mardi 17 septembre 2013

De l'écosocialisme à la démocratie écologique

Intervention de David Hernandez Castro, des Ecosocialistas de la region de Murcia, aux assises de l'écosocialisme de Rodez (15 juin 2013).
-- Traduction: Philippe Gastrein
en castellano: aqui.

Chères ami-e-s,

De la part des écosocialistes de la Región de Murcia, nous souhaitons vous manifester le grand intérêt que nous portons au processus de convergence écosocialiste qui vous avez convoqué en France. Nous sommes très fiers que vous nous ayez invité à participé à une de vos assises [décentralisées de l'écosocialisme], et nous vous promettons que nous essaierons de diffuser votre travail et l'esprit de la constitution écosocialiste que vous êtes en train de promouvoir avec le soutien du Parti de Gauche, et de plusieurs autres collectifs qui nous accompagnent dans la lutte pour la justice sociale et l'environnement. Mais avant de continuer, permettez-moi de vous transmettre notre très profonde solidarité devant la mort du jeune Clément Méric, qui est la dernière victime de ceux qui veulent livrer le monde à la haine et aux cendres. Clément Méric n'est plus seulement un citoyen français. Il est devenu le porte-parole universel du rappel à l'Europe que le fascisme n'est pas seulement une chose qui appartient au passé, mais une menace réélle pour notre futur. La seule manière de vaincre le fascisme, c'est la solidarité des peuples.

Ecosocialistas de la Región de Murcia

« Ecosocialistas de la Región de Murcia » est un parti politique qui fait partie de Izquierda Unida. Nous nous sommes fondés en 2011, et notre implantation est la région de Murcia, dans le sud-est de l'Espagne, entre les communautés autonomes d'Andalousie et de Valence. Nous sommes donc une formation politique très jeune, mais nous avons une représentation institutionnelle, à travers IU, dans plusieurs communes de la Région de Murcia. Nous sommes au gouvernement de la mairie de Mazarron, où notre camarade David Fernández est actuellement conseiller à l'environnement et à la participation citoyenne. Dans notre parti, nous avons des activistes importants dans les domaines sociaux, syndicalistes et écologistes. Certains de nos camarades ont participé à la fondation de la « plateforme des victimes de l'hypotéque » (PAH), qui est à la tête de la lutte contre les expulsions, un terrible fléau dans notre pays, où déjà plus de 120 suicides se sont produits en lien avec les expulsions, et où une famille se fait expulser de son logement tout les 15 minutes. Murcia est une région particulièrement concernée par la bulle immobilière : grâce au soutien du Parti Populaire [parti rassemblant la droite depuis l'extrême droite héritière du franquisme jusqu'au « centre-droit »], notre zone côtière a été assaillie par les grandes entreprises de BTP, et notre système d'irrigation traditionnel de la huerta de Murcia a été systématiquement démantelé pour y construire à la place des grands lotissements, avec terrains de golf inclus. La région de Murcia possède des conditions extraordinaires pour la production agricole, et un savoir-faire traditionnel hérité des siècles passés pour la gestion durable de la terre et la production écologiste. Mais la cupidité de quelques uns a aboutit à la spoliation d'une grande partie de notre huerta, et à un grand péril pour les zones protégées de notre littoral. Nous, les écologistes, avons lutté durant 11 années pour arrêter un des grands projets du gouvernement régional, qui consistait en l'urbanisation de 11 500 hectares de paysages côtiers de «Marina Cope », où se trouvent 17 habitats communautaires, 16 espèces protégées de la flore et plus de 80 espèces de la faune locale, dont la tortue maure, et des variétés de rapaces comme le hibou royal. Après 11 années, nous avons remporté cette bataille, grâce au jugement du tribunal constitutionnel qui est tombé en faveur des demandes des écologistes. C'est la seconde fois en 40 ans que les écologistes sauvent ce magnifique espace protégé. La première fois a été dans les années 1970, quand le gouvernement a voulu y installer une centrale nucléaire. A l'époque déjà nous avions réussi à l'arrêter. Je vous raconte cette histoire, camarades, parce qu'il convient de se souvenir que l'histoire n'est pas écrite, nous l'écrivons avec nos luttes, et l'échec des puissants lobbys de l'énergie nucléaire et de la construction qui se sont briser deux fois contre Marina de Cope, témoigne qu'un autre monde est possible. On peut. Si on peut.

