuses : ces situations relèvent clairement des mêmes
logiques que la prostitution. Dans le
cas de l’adoption ou de la procréation médicalement assistée par
don de sperme pour des couples de femmes, je ne vois pas en quoi le
processus d’accueil de l’enfant dans ces couples diffère
phénoménologiquement de tout accueil d’enfant. A moins de croire
que le lien génétique entre parents et enfants est indispensable. Cette obsession de la matérialité
biologique de la filiation me semble être une forme d’idolâtrie
qui nie la profonde originalité de tout nouveau né, qui lui refuse
son mystère. On entend beaucoup dire que les enfants auraient besoin
d’un modèle masculin et féminin pour se construire. Il est
étrange que les institutions qui ont organisé des pensionnats où
les enfants étaient instruits non seulement dans un environnement
non mixte mais aussi par des corps enseignants du même sexe,
découvrent aujourd’hui les mérites éducatifs de la mixité. Mais
tout de même, la famille « traditionnelle » que nous
rapportent les romans du XIXe siècle donnait-elle vraiment une place
égale aux pères et aux mères ? Ne voyons-nous pas des modèles
familiaux où le père était absent ? Cette situation ne
perdure-t-elle pas dans les familles où le père se sacrifie (ou
fuit) au travail ? L’Eglise a-t-elle alors milité pour que
les pères prennent vraiment leurs places ? A-t-elle milité
pour réduire les temps de travail afin que les parents des deux
sexes puissent passer plus de temps avec leurs enfants ? (En
fait, sur ce dernier point, c’est vrai, le catholicisme social a
été de ce combat). Le poursuivons-nous, et pas seulement pour
défendre le repos dominical ? Tout ce que je peux lire à
propos d’enfants élevés dans des couples homosexuels semble
indiqué qu’ils ne sont pas mieux ni moins bien éduqués que les
autres, ils n’en deviennent pas moins des humains, avec leur
histoire particulière comme tout un chacun. Et avant même les
couples homosexuels réunis par un amour érotique, n’a-t-il pas de
tout temps existé, du fait des aléas de la vie, des parents
homosexuels, au sens où les adultes en charge de l’éducation de
l’enfant était du même sexe, rassemblés pour s’occuper de
l’enfant par des liens de parenté ou d’amitié ? N’a-t-on
pas vu une grand-mère aider sa fille-mère, deux oncles recueillir
leur neveu orphelin, etc ? Face à ces situations où manquait
un « référent masculin ou féminin », le bon sens
n’a-t-il pas toujours préféré que l’enfant grandisse auprès
d’adultes qui l’entourent d’amour, et qui sont eux-mêmes liés
par des solidarités de fraternité, d’amour filial ou d’amitié ?
Enfin je trouve la soudaine passion pour la filiation biologique
chez certains courants de pensée chrétiens surprenant. N’avons-nous
pas dans nos communautés des couples, certes hétérosexuels, qui
ont adopté des enfants, souvent de couleur de peau manifestement
différente ? Certes nous voyons bien que ces adoptions ne sont
pas toujours heureuses, que ces familles sont confrontées à de
questions spécifiques. Les enfants peuvent souffrir de racisme, ils
peuvent se poser des questions existentielles qui amplifient les
difficultés de l’adolescence, ils peuvent avoir vécu dans les
années qui précédèrent l’adoption des choses traumatisantes. Et
de toute manière les parents adoptifs sont confrontés aux mêmes
défis que tout parent, en particulier le défi d’élever ses
enfants de manière chaste. Ces familles sont souvent animés d’une
réelle et sincère générosité : faire profiter d’un
environnement digne et aimant à des enfants abandonnés, souvent
dont le lieu de naissance les condamnerait à la misère. On pourrait
pourtant les suspecter d’être habité par une revendication du
« droit à l’enfant ». Adoptent-ils parce qu’ils sont
stériles ? Parce que la femme ne veut ou ne peut plus supporter
une nouvelle grossesse ? Je ne crois pas que nous traitons avec
ces suspections infamantes les couples de nos communautés qui
adoptent. Pourquoi les réservons-nous aux couples homosexuels ?
