lundi 30 janvier 2017

Le poison "politique-poker" et son antidote φ.

Depuis le 21 avril 2002, l'habitude a été prise en France de jouer au « politique-poker ». Du côté des appareils politiques, le politique-poker consiste à proposer des candidats ou des slogan-programme qui ont comme seul objectif une majorité suffisante selon les règles électorales en place. Il ne s'agit donc pas de proposer les personnes les plus à mêmes de gouverner avec cohérence et compétence, ni de proposer les mesures politiques nécessaires, mais de passer le premier tour de telle sorte que l'adversaire du second tour réunira une majorité contre lui. Du côté des citoyens, plutôt que de voter par conviction, on vote par anticipation sur le vote de ses adversaires pour les obliger à se retrouver avec un candidat « moins pire ». Ce politique-poker est un véritable poison pour la démocratie. Poker menteur, strip-poker, à la fin c'est toujours le peuple qui se retrouve trahi et humilié : à poil.

Certains ont tellement pris goût à ce jeu tordu que l'on a droit pour ces élections de 2017 à deux primaires et demi. Et une fois les primaires terminées, comme un mauvais remake de Maverick où le jeu de poker continue hors du saloon, les appareils politiques continuent les jeux de chausse-trappe et mensonges en poupées russes pour discréditer leurs adversaires et embrouiller encore plus les citoyens.

Voyons le cas Hamon, qui a fait sa dernière ligne droite de campagne aux primaires de « gôche » avec les mots du programme de la France Insoumise. Il propose maintenant à Mélenchon de s'associer à lui. Faisons semblant de ne pas voir que Hamon ne reprend pas l'essentiel du programme « l'Avenir en Commun » : un plan réaliste et ferme pour renégocier les traités européens dans le cadre desquels aucune de ces mesures ne sera possible, et la convocation d'une assemblée constituante qui permettrait au peuple de réécrire les règles du jeu démocratique et s'assurer que les promesses électorales engagent non seulement ceux qui y croient mais surtout et avant tout ceux qui les font. Donc, quand bien même le programme serait satisfaisant pour quelqu'un qui a participé à la rédaction de "l'Avenir en Commun", Hamon a été choisi dans le cadre d'une primaire. 40% des électeurs de la primaires préféraient le programme de Valls. Alors quoi ? De deux choses l'une : ou bien Hamon respecte ceux qui ont joué le jeu des primaires, ou bien il leur tord le bras pour ne défendre que "son" programme que d'aucun prétende être "quasiment" le même que le notre.

Si Hamon respecte tous les électeurs de la primaire qui l'a choisie, il devrait alors chercher à faire la synthèse entre Valls et « son propre » programme. Mais dans ce cas, ce programme de synthèse ne sera jamais compatible avec "l'Avenir en Commun". L'usage du 49-3, même à « contre-coeur », est incompatible avec une assemblée constituante composée de citoyens qui n'ont eu aucune responsabilité dans les assemblées de la 5° République et qui s'engagent à n'en pas avoir dans les futures assemblées de la 6° République ; la loi El-Khomri est incompatible avec l'introduction de nouveaux droits des salariés dans les entreprises ; etc...

Si Hamon défend le même programme de Mélenchon, comme nous le susurrent certains. Du point de vue des insoumis, on pourrait en être content. On aurait réussi une OPA sur le logo PS, là où Sanders avait échoué face à Clinton. Mais, supposant que Hamon se mette à défendre entièrement, sincèrement, honnêtement, sérieusement, et de manière cohérente, ce programme, que présagerait une telle manière de faire pour sa manière de gouverner ? D'une part il laisserait s'incruster dans notre démocratie l'habitude de gouverner contre l'opinion de ceux qui l'ont élu. D'autre part il serait élu avec les voix de socialistes pro-Valls à qui on aurait tordu le bras. Mais une fois élu, et que viendra les temps difficiles d'appliquer ce programme ambitieux, sans compromis avec l'Europe de la finance, est-ce-que son gouvernement sera assez ferme et légitime pour renégocier les traités européens ? Sera-t-il prêt à sortir de cette Europe-là si l'Allemagne reste inflexible ? Sera-t-il prêt à sortir de l'OTAN ? Et les difficultés ne viendront pas que de l'extérieur : que fera ce gouvernement si les grandes entreprises du CAC40 organisent une fuite de leur capitaux et/ou ferment les usines qu'elles n'ont pas encore délocalisées ? Que fera-t-il si certains secteurs économiques organisent des manifestations de masse, ou des blocages économiques ciblés pour empêcher la transition écologique dans les transports ou dans l'agriculture ? Etc.
Avec le programme "l'Avenir en Commun", ce genre de difficultés ont une grande probabilité d'arriver. D'autant plus si celui qui est élu avec ce programme a une base fragile.

Au contraire avec la France Insoumise, nous aurons des élus qui ont signé une charte où ils s'engagent à écrire les lois en cohérence avec le programme « l'Avenir en Commun » et en dialogue avec des assemblées citoyennes locales. Au contraire avec la France Insoumise, nous étions sans cesse dans la rue contre la loi El Khomri. Nous prenons l'habitude de nous réunir dans la rue et sur les places, et nous serons prêts à montrer ce que veut le peuple face aux minorités de puissants qui seraient tentés de s'opposer aux mesures politiques de notre futur gouvernement.

Le politique-poker est un poison. Il rend habituel le mensonge. Le débat n'est plus honnête. Il fait disparaître du débat toutes propositions sincères et cohérentes. Il dégoûte le peuple de prendre en main ses affaires. Il fait donc disparaître le peuple en tant que collectif souverain et responsable de son avenir commun, pour le réduire à une masse de gens, soit dégoûtés, soit embrouillés dans des jeux de poker menteur sans fond politique concret.

La France Insoumise est l'antidote à ce poison. Voici bientôt un an que nous avançons à visage découvert. Nous avons dès le début refuser le piège des primaires car nous savions que notre projet politique est incompatible avec celui des Macron et Valls. Nous nous sommes immédiatement mis au travail pour écrire un programme, en prenant pour base celui qui avait réuni 4 millions de voix en 2012 : « l'humain d'abord ». 3000 contributions par internet plus tard, après une vingtaine d'auditions programmatiques, nous proposons au pays le programme « l'avenir en commun », qui s'enrichit et se précise chaque mois par des livrets thématiques et des ateliers législatifs. Le mouvement qui porte ce programme, et qui se constitue à travers la défense de ce programme, la FranceInsoumise est ouverte à tous les citoyens qui se reconnaissent dans ce programme. Au moment de la convention de Lilles, composés pour 2/3 de signataires tirés au sort, une charte a été élaborée qui engage le mouvement et ses candidats les uns envers les autres. Les candidats signent la charte Anticor. Ils s'engagent à défendre le programme l'Avenir en Commun dans la continuité de la campagne pour les présidentielles. Ils s'engagent à revenir régulièrement dans les départements pour organiser des assemblées citoyennes. Ces engagements de la part des candidats valent engagements de la part de chacun qui signe son soutien à la France Insoumise : engagement à participer aux assemblées citoyennes pour écrire la loi avec nos futurs élus, engagement à suivre les travaux de ses élus, engagement à se mobiliser quand il faudra défendre dans la rue, dans les entreprises ou ailleurs, l'application du programme l'Avenir en Commun, etc. Au lieu d'être infantilisé comme il l'est par le politique-poker, le peuple, avec la France Insoumise, est appelé à être renforcé en tant qu'acteur politique.

Philippe Gastrein,
Cahors,
30/01/2017