samedi 6 août 2011
Ignace de Loyola et les personnes prostituées – La Casa Santa Marta
Questionnaire proposé à l'entrée de la Casa, dite Santa Marta
Ignace de Loyola a fondé en 1543 à Rome la "Casa Santa Marta", qui fut une initiative novatrice de réinsertion des personnes prostituées. Voici le questionnaire qu'il a conçu et qui devait être posée aux personnes à leur entrée:
Citation par Charles Chauvin, en encadré de l'article "Ignace de Loyola et les courtisanes"; Prostitution et Société, Avril-Mai-Juin 1991.
1. Sur la situation individuelle
- quel est l'âge de la courtisane ? Quelle est sa situation familiale ? Quel est son pays d'origine ?
- Est-elle célibataire ou mariée ? A-t-elle l'intention de se marier ou de reprendre la vie conjugale ?
- Si elle est célibataire, a-t-elle l'intention de se marier ou de devenir religieuse ?
- Si elle veut devenir religieuse, le fait-elle par conviction ou par désespoir ? Quel esprit la guide-t-elle ?
- Si elle était auparavant religieuse, pour quelle raison a-t-elle quitté cet état ?
- A-t-elle contracté des maladies contagieuses ? A-t-elle des enfants? Où sont ils ?
- Est-elle endettée ou impliquée dans un procès ? A-t-elle commis des délits ?
2. Sur le règlement intérieur
- Est-elle disposée à promettre obéissance à la supérieure ?
- Accepte-t-elle de ne quitter les lieux qu'avec autorisation ?
- Possède-t-elle une fortune personnelle, mobilière ou immobilière ? En ce cas, accepte-t-elle de léguer tous ses biens à la Maison Sainte Marthe en cas de décès ?
- Accepte-t-elle de faire une confession générale ou particulière ?
- En cas de fuite, ou de départ non autorisé, elle perdra ses biens sans aucune possibilité de les réclamer ; en outre, en cas de fuite, elle sera sanctionnée par la congrégation de Rome. L'accepte-t-elle ?
Toutes ces questions seront posées aux candidates à l'entrée de la Casa Santa Marta ; les réponses en seront transcrites sur le registre du secrétariat.
mardi 12 juillet 2011
Surtout pas un autre boulot! Je voudrais enfin me rendre utile!
Un message diffusé par l'émission "là-bas si j'y suis", le 1er juillet 2011:
"Dans 26 jours pour moi ça va être l’an 01. Je vais devenir chômiste. C’est la première fois que ça m’arrive. Je n’ai pas vraiment d’expérience dans ce domaine. Alors dis-moi toi Daniel qui connaîs des radiateurs de chez pôle emploi, est-ce-que tu peux leur dire que OUI ils peuvent le donner des sous parce que NON je ne suis pas une fainéante. Est-ce-que je peux leur dire que je ne cherche pas un autre boulot, surtout pas ! Mais qu’au contraire je voudrais enfin me rendre utile.
Je peux leur dire que je veux bien planter des forêts ; écrire des histoires ; installer des toilettes sèches partout ; je veux chanter ; je veux raccommoder des habits, que je veux faire du vélo, des ateliers de cuisines végétariennes ; faire des câlins avec tous ceux qui ont besoin de câlins ; casser des portes de logements vides et les retaper pour que ceux qui n’ont pas de toit puissent en avoir un ; bricoler ; creuser des marres ; faire du lombricompostage ; construire des maisons en terre, en paille, en bois ; avoir des poules ; faire du cheval ; construire des éoliennes, des cuiseurs solaires, des phytoépurations ; transformer les (…) d’un jardin public de la ville en potager ; créer une monnaie locale ; animer des ateliers d’écriture ; marcher sur la plage ; ramasser des galets ; peindre ; jouer de l’accordéon ; gueuler contre le nucléaire, le gaz de schiste ; barbouiller les écrans publicitaires ; rigoler un bon coup ; dire bonjour à mes voisins ; ne pas faire les soldes ; ne pas faire noël, la saint-valentin ; ne pas croasser avec la croissance ; faucher les OGM.
Moi c’est ça que j’ai envie de leur dire à pôle emploi. Mais je ne sais pas dans quelle case ils vont me mettre avec tout ça…"
samedi 9 juillet 2011
Dt 23,18-19
citation pour l'article "Prostitution dans la Bible"
jeudi 26 mai 2011
"Le Mal au féminin; réflexions théologiques à partir du féminisme" - une théologie féministe universalite
« Le mal au féminin; réflexions théologiques à partir du féminisme »
vendredi 20 mai 2011
Etymologie de "pute"
Nous avons vérifié depuis. Une collègue a trouvé que « pute » viendrait du latin « puta », qui existe au masculin « putus », jeune fille et jeune garçon respectivement. Donc rien de péjoratif à l'origine!
