Transcription d'un message laissé sur le répondeur de là-bas si j'y suis par Claude, le 10 mars 2010.
« Des prêtres qui ont eu le tort de se mêler de ce qui ne les regarde pas. » Cette phrase, Daniel [Mermet], elle est sortie de ta bouche au cours de l’émission ce lundi 8 mars consacrée à Monseigneur Oscar Romero. Tu l’as utilisée pour, en quelque sorte, exprimer les raisons par lesquelles un très violent pouvoir de droite, voire d’extrême droite, a justifié l’assassinat de Monseigneur Romero le 25 mars 1980, et de sept jésuites le 16 novembre 1989. Ce qui est amusant, c’est que cette phrase, elle aurait pu parfaitement être proférée par les défenseurs de la laïcité, pour justifier la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Après tout, c’est vrai, les prêtres, ils ont qu’à ce mêler de ce qui les regarde. Qu’ils s’occupent de la religion. Mais qu’ils laissent les affaires publiques et républicaines tranquilles. C’est vrai ! Sauf que ça [ne] colle pas toujours. Et moi j’aime les vérités qui sortent du langage à leur insu. « Z-avez qu’à pas se mêler de ce qui ne les regardait pas ». C’est une formule par laquelle on raille souvent le pouvoir chaque fois qu’il élimine les gens qui le dérangent. Ceux qui laissent traîner leurs cheveux sur leur soupe, selon l’image de Nougaro. Comme quoi, le problème n’est pas qu’il ne faut pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Mais c’est de savoir dans quelles circonstances cette recommandation est justifiée. Et dans quels cas, elle ne l’est pas. Et on débouche sur le constat que la véritable question est celle du pouvoir. On voit très bien que lorsque c’est le pouvoir politique qui prescrit aux citoyens de ne pas se mêler de ce qui ne les regarde pas, c’est qu’à tout les coup les citoyens ont eu raison de le faire ! Parce que justement, ça les regarde ! Parce que ça regarde tout le monde la conduite des affaires publiques. Parce que ça regarde tout le monde la politique. Et seuls les pouvoirs autoritaires ne sont pas cet avis. Ils voudraient faire leur cuisine sans que personne ne soulève les couvercles de leurs marmites. De la même façon, ce droit de chacun de se mêler des affaires publiques, c’est l’idée qui est à la base de la laïcité. Qui l’inspire. La laïcité ça veut dire : nous refusons qu’une minorité au pouvoir, une élite, dicte à la majorité, c'est-à-dire à la masse, au peuple, lui dicte ce qu’il doit faire, à quelles prescriptions il doit obéir alors qu’il n’a même pas été consulté lors de l’élaboration de ce catéchisme, qu’il soit religieux ou civil. Vous comprenez ça ! c’est la même idée. C’est parce que je considère que j’ai à me mêler de ce qui me regarde même lorsque le pouvoir veut me l’interdire que je considère aussi que le pouvoir n’a pas à se mêler de ce qui ne le regarde pas. Et il se mêle de ce qui ne le regarde pas chaque fois qu’il prescrit sans consulter. (Et ne parlons pas des consultations bidons auxquelles il nous a habitués, je veux dire bien entendu les élections.) C’est pourquoi, les partisans de la laïcité, qui l’a réduisent à l’opposition entre l’Eglise et l’Etat, sont des imbéciles. Ils confondent le principe de la laïcité avec une de ses occurrences, une des étapes historiques de la lutte du peuple, c'est-à-dire des citoyens ordinaires, en vue de son émancipation. Et cette imbécillité a malheureusement des conséquences tragiques pour l’émancipation du peuple. Parce qu’elle le plonge dans la plus grande confusion. Car enfin ! qui est le plus laïque entre Monseigneur Romero, partisan de la téhologie de la libération, et le très laïque pouvoir en place, que ce soit au Salvador ou en France aussi (et je pense à tous ces imposteurs qui de nos jours en France rêvent de pénaliser le port du voile islamique au nom d’une laïcité qui refusent bien entendu de mélanger religion et politique, surtout lorsque la religion se range du côté du peuple.) ? Parce que, que je sache, tous ces laïques indignés par la candidature d’une femme voilée sur une liste du NPA lors des élections régionales à venir, ne sont pas choqués que l’Allemagne soit gouvernée par Angela Merkel, issue du CDU, entendez « christliche democratische Union », branche allemande de la démocratie chrétienne, mouvement politique dont était issu en France quelqu’un comme Robert Schumann, que l’on ne cesse de glorifier comme