Lors d'un débat à propos de prostitution, un participant nous interpèle: quelle est l'étymologie du mot « pute »! Face à notre hésitation à répondre, il nous est rapidement répondu que cela vient de la même origine que le mot « puer ». Empressement propre à la certitude de la connaissance fraichement acquise, il en vient à la conclusion que de tout temps « pute » est liée à la saleté dans l'esprit des gens, que « sale pute » ne serait que pléonasme, quoique certaines personnes prostituées revendiquent d'être appelée « pute » et font remarquées qu'elles ne sont pas sales...
Nous avons vérifié depuis. Une collègue a trouvé que « pute » viendrait du latin « puta », qui existe au masculin « putus », jeune fille et jeune garçon respectivement. Donc rien de péjoratif à l'origine!
En effet, cet article du wikipédia anglophone constate une divergence entre une étymologie de tradition française et une autre de tradition espagnole. Par exemple ce dictionnaire chilien en ligne propose une étymologie anodine, tandis que le larousse donne une étymologie puante.
Le "dictionnaire étymologique du français" de Jacqueline Picoche rapproche aussi "pute" du verbe "puer". Le verbe latin "putere" signifiant pourrir. L'animal "putois" viendrait de la même étymologie.
De mon côté, j'avais en tête une étymologie qui rapprochait "pute" du mot "puits". A regarder le dictionnaire étymologique, cela ne parait pas si invraisemblable puisque "puits" se dit "puteus" en latin, et "puiser" puteare". Je tenais cette dernière étymologie de Charles Chauvin, dans son livre "les chrétiens et la prostitution". Voici la citation (p.18-19):
"Aux lupanars [désignation latine des lieux de prostitution] et aux dictérions [grecque] succèdent les bordes et bordels, ainsi désignés parce que les bordellières rencontrent les bateliers au bord de l'eau. Le vocabulaire médiéval est révélateur: la mérétrice [meretrix - prostituée en latin savant] devient la putaria ou putea (putagium), car les puits de la rue était le lieu de rendez-vous des ribaudes, ainsi désignées parce qu'on les considérait comme des femmes débauchées."
Charles Chauvin est (était?) un latiniste reconnu, grand traducteur de Saint-Augustin. Il était très proche du Nid et du père Talvas dans les années 1980.
Le maniement de l'étymologie comme argument ou comme preuve est délicat. La manière dont notre compère la maniait était certainement la pire: une manière d'imposer une seule signification et origine au mot, donc à la chose aujourd'hui désignée. Cette manière est celle de ceux qui pense qu'en dévoilant la vérité cachée derrière la chose, et plus encore derrière le mot contingent de la chose (gnosticisme), ils prennent un pouvoir de domination à la fois sur le mot et la chose, sur ce qu'il faut penser quand on en parle. Baliser le dialogue selon son propre entendement des mots est une forme violente de communication. Cette manière d'user et d'abuser de l'étymologie comme une prise de contrôle sur les mots est une manière d'imposer son point de vue par la force. Toujours selon le "dictionnaire étymologique...", étymologie signifie "sens véritable d'un mot". La légitimité de la pensée étymologique nous ramène à la question de la vérité. "Qu'est ce que la vérité?" demanda Ponce Pilate à celui que s'était déclaré être en tant que personne "le chemin, la vérité et la vie". Vérité comme discours construit et rationnel ou vérité comme existence d'une personne vivante? D'ailleurs rigoureusement Jacqueline Picoche dans l'introduction de son dictionnaire nous averti: "L'étymologie populaire, ou regroupement instinctif des mots en "familles" supposées, provoquant d'innombrables croisements entre familles historiques, est même un des principaux facteurs de l'évolution du vocabulaire." En d'autres termes, quelque soit la réalité historique de l'apparition d'un mot à partir d'un autre, la reconstruction de son histoire, parfois fallacieuse, du fait de sa proximité phonétique avec d'autres mots, expliquent tout autant la transmission d'un mot et le sens qu'on lui donne. Il est certain qu'en langue française, et depuis longtemps, les deux mots "puer" et "pute", avec les doublets savants de puanteur "putride", "putréfaction", a du faire sens pour les générations de locuteurs de notre langue, d'autant plus qu'on s'empara du mot "pute" pour en faire une insulte.