Tout le monde aujourd’hui dans l’Eglise ne se défend-il pas
d’être homophobe ?
Oui,
un couple homosexuel peut être un couple prostitutionnel. Il existe
de la prostitution homosexuelle, en particulier dans les milieux
homosexuels masculins. Les personnes homosexuelles peuvent aussi se
laisser aspirer par la cupidité, devenir carriériste, etc. Il
existe aussi de la violence parmi les personnes homosexuelles. On
trouvera des hommes homosexuels machistes, et des femmes
homosexuelles vouant une véritable haine du sexe masculin. On
trouvera même des couples homosexuels du type « cage au
folle », où un des partenaires croyant se féminiser s’humilie
en endossant le rôle d’une femme soumise, qui n’est pas le vrai
visage de la féminité. Enfin on trouvera des couples homosexuels
portant l’exigence d’un droit à l’enfant. Quitte à
instrumentaliser le corps d’une femme pour lui faire porter un
enfant. En effet la question des mères porteuses partage de nombreux
points communs avec la prostitution. Son organisation pratique
suppose un échange d’argent, ne serait-ce que pour assurer
l’existence de la mère porteuse pendant la grossesse. Elle répond
à un désir qui est perverti en un besoin, ou même en droit. Elle
introduit dans la sphère marchande un échange ou une pratique qui
devrait absolument rester gratuite si l’humanité veut rester
humaine. Donc effectivement, il faut s’opposer de toutes nos forces
au développement des mères porteuses.
Donc oui, tout à fait, les
mariages homosexuels peuvent être des mariages prostitutionnels.
Mais ni plus ni moins que les mariages hétérosexuels. Les
difficultés à vivre dans la fidélité et la chasteté sont aussi
difficiles mais autant humanisant dans les couples homosexuels que
dans les couples hétérosexuels. Justement, si ces hommes et ces
femmes s’aiment, s’ils souhaitent vivre en solidarité comme des
époux mariés, s’ils sont prêt à être responsable devant la
communauté humaine jusqu’à accueillir des enfants, pourquoi les
empêchons-nous de tenter un chemin que nous savons être un chemin
de bonheur, un chemin de libération et un chemin d’humanisation,
un chemin donc qui mène aussi à l’amour de Dieu ? Nous
savons que ce chemin est semé d’embûches, qu’il longe les
ravins de la prostitution où l’on peut tomber à tout instant.
D’autant plus n’ajoutons pas des difficultés aux difficultés
qu’ils rencontreront de toute manière ! Aidons-les plutôt,
soutenons-les. Et laissons-nous aussi nous convertir par eux. Nous
croyons trop facilement que nos enfants sont comme une extension de
nous même, qu’ils ne couperont jamais le cordon ombilical ?
Laissons-nous convertir à l’accueil de la différence dans nos
propres enfants en voyant ces couples adopter. Nous voulons à tout
prix que notre couple soit « normal », c'est-à-dire
conforme à une norme, à un modèle. Laissons nous convertir à
écouter nos désirs profonds et les appels des circonstances !
Qu’y avait-il de « normal » dans la Sainte-Famille ?
une mère vierge, un père putatif, un fils fugueur…
Non, à
mon avis, il n’y a rien de spécifiquement prostitutionnel dans les
mariages homosexuels. Ils sont confrontés aux mêmes tentations de
s’abandonner aux logiques de la prostitution que les couples
hétérosexuels. Mais, par l’originalité inhérente des familles
qu’ils fondent, ils peuvent nous aider à trouver de nouvelles
ressources pour vivre les épousailles. Jésus d’ailleurs nous a
peut être déjà donné un de ces couples en exemple de foi. Quelle
était au juste la relation du centurion avec son esclave « qui
lui était cher » (Lc 7,2), lequel centurion demanda à Jésus
de guérir son esclave, « son enfant » (Lc 7,7) ?