l’un des pères de l’Europe. De même qu’ils ne sont pas d’avantage par le fait que le président des Etats-Unis prête serment sur la Bible. De même qu’ils se sont tous, ou presque, bien réjouis de l’influence du pape Jean-Paul II, qui à ce que je sache était pourtant une éminence religieuse, dans l’effondrement du bloc communiste. Et tu sais pourquoi, Daniel, ils ne sont pas choqués ? Bin, parce qu’ils ne sont pas du tout laïques ! au sens réel de la laïcité, c'est-à-dire « principe et condition de l’émancipation du peuple ». Ils utilisent le langage de la laïcité. Mais n’en ont pas l’esprit. Eux, ce qui les intéressent, c’est la pérennisation de la sujétion du peuple au pouvoir des oligarques. Et ce pouvoir a pris historiquement diverses apparences : l’Eglise, la monarchie… La révolution a renversé la monarchie. L’Eglise a perdu de son pouvoir de coercition. Mais l’on a pas changé la marche du monde. L’oligarchie s’appelle désormais « démocratie libérale ». Et les démocrates libéraux n’aiment pas l’Amérique Latine lorsqu’elle n’est pas sous la botte des dictateurs. Bon ! ils vont s’y prendre autrement. Et cet imbécile de Lula s’imagine que le Brésil est sorti d’affaire parce qu’il va organiser les jeux olympiques. Eh bien moi je vous le dis : je considère que la théologie de la libération, quoique théologique, et pourtant condamnée par Jean-Paul II, est beaucoup plus laïque que les démocraties libérales. »
jeudi 29 avril 2010
mardi 27 avril 2010
Consensus sur la Burqa et guerre contre les religions
Transcription d'un message laissé sur le répondeur de là-bas si j'y suis par Claude, le 26 avril 2010.
« Le consensus, tout le monde en rêve bien sûr. Surtout le consensus pour la bonne cause. Le problème, c’est que quand il a lieu, eh bien ça fait froid dans le dos. Alors en ce moment il y a le consensus contre le port de la burqa. De l’extrême droite à l’extrême gauche, sont tous contre le port de la burqa au nom de l’émancipation de la femme. Bon, on s’invective un petit peu sur la méthode, une loi ! pas de loi ! et en plus une loi est-elle applicable ? enfin toutes les ergoteries, fonds de commerce des média. En attendant on peut constater que 60 millions de français tombent à grand raccourci sur deux milles femmes et surtout sur leurs méchants maris intégristes. Parce que le véritable ennemi, c’est l’intégrisme religieux ! Parce que l’intégrisme ne peut être que religieux ! Bien entendu ! Eh bien moi, ça m’interroge ça, voyez… je me demande ce que signifie cet acharnement contre la religion. Et c’est un incroyant qui vous parle ! Pourquoi est-ce que nos contemporains en ont tellement après la religion, comme si elle était la source, elle seule ! la source de tous nos maux. Quelle est la signification de cet acharnement à vouloir imposer la raison comme régulateur de nos valeurs ? Et rassurez-vous, je n’ai que du mépris pour la déclaration de Nicolas Sarkosy en faveur du curé contre l’instituteur. Ce que je veux dire, c’est autre chose. Ce combat contre les religions me paraît considérablement suspect parce qu’il dissimule un autre enjeu plus profond. Celui soulevé par le commentaire que Sartre, qui n’était pas croyant que je sache, fait de la formule de Dostoïevski dans les frères Karamasov : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis. » Il est là l’enjeu. Rappelez-vous de la campagne du candidat Sarkosy : « avec Sarkosy, tout devient possible ». Selon moi, mais ça demande à être fouillé, einh ! le véritable enjeu de la guerre contre les religions (ce n’est plus la guerre des religions, mais la guerre contre les religions) c’est l’affirmation de la toute puissance de l’homme. Ce qui n’est pas la même chose que la capacité de l’homme à forger son destin. Et c’est d’ailleurs sur cette confusion possible que la pensée de gauche se fait piéger. »