En effet, cet article du wikipédia anglophone constate une divergence entre une étymologie de tradition française et une autre de tradition espagnole. Par exemple ce dictionnaire chilien en ligne propose une étymologie anodine, tandis que le larousse donne une étymologie puante.
Le "dictionnaire étymologique du français" de Jacqueline Picoche rapproche aussi "pute" du verbe "puer". Le verbe latin "putere" signifiant pourrir. L'animal "putois" viendrait de la même étymologie.
De mon côté, j'avais en tête une étymologie qui rapprochait "pute" du mot "puits". A regarder le dictionnaire étymologique, cela ne parait pas si invraisemblable puisque "puits" se dit "puteus" en latin, et "puiser" puteare". Je tenais cette dernière étymologie de Charles Chauvin, dans son livre "les chrétiens et la prostitution". Voici la citation (p.18-19):
"Aux lupanars [désignation latine des lieux de prostitution] et aux dictérions [grecque] succèdent les bordes et bordels, ainsi désignés parce que les bordellières rencontrent les bateliers au bord de l'eau. Le vocabulaire médiéval est révélateur: la mérétrice [meretrix - prostituée en latin savant] devient la putaria ou putea (putagium), car les puits de la rue était le lieu de rendez-vous des ribaudes, ainsi désignées parce qu'on les considérait comme des femmes débauchées."
Charles Chauvin est (était?) un latiniste reconnu, grand traducteur de Saint-Augustin. Il était très proche du Nid et du père Talvas dans les années 1980.
Le maniement de l'étymologie comme argument ou comme preuve est délicat. La manière dont notre compère la maniait était certainement la pire: une manière d'imposer une seule signification et origine au mot, donc à la chose aujourd'hui désignée. Cette manière est celle de ceux qui pense qu'en dévoilant la vérité cachée derrière la chose, et plus encore derrière le mot contingent de la chose (gnosticisme), ils prennent un pouvoir de domination à la fois sur le mot et la chose, sur ce qu'il faut penser quand on en parle. Baliser le dialogue selon son propre entendement des mots est une forme violente de communication. Cette manière d'user et d'abuser de l'étymologie comme une prise de contrôle sur les mots est une manière d'imposer son point de vue par la force. Toujours selon le "dictionnaire étymologique...", étymologie signifie "sens véritable d'un mot". La légitimité de la pensée étymologique nous ramène à la question de la vérité. "Qu'est ce que la vérité?" demanda Ponce Pilate à celui que s'était déclaré être en tant que personne "le chemin, la vérité et la vie". Vérité comme discours construit et rationnel ou vérité comme existence d'une personne vivante? D'ailleurs rigoureusement Jacqueline Picoche dans l'introduction de son dictionnaire nous averti: "L'étymologie populaire, ou regroupement instinctif des mots en "familles" supposées, provoquant d'innombrables croisements entre familles historiques, est même un des principaux facteurs de l'évolution du vocabulaire." En d'autres termes, quelque soit la réalité historique de l'apparition d'un mot à partir d'un autre, la reconstruction de son histoire, parfois fallacieuse, du fait de sa proximité phonétique avec d'autres mots, expliquent tout autant la transmission d'un mot et le sens qu'on lui donne. Il est certain qu'en langue française, et depuis longtemps, les deux mots "puer" et "pute", avec les doublets savants de puanteur "putride", "putréfaction", a du faire sens pour les générations de locuteurs de notre langue, d'autant plus qu'on s'empara du mot "pute" pour en faire une insulte.
Alors se pose plutôt la question: "qu'est ce qui fait sens pour nous aujourd'hui?" Nous ne pouvons pas nier que pour beaucoup de nos contemporains les personnes prostituées font office d'égouts, dans la tradition de la locution latine attribuée à Saint-Augustin, et reprise par Parent-Duchatelet, le médecin à l'origine de la réglementation hygiéniste des maisons en close dans la France du XIXe siècle. Mais c'est exactement cette vision des personnes prostituées que nous combattons. J'aime l'étymologie de Charles Chauvin rapprochant du "puits", parce qu'elle fait penser à une célèbre rencontre près d'un puits en Samarie. L'attitude de rencontre que manifesta Jésus à la samaritaine est un beau précédent et exemple pour notre démarche d'aller à la rencontre des personnes prostituées: les mains vides. L'étymologie que proposait ma collègue, semble être en effet la plus directe. Ne disons-nous pas "nous allons voir les filles", pour ne pas trop insister sur ce qu'elles font par ailleurs?