Comme souvent dans ce genre de situation, l’évangéliste est
discret, on pourrait dire qu’il a du tact. De même, parmi les
femmes en qui la tradition croit voir des prostituées, aucune n’est
ainsi clairement désignée par les évangélistes. Cependant dans le
contexte de l’époque, connaissant les mœurs des romains, il est
plausible que ce centurion était l’amant de son cher esclave. Et
si ce n’était le cas, les contemporains de la scène pouvaient
néanmoins suspecter que ça l’était. On pourrait arguer que dans
ce cas les « anciens des juifs » qui transmirent les
premiers la demande de guérison ne l’aurait pas fait. Or ils
vendent la mèche : ce n’est pas seulement parce qu’il aime
la nation juive, mais aussi parce qu’il « nous a bâtit la
synagogue » qu’il est digne (Lc 7,5). Et en effet, alors que
Jésus s’approche, le centurion envoie un deuxième groupe de
messagers, des amis cette fois, pour lui dire que ce n’est pas la
peine qu’il entre chez lui. Il doit savoir qu’il serait cause de
scandale pour cet homme qu’il admire, et pas seulement parce qu’il
représente l’ennemi. Cependant Jésus déclare à propos de cet
homme : « pas même en Israël je n’ai trouvé une telle
foi » (Lc 7,10). Et depuis, à chaque célébration
eucharistique nous faisons notre à peu près sa profession de foi :
« je ne suis pas digne de te recevoir, mais dit seulement une
parole et [je] serais guéri ».
Enfin
je relève un dernier argument contre le mariage homosexuel. Cela
provoquerait une « révolution anthropologique »
catastrophique pour nos sociétés. Cela provoquera un changement
anthropologique profond, certes, et de toute manière il est en
cours, et la loi court derrière plutôt qu’elle ne le provoque.
Comme tout changement, il provoquera des secousses, mais je ne crois
pas qu’il sera catastrophique. Là aussi il est surprenant que tout
à coup l’Eglise se mette à s’inquiéter des chocs
anthropologiques qu’on peut faire subir à une société.
N’a-t-elle pas été partie prenante du choc anthropologique le
plus violent car le plus massif et le plus brutal en temps qu’a
peut être connu l’humanité, c'est-à-dire les colonisations
européennes ? Certes les écroulements démographiques des
Amériques après Colomb doivent beaucoup aux épidémies et aux
massacres directs, ce que l’on ne peut pas tout à fait reprocher à
l’Eglise, ne serait-ce que grâce au combat de Las Casas. Mais
d’autres maux sont comptables de ces écroulements démographiques :
alcoolisme, épidémie de suicide, apathie. On observe ces phénomènes
encore aujourd’hui parmi des peuples qui ont fait récemment la
rencontre de la civilisation globale. Les églises ne sont-elles pas
aussi entrain d’œuvrer pour une révolution anthropologique
profonde dans plusieurs pays d’Afrique ? Pour faire
disparaître la polygamie, l’excision et nombre de rites
initiatiques de la jeunesse ? La christianisation de l’Europe
n’a-t-elle pas aussi été accompagnée de révolutions
anthropologiques ? Fin des sacrifices humains (quoiqu’on a
continué à mener des guerres sacrificielles), promotion de
l’existence juridique de chaque personne (abolition du Pater
familias), promotion même de l’autonomie des femmes (obligation du
consentement mutuel pour le mariage, possibilité de choisir le
célibat consacré) ? Ces révolutions n’ont pas été sans
violence, comme souvent contre-révolutionnaires. La majorité des
saints martyrs des premiers siècles sont des femmes assassinées en
raison de leur refus de se soumettre à l’autorité paternelle.
Aujourd’hui, la persistance de la prostitution dans nos sociétés
manifestent que nous avons devant nous des révolutions
anthropologiques à opérer, en particulier qu’il devienne
inconcevable de pouvoir obtenir une relation sexuelle contre de
l’argent.
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