« Le consensus, tout le monde en rêve bien sûr. Surtout le consensus pour la bonne cause. Le problème, c’est que quand il a lieu, eh bien ça fait froid dans le dos. Alors en ce moment il y a le consensus contre le port de la burqa. De l’extrême droite à l’extrême gauche, sont tous contre le port de la burqa au nom de l’émancipation de la femme. Bon, on s’invective un petit peu sur la méthode, une loi ! pas de loi ! et en plus une loi est-elle applicable ? enfin toutes les ergoteries, fonds de commerce des média. En attendant on peut constater que 60 millions de français tombent à grand raccourci sur deux milles femmes et surtout sur leurs méchants maris intégristes. Parce que le véritable ennemi, c’est l’intégrisme religieux ! Parce que l’intégrisme ne peut être que religieux ! Bien entendu ! Eh bien moi, ça m’interroge ça, voyez… je me demande ce que signifie cet acharnement contre la religion. Et c’est un incroyant qui vous parle ! Pourquoi est-ce que nos contemporains en ont tellement après la religion, comme si elle était la source, elle seule ! la source de tous nos maux. Quelle est la signification de cet acharnement à vouloir imposer la raison comme régulateur de nos valeurs ? Et rassurez-vous, je n’ai que du mépris pour la déclaration de Nicolas Sarkosy en faveur du curé contre l’instituteur. Ce que je veux dire, c’est autre chose. Ce combat contre les religions me paraît considérablement suspect parce qu’il dissimule un autre enjeu plus profond. Celui soulevé par le commentaire que Sartre, qui n’était pas croyant que je sache, fait de la formule de Dostoïevski dans les frères Karamasov : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis. » Il est là l’enjeu. Rappelez-vous de la campagne du candidat Sarkosy : « avec Sarkosy, tout devient possible ». Selon moi, mais ça demande à être fouillé, einh ! le véritable enjeu de la guerre contre les religions (ce n’est plus la guerre des religions, mais la guerre contre les religions) c’est l’affirmation de la toute puissance de l’homme. Ce qui n’est pas la même chose que la capacité de l’homme à forger son destin. Et c’est d’ailleurs sur cette confusion possible que la pensée de gauche se fait piéger. »
samedi 17 avril 2010
La Prostitution dans la Bible
(en cours de rédaction) Cet article fait la liste des références bibliques se rapportant à la prostitution. Voir aussi "les chrétiens et la prostitution".
Parmi les prophètes, la thématique de la prostitution est clairement reliée à la question de l'idolâtrie, à tel point que souvent l'une semble être synonime de l'autre. Ce qui se joue au niveau individuel dans la prostitution sert d'analogie pour dénoncer les enjeux au niveau collectif dans l'idolâtrie du peuple, par la faute de ses dirigeants politiques et religieux.
Cantique des Cantiques
Ct 8,7b
"Si quelqu'un donnait tout l'avoir de sa maison en échange de l'amour, à coup sûr on le mépriserait."
Pr 5,1-6
Pr 7,6-27
Si 26,9-12
Thamar (Gn 38), qui s'est faite passer pour prostituée auprès de son beau-père pour obtenir une descendance, et Rahab (Josué 2), prostituée à Jéricho qui participera à la victoire des hébreux et dont la famille sera incorporée au peuple élu, font partie des rares femmes citées dans la généalogie de Jésus.
Mt 21,31
Attitude de Jésus avec les femmes que les contemporains ou la tradition ont suspecté d'être des prostituées.
Je donne la traduction de la T.O.B.
1) La Loi
2) Les Prophètes
Parmi les prophètes, la thématique de la prostitution est clairement reliée à la question de l'idolâtrie, à tel point que souvent l'une semble être synonime de l'autre. Ce qui se joue au niveau individuel dans la prostitution sert d'analogie pour dénoncer les enjeux au niveau collectif dans l'idolâtrie du peuple, par la faute de ses dirigeants politiques et religieux.
a) Osée
b) Amos
c) Isaïe
d) Ezéchiel
3) "Autres écrits"
Cantique des Cantiques
Ct 8,7b
"Si quelqu'un donnait tout l'avoir de sa maison en échange de l'amour, à coup sûr on le mépriserait."
Pr 5,1-6
Pr 7,6-27
Si 26,9-12
4) Les Evangiles
Mt1,3Thamar (Gn 38), qui s'est faite passer pour prostituée auprès de son beau-père pour obtenir une descendance, et Rahab (Josué 2), prostituée à Jéricho qui participera à la victoire des hébreux et dont la famille sera incorporée au peuple élu, font partie des rares femmes citées dans la généalogie de Jésus.
Mt 21,31
Attitude de Jésus avec les femmes que les contemporains ou la tradition ont suspecté d'être des prostituées.
Lc 7,36-49
5) Ecrits Apostoliques
Paul
1Co 6, 10
Apocalypse de Jean
Ap 17
Augustin d'Hippone et la prostitution
(note pour l'article "les chrétiens et la prostitution"):
On prête souvent à Augustin la responsabilité de la tolérance fataliste des chrétiens vis à vis de la prostitution.
Deux citations attribuées à Augustin sont à l'origine de cette "rumeur" (selon le terme de Charles Chauvin).