J'aime la pensée étymologique, mais pas à la manière violente et péremptoire de ceux qui veulent prendre contrôle des mots en connaissant leur origine. Plutôt à la manière d'un Derrida, qui certainement puise dans une tradition juive des commentaires des textes, en faisant vibrer le sens des mots à partir des proximités phonétiques, de leur histoire vérifiée ou imaginée, pour ouvrir un espace de sens plus large encore que le mot seul avec ses acceptations communes nous le permettait sans cette mise en vibration.
Alors oui, à la fois les trois étymologies. "Puta", c'est à dire "jeune fille". "Putere", c'est à dire "puanteur" ou "pourriture" et "puteare" c'est à dire "puiser". "Jeune fille" nous rappelle à quel point la prostitution a toujours été une prédation de l'enfance, "puer" nous renvoie à la stigmatisation des personnes prostituées et au cynisme des organisateurs de la prostitution qui de tout temps ont méprisés les personnes prostituées tout en les affirmant fonctionnellement nécessaire à l'instar des égouts et cloaque, et "près du puits" qui nous propose d'aller à la rencontre de ces femmes, qui ont toujours été à la fois isolées mais exposées sur des lieux de croisement public (hier les puits, aujourd'hui les trottoirs, demain les "forums" d'internet...). Le symbole du puits peut aussi nous inviter à méditer: c'est là où on puise de quoi étancher la soif, de quoi laver. Si les putes sont celles qui sont proches du puits, elles qui souvent nous disent se laver dix fois par jour obsédées par la salissure des clients, elles qui sont là à cause de manques (de soifs): manque d'argent, manque d'affection respectueuse dans leur histoire, manque d'estime... Est-ce-que nos rencontres avec elles leurs donnent l'occasion de puiser au puits auprès duquel elles se tiennent: elles-mêmes? Pour retrouver l'estime d'elles-mêmes, pour reconsidérer la valeur de l'argent qui les attachent et qui filent entre leurs doigts vis-à-vis de leur valeur propre, pour se libérer des oppressions qu'elles subissent, parfois via une affection sincère pour un maq, à l'instar de "l'amour" d'une femme battue pour son tortionnaire...
Encore quelques mots, sur les mots de la prostitution: "Péripatéticiennes" signifient "femmes qui se promènent", "qui vont et viennent"; et ça les rapprochent d'une des plus anciennes écoles de philosophie: les péripatéticiens, c'est à dire les disciples d'Aristote, car celui-ci enseignait en marchant. Une belle chute ironique que de se référer à la pensée en mouvement pour répondre au dogmatisme d'une étymologie univoque!
samedi 14 mai 2011
« Aimer le prochain comme soi-même »: Un Salut contre les maux
Ivone Gebara
« (…) Dans le concret, le mal est cette espèce de rétention de la vie pour soi-même, d'appropriation indue des biens par des personnes et des groupes qui prennent possession de la terre et de tant d'autres choses.
Le mal, c'est aussi une dysfonction entre moi et moi-même, qui m'amène à cultiver mon narcissisme, mes intérêts propres, oubliant que je suis avec et dans d'autres corps, oubliant que j'ai besoin d'eux pour exister. Le mal, c'est cette maladie inattendue qui m'atteint, qui saisit mon corps, qui me laisse à la merci des autres, qui annule mes engagements, mes possibilités de travail et mes plans sur le futur.
Le mal, c'est l'excès de biens, la concentration des richesses, du pouvoir, de la jouissance des uns au détriment de la vie des autres.
Le mal, c'est l'idolâtrie de l'individu, du blanc, du mâle, de la race pure, du peuple élu, des femmes dans les concours de beauté.
Le mal est l'affirmation de la supériorité d'un sexe sur l'autre, supériorité qui pénètre les structures sociales, politiques, culturelles et religieuses.
Le mal, c'est l'exploitation de la Terre comme objet de profit, comme capital, au détriment de la vie de populations entières.
Le mal, c'est imposer des religions, des divinités comme seules capables de sauver l'humanité.
Le mal est faire croire qu'on connaît la volonté de Dieu, qu'on peut l'enseigner et même l'imposer.
Le mal, c'est accepter un destin d'opprimée, sans lutter pour sa dignité. Le mal, c'est se taire et faire taire quand il faut dénoncer les injustices.
Le mal est perdre son bien-aimé ou sa bien-aimée, c'est souffrir de chagrin d'amour, d'oubli, d'abandon.
Pour clôturer cette interminable et monotone litanie de maux, il faut encore ajouter que le mal est toujours cela et beaucoup plus.
Le mal est donc à la fois pluriel et singulier, du présent, du passé et de l'avenir; il se fait à partir d'une expérience de déséquilibre de nos forces de vie. Et c'est effectivement à l'intérieur de ces maux que des biens, des expériences de salut voient le jour. C'est dans les lieux des larmes que des joies peuvent jaillir, que des engagements de solidarité prennent consistance, que des puissants finissent par « tomber de leur trônes ».