Alors se pose plutôt la question: "qu'est ce qui fait sens pour nous aujourd'hui?" Nous ne pouvons pas nier que pour beaucoup de nos contemporains les personnes prostituées font office d'égouts, dans la tradition de la locution latine attribuée à Saint-Augustin, et reprise par Parent-Duchatelet, le médecin à l'origine de la réglementation hygiéniste des maisons en close dans la France du XIXe siècle. Mais c'est exactement cette vision des personnes prostituées que nous combattons. J'aime l'étymologie de Charles Chauvin rapprochant du "puits", parce qu'elle fait penser à une célèbre rencontre près d'un puits en Samarie. L'attitude de rencontre que manifesta Jésus à la samaritaine est un beau précédent et exemple pour notre démarche d'aller à la rencontre des personnes prostituées: les mains vides. L'étymologie que proposait ma collègue, semble être en effet la plus directe. Ne disons-nous pas "nous allons voir les filles", pour ne pas trop insister sur ce qu'elles font par ailleurs?
J'aime la pensée étymologique, mais pas à la manière violente et péremptoire de ceux qui veulent prendre contrôle des mots en connaissant leur origine. Plutôt à la manière d'un Derrida, qui certainement puise dans une tradition juive des commentaires des textes, en faisant vibrer le sens des mots à partir des proximités phonétiques, de leur histoire vérifiée ou imaginée, pour ouvrir un espace de sens plus large encore que le mot seul avec ses acceptations communes nous le permettait sans cette mise en vibration.
Alors oui, à la fois les trois étymologies. "Puta", c'est à dire "jeune fille". "Putere", c'est à dire "puanteur" ou "pourriture" et "puteare" c'est à dire "puiser". "Jeune fille" nous rappelle à quel point la prostitution a toujours été une prédation de l'enfance, "puer" nous renvoie à la stigmatisation des personnes prostituées et au cynisme des organisateurs de la prostitution qui de tout temps ont méprisés les personnes prostituées tout en les affirmant fonctionnellement nécessaire à l'instar des égouts et cloaque, et "près du puits" qui nous propose d'aller à la rencontre de ces femmes, qui ont toujours été à la fois isolées mais exposées sur des lieux de croisement public (hier les puits, aujourd'hui les trottoirs, demain les "forums" d'internet...). Le symbole du puits peut aussi nous inviter à méditer: c'est là où on puise de quoi étancher la soif, de quoi laver. Si les putes sont celles qui sont proches du puits, elles qui souvent nous disent se laver dix fois par jour obsédées par la salissure des clients, elles qui sont là à cause de manques (de soifs): manque d'argent, manque d'affection respectueuse dans leur histoire, manque d'estime... Est-ce-que nos rencontres avec elles leurs donnent l'occasion de puiser au puits auprès duquel elles se tiennent: elles-mêmes? Pour retrouver l'estime d'elles-mêmes, pour reconsidérer la valeur de l'argent qui les attachent et qui filent entre leurs doigts vis-à-vis de leur valeur propre, pour se libérer des oppressions qu'elles subissent, parfois via une affection sincère pour un maq, à l'instar de "l'amour" d'une femme battue pour son tortionnaire...
Encore quelques mots, sur les mots de la prostitution: "Péripatéticiennes" signifient "femmes qui se promènent", "qui vont et viennent"; et ça les rapprochent d'une des plus anciennes écoles de philosophie: les péripatéticiens, c'est à dire les disciples d'Aristote, car celui-ci enseignait en marchant. Une belle chute ironique que de se référer à la pensée en mouvement pour répondre au dogmatisme d'une étymologie univoque!
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