Une première est tirée du traité "De l'ordre" (De Ordine II, IV, 12). Il s'agit d'un discours de rhétorique écrit par Augustin peu après sa conversion au christianisme, alors qu'il n'étais pas encore évêque, où il est question de maux évitant de maux plus grands (torture des bourreaux censé éviter le crime, prostitution censée éviter la débouche). On ne peut pas lui attribuer la même autorité que d'autres écrits d'Augustin, une fois devenu pasteur d'Hippone.
La seconde est citée par Ptolémée de Lucque: "Il [Augustin] dit que la femme publique est dans la société ce que la sentine est dans la mer et le cloaque dans le palais. Retranche le cloaque et tout le palais sera infecté." Or cette citation ne se trouve dans aucune des oeuvres d'Augustin qui nous sont parvenus (d'après Charles Chauvin). C'est aussi la citation la plus souvent utilisée pour justifier la prostitution...
Ces deux citations ont été largement utilisé par les théologiens et les moralistes du moyen-âge, puis jusqu'au début du XXe siècle, pour justifier une tolérance vis à vis du système prostitutionnel tout en continuant à stigmatiser les personnes prostituées.
Cependant, une fois évêque, Augustin a eu des paroles claires et fermes condamnant la prostitution comme institution, mais incitant à accueillir les personnes prostituées avec bienveillance, en leur proposant la conversion. Ces discours se basent, eux, sur des références scripturaires, et ne relèvent pas d'une opinion du temps.
source:
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.21; p.56-60
On prête souvent à Augustin la responsabilité de la tolérance fataliste des chrétiens vis à vis de la prostitution.
Deux citations attribuées à Augustin sont à l'origine de cette "rumeur" (selon le terme de Charles Chauvin).
Une première est tirée du traité "De l'ordre" (De Ordine II, IV, 12). Il s'agit d'un discours de rhétorique écrit par Augustin peu après sa conversion au christianisme, alors qu'il n'étais pas encore évêque, où il est question de maux évitant de maux plus grands (torture des bourreaux censé éviter le crime, prostitution censée éviter la débouche). On ne peut pas lui attribuer la même autorité que d'autres écrits d'Augustin, une fois devenu pasteur d'Hippone.
La seconde est citée par Ptolémée de Lucque: "Il [Augustin] dit que la femme publique est dans la société ce que la sentine est dans la mer et le cloaque dans le palais. Retranche le cloaque et tout le palais sera infecté." Or cette citation ne se trouve dans aucune des oeuvres d'Augustin qui nous sont parvenus (d'après Charles Chauvin). C'est aussi la citation la plus souvent utilisée pour justifier la prostitution...
Ces deux citations ont été largement utilisé par les théologiens et les moralistes du moyen-âge, puis jusqu'au début du XXe siècle, pour justifier une tolérance vis à vis du système prostitutionnel tout en continuant à stigmatiser les personnes prostituées.
Cependant, une fois évêque, Augustin a eu des paroles claires et fermes condamnant la prostitution comme institution, mais incitant à accueillir les personnes prostituées avec bienveillance, en leur proposant la conversion. Ces discours se basent, eux, sur des références scripturaires, et ne relèvent pas d'une opinion du temps.
source:
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.21; p.56-60
Prostitution intolérable, chez Augustin, évêque d'Hippone
Citation pour l'article: "les chrétiens et la prostitution" et "Augustin et la prostitution".
Sermon à Bulla Regia (411),
Cité dans « Les Chrétiens et la prostitution » de Charles Chauvin; Cerf, Paris, 1983, p.59
"à la veille d'une fête qui se déroulait toujours avec le concours de prostituées":
"C'est peut-être pour en trouver que certaines gens viennent dans votre ville... Or voici, des jeux vont justement avoir lieu: n'y aller pas! Nous voulons voir si la salle ne se videra pas au point que les [entremetteurs] auront honte de leur honteuse profession! Qu'ils se convertissent ou qu'ils décampent!
(...)
Des chrétiens non seulement donnent leur coeur aux prostituées, mais ils entraînnent dans cette souillure des femmes qui en étaient indemnes.
(...)
Comme si ces créatures n'avaient point d'âme! comme si le sang du Christ n'avait pas encore été répandu pour elles aussi! comme si l'Ecriture ne déclarait pas: les courtisanes et les publicains vous précéderont dans le Royaume des Cieux! (Mt 21,31)".
Voir aussi
De la Foi et des Oeuvres
Des moeurs dans l'Eglise catholique et des moeurs des manichéens.