D'autres ecosocialistes en Espagne

En Espagne, il y a différents courants politiques qui se dénomment « écosocialistes ». Le plus ancien est « l'initiative pour la catalogne-Verds » (ICV), qui ont été des membres historiques des Verts européens, mais qui ont rejoint aussi Izquierda Unida aux élections territoriales. Récemment un parti politique s'est constitué au niveau de l'état espagnol, EQUO, qui est la synthèse de différents partis politiques verts, et que certains identifient avec les valeurs écosocialistes. Cependant, en Europe, ils gardent une alliance stratégique avec les Verts allemands, et, bien que nous respections les camarades de EQUO, et que nous désirions que leur projet politique fonctionne, nous pensons que les Verts allemands ne représentent pas aujourd'hui l'alternative écosocialiste dont l'Europe a besoin, une alternative qui ne s'oppose pas seulement aux centrales nucléaires, mais aussi aux guerres impérialistes, à l'Europe du capital, et aux attaques contre les conquêtes de la classe des travailleurs. C'est pourquoi nous pouvons nous reconnaître dans le Manifeste français des Assises pour l'Ecosocialisme. Nous allons débattre de ce document, et nous voulons initier un processus de convergence en Espagne similaire à celui que vous avez initié en France.




Sur la Démocratie Radicale

Nous avons beaucoup de choses à partager avec vous. Mais il y a un aspect où il nous semble que notre contribution peut être la plus intéressante. Notre organisation écosocialiste se définit autour de deux principes : la démocratie radicale et l'écologie sociale. C'est autour de la démocratie radicale qu'il nous semble que votre manifeste pourrait obtenir une meilleur définition. Nous pensons que la démocratie radicale n'est pas seulement un objectif pour le futur, un objectif que nous atteindrons quand nous aurons réussi à déterminer la planificación démocratique des ressources. Ce serait une vision étroite de ce que la démocratie signifie. En réalité, ce serait s'emprisonner dans la même logique instrumentale qu'ont eu historiquement les partis de la gauche alternative qui se sont caractérisés par la pratique d'un divorce entre les objectifs qui prétendaient poursuivre et la manière avec laquelle ils s'organisaient pour lutter pour ces objectifs. La racine de cette forme d'organisation est le centralisme démocratique, qui rompait avec la tradition politique d'organisation « assembléaire » qui remontait à la Première Association Internationale des Travailleurs. Depuis donc, et sauf quelques exceptions historiques, les formes d'organisation en assemblées sont restées restreintes au milieu anarchiste et libertaire, pendant que les sphères politiques du socialisme et du communisme s'organisaient à travers des structures représentatives d'organisation politique.

L'histoire personnelle de chacun d'entre nous est liée, majoritairement, de l'engagement militant dans des organisations politiques historiques. Notre proximité avec la forme de travail dans ces organisations a fait qu'il nous est difficile de prendre conscience de l'énorme contradiction qui s'introduit entre les fins que nous recherchons et les moyens que nous utilisons pour les atteindre. Nous voulons une société socialiste, où les travailleurs seraient les propriétaires des moyens de production, et où les décisions sur le destin de la communauté seraient adoptées de manière démocratique par ceux qui en font partie.