Il est absolument frappant de constater à nouveau que le mal a la même source que le bien, mais un bien en excès pour quelques-uns, parce que ce bien est voracité de biens et qu'il exclut volontairement d'autres du partage de vie. Mais c'est aussi un bien en manque de bien de différentes formes de vie.
(…)
Le mal est sans origine, mais les maux ne sont pas sans cause historique. Il est toujours là, mais en même temps il dépend de nous d'accentuer sa prolifération, de nous laisser contaminer de plus en plus par son virus, de lui permettre de grandir. Dès lors, il nous incombe aussi de lutter contre sa domination, contre son empire et son emprise. Dans ce chemin proposé, il faudrait peut-être s'éduquer à ne plus chercher un sens ou une causalité première pour certains « maux ». Il faudrait simplement accepter que nous avons la responsabilité de soulager les gens, d'extirper ce mal concret ici présent, comme une injustice ou une souffrance physique, sans trop chercher à en expliquer le sens. Souvent certains « maux » nous dépassent, tout comme certaines expériences de bonheur et de gratuité.
C'est dans ce sens que la question anthropologique du mal devrait être revisitée à partir de cette constatation du mélange constitutif de toute vie, et par là nous inviter à assumer une nouvelle responsabilité dans la vie de toutes les vies.
A mon avis, on pourrait re-situer ici la phrase clef attribuée à Jésus de Nazareth: « aimer le prochain comme soi-même ». Il y a dans cette phrase une dimension éthique relationnelle qu'il faudra développer dans la vie de chaque jour: des gestes de salut en découleront sous forme de justice et de sagesses de vie. Concrètement, cela a à voir avec la production d'équilibre et de déséquilibre. Si nous exagérons dans la direction de l'amour de nous-même, nous tomberons facilement dans toutes sortes de narcissismes, qui auront pour conséquence la destruction des autres ou au moins une fermeture aux cris de l'autre.
En un certain sens, le patriarcalisme est une forme sociale de narcissisme masculin, qui se manifeste dans toutes les institutions culturelles, politiques et religieuses de la majorité des groupes humains. Il s'agit d'un narcissisme comme amour du même, du semblable à moi. Aussi est-il plus facile, pour des hommes de lutter en vue de la justice sociale tout court, que pour une justice des droits égalitaires avec les femmes. L'expérience de la lutte syndicale de ces dernières années, en Amérique Latine, a bien montré combien les questions soulevées par les femmes n'ont pas toujours reçu l'appui des hommes. (…) De même, dans les institutions académiques des Eglises, les femmes n'ont pas ouvertement l'appui des hommes pour obtenir le même droit d'enseignement de la théologie. (…)
Le narcissisme s'est aussi très fort manifesté dans la politique et a produit les impérialisme, les fascismes, le nazisme, le racisme et toutes sortes d'exclusion de « l'autre », pour se protéger soi-même et ses égaux. Le narcissisme social, politique et religieux est, à mon sens, contraire à l'équilibre des forces présentes dans les valeurs de l'Evangile de Jésus.
De l'excès de narcissisme on pourra verser dans l'excès du don de soi, l'excès d'obéissance, l'excès d'humilité, le silence social, l'effacement: des comportements qui ont souvent été exigés et développés par des femmes. Cet excès, considéré comme vertu dans le monde patriarcal, est considéré comme vice dans la perspective féministe. Cet autre extrême révèle que les formes de déséquilibre existent par manque, par défaut de. Les femmes ont manqué d'amour effectif pour elles-mêmes; elles ont manqué d'autonomie, d'auto-estime, de développement de leur propre pensée, de courage pour dire non à différentes formes d'asservissement domestique, social, politique et religieux.
Cela nous ramène, une fois de plus, à la question de la différence du vécu des valeurs. Dans ce sens, ce qui est moral pour une personnes, pour un homme par exemple, ne l'est pas nécessairement pour une femme, à cause de la différence de conditions et de situations sociales. C'est cela qui nous engage à laisser les questions éthiques comme un processus ouvert aux différentes circonstances et surtout au dialogue, en vue de la construction de relations qui favorisent la vie du plus grand nombre de personnes.
Aimer l'autre comme soi-même devrait être compris dans le concret des situations où chacun-e dans sa communauté, son groupe de base, sa famille, son travail, est éthiquement obligé-e de se mettre dans la peau de l'autre. Il y a une réciprocité qui s'instaure alors et qui va au-delà d'un jugement de principe ou d'un jugement selon des lois dogmatiques pré-établies. Un consensus provisoire entre différents groupes, toujours à refaire, devrait se construire pour permettre effectivement que le bien commun ne devienne pas simplement une belle expression, présente dans nos Déclarations de Droits, mais sans efficacité concrète. »