De la continence
Sermon à Bulla Regia (411),
Cité dans « Les Chrétiens et la prostitution » de Charles Chauvin; Cerf, Paris, 1983, p.59
"à la veille d'une fête qui se déroulait toujours avec le concours de prostituées":
"C'est peut-être pour en trouver que certaines gens viennent dans votre ville... Or voici, des jeux vont justement avoir lieu: n'y aller pas! Nous voulons voir si la salle ne se videra pas au point que les [entremetteurs] auront honte de leur honteuse profession! Qu'ils se convertissent ou qu'ils décampent!
(...)
Des chrétiens non seulement donnent leur coeur aux prostituées, mais ils entraînnent dans cette souillure des femmes qui en étaient indemnes.
(...)
Comme si ces créatures n'avaient point d'âme! comme si le sang du Christ n'avait pas encore été répandu pour elles aussi! comme si l'Ecriture ne déclarait pas: les courtisanes et les publicains vous précéderont dans le Royaume des Cieux! (Mt 21,31)".
Voir aussi
De la Foi et des Oeuvres
Des moeurs dans l'Eglise catholique et des moeurs des manichéens.
De la continence
Prostitution intolérable, chez Alphonse de Liguori
Citation pour l'article: "les chrétiens et la prostitution"
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.66
Cours de Morale (1740)
Alphonse de Liguori:
"Est-il permis d'autoriser les prostituées? Les probabilistes répondent affirmativement. Ils disent qu'à cette opinion saint Augustin a donné clairement son adhésion: "Supprimez les prostituées, des péchés pires surviendront: exemple, la sodomie, la pollution, sans parler du danger auquel les honnêtes femmes seront exposées." Les Pères de Salamanque concèdent cette autorisation seulement "dans certaines villes" afin d'éviter des maux plus grands. (...) Les maux les plus graves ne sont pas évités par la tolérance des prostituées: pour les hommes voluptueux, les passions sont exaspérées en fréquentant si facilement et si souvent les prostituées. (...) Ainsi quand ce vice se développe, ils ne cessent de commettre les pollutions ou au autres péchés abominables, en tout cas au moins avec les prostituées elles-mêmes. Et ils ne s'abstiennent pas non plus de provoquer les femmes honnêtes, bien au contraire. La tolérance des prostituées ajoute de multiples autres maux: la prostitution des jeunes filles, les dépenses d'argent, la vénalité de certains parents, la négligence à l'étude, la multiplication des bagarres, le mépris des mariages honnêtes."
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.66
Cours de Morale (1740)
Alphonse de Liguori:
"Est-il permis d'autoriser les prostituées? Les probabilistes répondent affirmativement. Ils disent qu'à cette opinion saint Augustin a donné clairement son adhésion: "Supprimez les prostituées, des péchés pires surviendront: exemple, la sodomie, la pollution, sans parler du danger auquel les honnêtes femmes seront exposées." Les Pères de Salamanque concèdent cette autorisation seulement "dans certaines villes" afin d'éviter des maux plus grands. (...) Les maux les plus graves ne sont pas évités par la tolérance des prostituées: pour les hommes voluptueux, les passions sont exaspérées en fréquentant si facilement et si souvent les prostituées. (...) Ainsi quand ce vice se développe, ils ne cessent de commettre les pollutions ou au autres péchés abominables, en tout cas au moins avec les prostituées elles-mêmes. Et ils ne s'abstiennent pas non plus de provoquer les femmes honnêtes, bien au contraire. La tolérance des prostituées ajoute de multiples autres maux: la prostitution des jeunes filles, les dépenses d'argent, la vénalité de certains parents, la négligence à l'étude, la multiplication des bagarres, le mépris des mariages honnêtes."
prostitution: moindre mal, chez Augustin pas encore d'Hippone
Citation pour l'article: "les chrétiens et la prostitution" et "Augustin et la prostitution".
De Ordine, II, IV, 12
Saint-Augustin
Cité dans
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.57
"Qu'y a-t-il de plus sordide, de plus misérable, de plus honteux et de plus déshonorant que la condition des prostituées, des entremetteuses et tous les autres fléaux de même espèce? Chasse les courtisanes, aussitôt les passions troubleront tout. Mets-les à la place des femmes mariées, tu sèmes l'infamie et le déshonneur. Ainsi donc ces gens quant aux moeurs ont une vie tout à fait impure, mais les lois de l'ordre leur assignent une place, la plus vile qui soit."
(...)