Souvent, quand le gouvernement de la nation approuve une loi injuste, nous initions une campagne pour que cette loi soit soumise à référendum entre les citoyens. Nous exigeons que les représentants politiques puissent être révoqués à tout moment par leurs électeurs. Nous voulons que la citoyenneté fasse partie de manière inaliénable du processus de planification démocratique des secteurs stratégiques les plus importants : l'éducation, la santé, l'économie. Et cependant, en même temps que nous nous battons pour ces causes, nous militons dans des organisations politiques qui sont organisées de manière hiérarchique, qui réunissent des congrès une fois tout les quatre ans, qui élisent leurs responsables politiques de manière indirecte, qui prennent leur décisions les plus importantes non pas à travers de consultations ou de référendum internes, mais derrière des portes fermées des organes de direction. Et cela nous semble normal. Nous croyons que nous sommes démocratiques participatifs parce que nous défendons la démocratie participative. Mais ce n'est pas le cas. Dans une certaine occasion, El Che Guevara a dit qu'un révolutionnaire est celui qui fait la Révolution. Nous pourrions ajouter : ce n'est pas en parlant de la démocratie participative que nous deviendrons plus démocratiques et participatifs, mais en la pratiquant. La démocratie est un sagesse de caractère pratique. C'est une constatation que les anciens savaient déjà, et qu'Aristote traita quand il écrivit que la vertu ne peut pas s'apprendre théoriquement, mais pratiquement, et qu'il ne s'agit pas de savoir qu'est ce que la vertu, mais de savoir comment être vertueux. Donc ce que nous disons, c'est que le vrai problème n'est pas tant de savoir qu'est-ce-que la démocratie participative, mais de devenir, nous-même et la société, des citoyens conséquemment démocrates et participatifs.

La democratie est une fin en soi

Ce que je pense, c'est que dans la réponse à cette question se joue le futur de la gauche européenne. C'est ainsi parce que nous nous trouvons à un carrefour que nous avons déjà rencontré au Xxème siècle. Ce n'est pas la première fois que nous subissons une crise mondiale. Et ce n'est pas non plus la première fois que suite à cette crise les classes opprimées parviennent à porter au pouvoir certaines de leurs organisations politiques. La question que nous devons nous poser est pourquoi ces expériences historiques ont échoué, et qu'est-ce-que nous pouvons faire pour éviter que l'histoire se répète au XXIème siècle. Pour nous, la clef se trouve dans la démocratie radicale, mais par seulement parce qu'elle serait une manière plus juste d'organiser le travail politique, mais parce c'est sur le terrain de l'organisation, de la forme avec laquelle nous construisons nos relations sociales, où se livre la bataille de la conscience. Contrairement à ce que pensent certains, ce n'est pas en lisant des livres que l'on devient socialiste. Sans doute, dans une certaine mesure, lire des livres aide beaucoup. Tout le monde devrait en lire. Mais c'était en lisant des livres qu'on devenait socialiste, comment expliquer que Dominique de Villepin proposa une facilitation des licenciements [CPE] quand il était premier ministre, et comment expliquer que nous connaissons tous des camarades qui sont beaucoup plus socialistes que nous-même alors que la vie ne leur a pas donné l'opportunité d'accéder aux études. Ceci, qui est une évidence, a été ignoré de beaucoup de dirigeants historiques de la gauche, qui ont formé une sorte de technocratie politique, valorisant la capacité et la qualité de l'engagement militant en fonction de son curriculum académique. Curieusement, ceci n'est jamais arrivé à Karl Marx, pour qui il a toujours été clair que pour autant que la lecture de ses livres aiderait, ce qui produirait réellement la prise croissante d'une conscience socialiste parmi les travailleurs serait l'association des travailleurs eux-mêmes.

Prenons un exemple : quel livre pouvons-nous lire pour apprendre à jouer de la guitarre ? Sans doute y-a-t-il de nombreux manuels de qualité. Mais tout le monde rirait de la personne qui prétendrait apprendre à jouer de la guitarre en s'enfermant dans une bibliothèque avec un manuel. Pour apprendre à jouer de la guitare, il n'y a qu'une manière : jouer de la guitare. Et la même chose est vraie pour d'autres compétences pratiques. Nous apprenons à faire du vélo en faisant de vélo. A nager en nageant. Ceci est vrai aussi avec les passions, et aussi avec les valeurs politiques comme la vertu républicaine. Nous apprenons à aimer en aimant ; à être solidaire en pratiquant la solidarité ; et à être républicain en menant une vie républicaine.

