Transcription d'un message laissé sur le répondeur de là-bas si j'y suis par Claude, le 10 mars 2010.
« Des prêtres qui ont eu le tort de se mêler de ce qui ne les regarde pas. » Cette phrase, Daniel [Mermet], elle est sortie de ta bouche au cours de l’émission ce lundi 8 mars consacrée à Monseigneur Oscar Romero. Tu l’as utilisée pour, en quelque sorte, exprimer les raisons par lesquelles un très violent pouvoir de droite, voire d’extrême droite, a justifié l’assassinat de Monseigneur Romero le 25 mars 1980, et de sept jésuites le 16 novembre 1989. Ce qui est amusant, c’est que cette phrase, elle aurait pu parfaitement être proférée par les défenseurs de la laïcité, pour justifier la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Après tout, c’est vrai, les prêtres, ils ont qu’à ce mêler de ce qui les regarde. Qu’ils s’occupent de la religion. Mais qu’ils laissent les affaires publiques et républicaines tranquilles. C’est vrai ! Sauf que ça [ne] colle pas toujours. Et moi j’aime les vérités qui sortent du langage à leur insu. « Z-avez qu’à pas se mêler de ce qui ne les regardait pas ». C’est une formule par laquelle on raille souvent le pouvoir chaque fois qu’il élimine les gens qui le dérangent. Ceux qui laissent traîner leurs cheveux sur leur soupe, selon l’image de Nougaro. Comme quoi, le problème n’est pas qu’il ne faut pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Mais c’est de savoir dans quelles circonstances cette recommandation est justifiée. Et dans quels cas, elle ne l’est pas. Et on débouche sur le constat que la véritable question est celle du pouvoir. On voit très bien que lorsque c’est le pouvoir politique qui prescrit aux citoyens de ne pas se mêler de ce qui ne les regarde pas, c’est qu’à tout les coup les citoyens ont eu raison de le faire ! Parce que justement, ça les regarde ! Parce que ça regarde tout le monde la conduite des affaires publiques. Parce que ça regarde tout le monde la politique. Et seuls les pouvoirs autoritaires ne sont pas cet avis. Ils voudraient faire leur cuisine sans que personne ne soulève les couvercles de leurs marmites. De la même façon, ce droit de chacun de se mêler des affaires publiques, c’est l’idée qui est à la base de la laïcité. Qui l’inspire. La laïcité ça veut dire : nous refusons qu’une minorité au pouvoir, une élite, dicte à la majorité, c'est-à-dire à la masse, au peuple, lui dicte ce qu’il doit faire, à quelles prescriptions il doit obéir alors qu’il n’a même pas été consulté lors de l’élaboration de ce catéchisme, qu’il soit religieux ou civil. Vous comprenez ça ! c’est la même idée. C’est parce que je considère que j’ai à me mêler de ce qui me regarde même lorsque le pouvoir veut me l’interdire que je considère aussi que le pouvoir n’a pas à se mêler de ce qui ne le regarde pas. Et il se mêle de ce qui ne le regarde pas chaque fois qu’il prescrit sans consulter. (Et ne parlons pas des consultations bidons auxquelles il nous a habitués, je veux dire bien entendu les élections.) C’est pourquoi, les partisans de la laïcité, qui l’a réduisent à l’opposition entre l’Eglise et l’Etat, sont des imbéciles. Ils confondent le principe de la laïcité avec une de ses occurrences, une des étapes historiques de la lutte du peuple, c'est-à-dire des citoyens ordinaires, en vue de son émancipation. Et cette imbécillité a malheureusement des conséquences tragiques pour l’émancipation du peuple. Parce qu’elle le plonge dans la plus grande confusion. Car enfin ! qui est le plus laïque entre Monseigneur Romero, partisan de la téhologie de la libération, et le très laïque pouvoir en place, que ce soit au Salvador ou en France aussi (et je pense à tous ces imposteurs qui de nos jours en France rêvent de pénaliser le port du voile islamique au nom d’une laïcité qui refusent bien entendu de mélanger religion et politique, surtout lorsque la religion se range du côté du peuple.) ? Parce que, que je sache, tous ces laïques indignés par la candidature d’une femme voilée sur une liste du NPA lors des élections régionales à venir, ne sont pas choqués que l’Allemagne soit gouvernée par Angela Merkel, issue du CDU, entendez « christliche democratische Union », branche allemande de la démocratie chrétienne, mouvement politique dont était issu en France quelqu’un comme Robert Schumann, que l’on ne cesse de glorifier comme l’un des pères de l’Europe. De même qu’ils ne sont pas d’avantage par le fait que le président des Etats-Unis prête serment sur la Bible. De même qu’ils se sont tous, ou presque, bien réjouis de l’influence du pape Jean-Paul II, qui à ce que je sache était pourtant une éminence religieuse, dans l’effondrement du bloc communiste. Et tu sais pourquoi, Daniel, ils ne sont pas choqués ? Bin, parce qu’ils ne sont pas du tout laïques ! au sens réel de la laïcité, c'est-à-dire « principe et condition de l’émancipation du peuple ». Ils utilisent le langage de la laïcité. Mais n’en ont pas l’esprit. Eux, ce qui les intéressent, c’est la pérennisation de la sujétion du peuple au pouvoir des oligarques. Et ce pouvoir a pris historiquement diverses apparences : l’Eglise, la monarchie… La révolution a renversé la monarchie. L’Eglise a perdu de son pouvoir de coercition. Mais l’on a pas changé la marche du monde. L’oligarchie s’appelle désormais « démocratie libérale ». Et les démocrates libéraux n’aiment pas l’Amérique Latine lorsqu’elle n’est pas sous la botte des dictateurs. Bon ! ils vont s’y prendre autrement. Et cet imbécile de Lula s’imagine que le Brésil est sorti d’affaire parce qu’il va organiser les jeux olympiques. Eh bien moi je vous le dis : je considère que la théologie de la libération, quoique théologique, et pourtant condamnée par Jean-Paul II, est beaucoup plus laïque que les démocraties libérales. »
1 commentaire:
Je reproduis votre texte sur mon blog avec les liens d'usage.
Amitiés blogueuses
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