"En chassant les prostituées tu introduiras partout des passions."
en latin:
4. 12. Quam magna, inquam, quam mira mihi per vos Deus ille atque ipse, ut magis magisque credere adducor, rerum nescio quis occultus ordo respondet! Nam ea dicitis quae nec quomodo dicantur non visa, nec quomodo ea videatis intellego; ita ea et vera et alta esse suspicor. Simile autem aliquod in istam sententiam tu fortasse unum requirebas. At mihi iam occurrunt innumerabilia, quae me ad consentiendum prorsus trahunt. Quid enim carnifice tetrius? quid illo animo truculentius atque dirius? At inter ipsas leges locum necessarium tenet et in bene moderatae civitatis ordinem inseritur estque suo animo nocens, ordine autem alieno poena nocentium. Quid sordidius, quid inanius decoris et turpitudinis plenius meretricibus, lenonibus caeterisque hoc genus pestibus dici potest? Aufer meretrices de rebus humanis, turbaveris omnia libidinibus: constitue matronarum loco, labe ac dedecore dehonestaveris. Sic igitur hoc genus hominum per suos mores impurissimum vita, per ordinis leges conditione vilissimum. Nonne in corporibus animantium quaedam membra, si sola attendas, non possis attendere? Tamen ea naturae ordo nec quia necessaria sunt, deesse voluit, nec quia indecora, eminere permisit. Quae tamen deformia suos locos tenendo, meliorem locum concessere melioribus. Quid nobis suavius, quod agro villaeque spectaculum congruentius fuit pugna illa conflictuque gallinaceorum gallorum, cuius superiore libro fecimus mentionem. Quid abiectius tamen deformitate subiecti vidimus? Et per ipsam tamen eiusdem certaminis perfectior pulchritudo provenerat.
(est-ce juste?)
De Ordine, II, IV, 12
Saint-Augustin
Cité dans
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.57
"Qu'y a-t-il de plus sordide, de plus misérable, de plus honteux et de plus déshonorant que la condition des prostituées, des entremetteuses et tous les autres fléaux de même espèce? Chasse les courtisanes, aussitôt les passions troubleront tout. Mets-les à la place des femmes mariées, tu sèmes l'infamie et le déshonneur. Ainsi donc ces gens quant aux moeurs ont une vie tout à fait impure, mais les lois de l'ordre leur assignent une place, la plus vile qui soit."
(...)
"En chassant les prostituées tu introduiras partout des passions."
en latin:
4. 12. Quam magna, inquam, quam mira mihi per vos Deus ille atque ipse, ut magis magisque credere adducor, rerum nescio quis occultus ordo respondet! Nam ea dicitis quae nec quomodo dicantur non visa, nec quomodo ea videatis intellego; ita ea et vera et alta esse suspicor. Simile autem aliquod in istam sententiam tu fortasse unum requirebas. At mihi iam occurrunt innumerabilia, quae me ad consentiendum prorsus trahunt. Quid enim carnifice tetrius? quid illo animo truculentius atque dirius? At inter ipsas leges locum necessarium tenet et in bene moderatae civitatis ordinem inseritur estque suo animo nocens, ordine autem alieno poena nocentium. Quid sordidius, quid inanius decoris et turpitudinis plenius meretricibus, lenonibus caeterisque hoc genus pestibus dici potest? Aufer meretrices de rebus humanis, turbaveris omnia libidinibus: constitue matronarum loco, labe ac dedecore dehonestaveris. Sic igitur hoc genus hominum per suos mores impurissimum vita, per ordinis leges conditione vilissimum. Nonne in corporibus animantium quaedam membra, si sola attendas, non possis attendere? Tamen ea naturae ordo nec quia necessaria sunt, deesse voluit, nec quia indecora, eminere permisit. Quae tamen deformia suos locos tenendo, meliorem locum concessere melioribus. Quid nobis suavius, quod agro villaeque spectaculum congruentius fuit pugna illa conflictuque gallinaceorum gallorum, cuius superiore libro fecimus mentionem. Quid abiectius tamen deformitate subiecti vidimus? Et per ipsam tamen eiusdem certaminis perfectior pulchritudo provenerat.
(est-ce juste?)
Eglise, Casta meretrix
Citation pour l'article: "les chrétiens et la prostitution"
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.56
"Saint-Ambroise (...) ne craignait pas de décrire l'Eglise comme une casta meretrix: titre qu'a repris Urs von Balthasar pour analyser de façon détaillée et magistrale cette typologie de la prostituée convertie, image de l'Eglise, que le sang du Christ purifie chaque jour."
Sources?