Ce semble être compliqué, mais en vérité, cela ne l'est pas du tout. Quand nous nous organisons pour faire ou décider des choses, notre activité se déploie dans deux sphères distinctes. D'un côté, il y a la dimension de la pratique concrète : nous nous réunissons, par exemple, pour discuter sur l'écosocialisme, ou pour décider quel sera la prochaine action revendicative. Mais d'un autre côté, dans le même temps qu'on réalise cette pratique concrète, il y a des valeurs précises qui s'inscrivent dans notre conscience. Au début, nous nous réunissons pour parler de l'écosocialisme, ou pour prendre une décision quelconque, mais durant le déroulement de cette réunion, nous allons nous rendre plus solidaires et participatifs. Arrive un moment où le résultat de notre délibération est le moins important : le plus important est que le fait de nous réunir nous a transformé en personnes plus sociables et plus solidaires, plus intéressées dans le destin de nos camarades, et aussi, plus experts dans la prise de décision. Il se peut que dans certains cas concrets nous nous trompons, mais se dont on ne peut pas douter, c'est que plus on participe à la prise de décision, mieux on apprend à prendre des décisions. Les vertus et les passions sont des qualités auto-amplificatrices : on apprend à mieux jouer de la guitare en jouant plus de guitare ; on aime mieux plus on aime ; et on devient plus solidaire quand pratique plus la solidarité.

Donc, la démocratie participative est une fin en soir. Le simple fait de participer, de s'impliquer dans la gestion de questions qui concernent tout le monde, de se réunir avec les camarades pour établir les priorités et les besoins de l'organisation et de la société, nous réalise comme personne, nous rend meilleurs, nous éduque dans ces valeurs de convivialité que la société du spectacle a relégué dans le dernier recoin. Participer, partager, coopérer, nous rend responsables et solidaires. Au contraire, la délégation instaure la culture de la passivité et de l'égoïsme. La délégation corromps la démocratie.

Sur la Democratie Ecologique

De plus, et pour conclure, il y a aussi une dimension écologique dans la participation démocratique. Il y a un principe en biologie qui relie la variété réelle des populations avec leurs possibilités de s'adapter à l'environnement, et donc de survivre. Non pas que nous devions importer aux relations sociales les principes d'organisation de la biologie évolutive. Mais nous pensons que dans ce cas concret notre forme politique d'organisation sortirait renforcée si nous prenions en compte ce principe. Il s'agit de considérer que l'ecosystème politique qui favorise le plus la gauche, ce n'est pas la lutte des organisations politiques de la gauche entre elles, mais l'articulation de formes d'organisation démocratiques plus riches et complexes, où les organisations et les tendances de la gauche peuvent déployer leur identité politique sans avoir à se rivaliser les unes contre les autres. Au contraire de ce que certains pensent, ce qui renforce une organisation politique, ce n'est pas une forme d'unité qui élimine les différences, mais une forme d'unité qui encourage la diversité. Les conditions sociales et politiques sont dans un processus constant de transformation, et plus les ressources politiques des organisations sociales sont variées, meilleure sera les capacités d'adaptation aux nouveaux défis du système. Nous faisons le pari de l'organisation d'un large front, parce qu'à l'intérieur de valeurs communes, nous sommes convaincus que la diversité des identités politiques favorise la prise démocratique de décisions. Le Front de Gauche est un bon exemple que cette idée peut donner des résultats très positifs. Pour cette raison, et pour d'autres sur lesquelles nous pourrions nous étendre, quand nous parlons de démocratie, nous parlons aussi de démocratie écologique. Le principe du respect de la diversité que nous défendons pour l'environnement fonctionne aussi à l'intérieur de nos organisations politiques.

Merci beaucoup.