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
p.56
"Saint-Ambroise (...) ne craignait pas de décrire l'Eglise comme une casta meretrix: titre qu'a repris Urs von Balthasar pour analyser de façon détaillée et magistrale cette typologie de la prostituée convertie, image de l'Eglise, que le sang du Christ purifie chaque jour."
Sources?
Prostitution, moindre mal; chez Saint-Thomas
Citation pour l'article: "les chrétiens et la prostitution"
Somme Théologique
Saint-Thomas d'Aquin
IIa; IIae; question 10; article 11; conclusion
Article 11: Doit-on tolérer les rites des infidèles?
...
"Le gouvernement humain dérive du gouvernement divin et doit le prendre pour modèle. Or Dieu, bien qu'il soit tout-puissant et souverainement bon, permet néanmoins qu'il se produise des maux dans l'univers, alors qu'il pourrait les empêcher, parce que leur suppression supprimerait de grands biens et entraînerait des maux plus graves. Ainsi donc, dans le gouvernement humain, ceux qui commandent tolèrent à bon droit quelques maux, de peur que quelques biens ne soient empêchés, ou même de peur que des maux pires ne soient encourus. C'est ce que dit S. Augustin: " Supprimez les prostituées et vous apporterez un trouble général par le déchaînement des passions. " Ainsi donc, bien que les infidèles pèchent par leurs rites, ceux-ci peuvent être tolérés soit à cause du bien qui en provient, soit à cause du mal qui est évité. Du fait que les juifs observent leurs rites, qui préfiguraient jadis la réalité de la foi que nous professons, il en découle ce bien que nous recevons de nos ennemis un témoignage en faveur de notre foi, et qu'ils nous représentent comme en figure ce que nous croyons. C'est pourquoi les Juifs sont tolérés avec leurs rites."
Somme Théologique
Saint-Thomas d'Aquin
IIa; IIae; question 10; article 11; conclusion
Article 11: Doit-on tolérer les rites des infidèles?
...
"Le gouvernement humain dérive du gouvernement divin et doit le prendre pour modèle. Or Dieu, bien qu'il soit tout-puissant et souverainement bon, permet néanmoins qu'il se produise des maux dans l'univers, alors qu'il pourrait les empêcher, parce que leur suppression supprimerait de grands biens et entraînerait des maux plus graves. Ainsi donc, dans le gouvernement humain, ceux qui commandent tolèrent à bon droit quelques maux, de peur que quelques biens ne soient empêchés, ou même de peur que des maux pires ne soient encourus. C'est ce que dit S. Augustin: " Supprimez les prostituées et vous apporterez un trouble général par le déchaînement des passions. " Ainsi donc, bien que les infidèles pèchent par leurs rites, ceux-ci peuvent être tolérés soit à cause du bien qui en provient, soit à cause du mal qui est évité. Du fait que les juifs observent leurs rites, qui préfiguraient jadis la réalité de la foi que nous professons, il en découle ce bien que nous recevons de nos ennemis un témoignage en faveur de notre foi, et qu'ils nous représentent comme en figure ce que nous croyons. C'est pourquoi les Juifs sont tolérés avec leurs rites."
Les chrétiens et la prostitution
Fiche de Lecture
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
Dans ce petit livre, Charles Chauvin reprends son travail de théologie, soutenus dans une thèse à Strasbourg en 1973. D'après le quatrième de couverture, Charles Chauvin est un « collaborateur du père Talvas ». L'intention du livre est toute dite dans ces mots de l'introduction: « C'est en vue de répondre à ces question [de la position des Églises vis à vis de la prostitution] posées à la conscience chrétienne occidentale que, depuis bientôt quinze ans, j'effectue de patientes recherches destinées à informer le public. Chrétien soucieux de connaître la réalité des faits, toujours moins simples qu'on ne le dit habituellement, je tente de faire ainsi entendre une voix parmi ceux et celles qui (…) luttent contre les causes de toutes les formes de prostitution. (p.7)» Il aboutira, après un argumentaire lucide, éloigné de toute apologie de mauvaise foi, à une conclusion sans ambages: « La prostitution est incompatible avec le christianisme (p.118) ».
Exposé clair des prises de position des chrétiens au cours de l'histoire, le livre s'organise de manière très pédagogique:
1) une présentation des trois régimes juridiques d'organisation de la prostitution pour tracer un premier historique des attitudes chrétiennes vis à vis de la prostitution,
2) une présentation de la « doctrine » et de la pratique de l'Église, dans laquelle, sans cacher la constante et scandaleuse compromission des chrétiens avec le phénomène prostitutionnel, certaines « rumeurs » sont contre-dites,
3) enfin une présentation de la situation actuelle de la prostitution et des mouvements chrétiens engagés sur la question de la prostitution, occasion de pointer les défis contemporains que la prostitution pose aux chrétiens.
Dans sa première partie historique, Charles Chauvin montre que l'organisation de la prostitution et les fondements philosophiques de son acceptation dans les sociétés occidentales sont à chercher dans la culture « greco-romaine ». Solon serait le premier législateur connu d'une réglementation de la prostitution. Les cités grecques, en particulier Sparte et Corinthe, et Rome enfin, auraient repris les grandes lignes de la réglementation de Solon: marginalisation des personnes prostituées, impunité voire légitimité des hommes clients. Ni l'Ancien ni le Nouveau Testaments ne justifient la prostitution. La reprise par des chrétiens des législations et des mentalités qui les ont précédées à propos de la prostitution en est d'autant plus scandaleuse. Car force est de constater que les sociétés majoritairement chrétiennes depuis Justinien jusqu'au XIXe siècle ont toutes été des sociétés règlementaristes, avec parfois des tendances prohibitionnistes. Plus pénible pour un catholique, le mouvement abolitionniste est issu de la tradition protestante, plus particulièrement anglicane avec Joséphine Butler, et rencontrera plus de résistance dans les pays catholiques latins. Il donne finalement le manifeste du parti communiste de Marx et Engels comme première condamnation ferme de la prostitution assortie d'une analyse de ses causes et conséquences: « La prostitution se développe là où la femme n'est pas considérée comme une personne et l'homme comme homme, puisqu'il ne traite pas la femme comme homme (p. 35, cette citation ne se trouve pourtant pas dans le Manifeste) ». Il donne alors en exemple les pays communistes, URSS, Chine et Cuba, dont les régimes prohibitionnistes assortis d'une politique efficace d'émancipation des femmes auraient eu une certaine efficacité pour la réduction de la prostitution.
Après ce premier parcours historique sans complaisance sur les législations de la prostitution dans les pays majoritairement chrétiens, où il en ressort que, bien qu'en contradiction manifeste avec les fondements du christianisme, les sociétés chrétiennes ont été pour l'essentiel règlementaristes, tolérant l'existence de la prostitution et stigmatisant les personnes prostituées, l'auteur recommence un parcours historique en s'attachant cette fois-ci à analyser les discours théologiques successifs, et à décrire les pratiques pastorales et caritatives des chrétiens vis à vis de la prostitution. Dans l'ordre des discours, on a le sentiment d'une décadence progressive: des affirmations théologiques et disciplinaires en cohérence avec l'Esprit évangélique dans les premiers siècles, suivie de discours de tolérance et de fatalisme de plus en plus admis au fur et à mesure du moyen âge, jusqu'à une sorte de réveil des consciences catholiques à partir du XIXe siècle, provoqué par le mouvement abolitionniste issu du protestantisme anglican. En effet, les pères de l'Église ont mené une lutte claire contre la prostitution et pour la conversion des personnes prostituées. Jean Chrysostome, Tertulien, Saint-Jérôme, Origène, Saint-Ambroise ont tous eu une position évangélique à ce propos. Même Saint-Augustin, à qui pourtant on prête jusqu'aujourd'hui la responsabilité de la tolérance fataliste des chrétiens vis à vis de la prostitution. Charles Chauvin montre avec détails comment les citations fondatrice de cette opinion n'est pas avérée dans le corpus connu des œuvres de Saint-Augustin. Par contre, Augustin, une fois devenu évêque d'Hippone, condamne la prostitution tout en en appelant à la conversion des personnes prostituées. « Ce qui est sûr, c'est qu'Augustin s'inscrit dans la lignée des évêques de sont temps pour qui christianisme et prostitution sont incompatibles. (p.60)» Néanmoins, si Augustin évêque est lavé du soupçon de tolérance fataliste quant à la prostitution, il n'en reste pas moins que les moralistes et théologiens vont utiliser des citations pseudo-augustiniennes pour justifier la tolérance voire la réglementation de la prostitution. Saint-Thomas d'Aquin admettra la prostitution comme un moindre mal dans sa fameuse Somme. Il ira jusqu'à admettre que l'Église accepte l'aumône des personnes prostituées (IIa, IIae, qu.32, art.7), alors qu'elle refuse l'aumône issu du vol. A noter, pour mettre en perspective, que Thomas condamnait le prêt à intérêt comme un péché mortel... A la suite de Saint-Thomas d'Aquin, les moralistes ont tous répété la « doctrine » de la prostitution comme moindre mal, jusqu'au milieu du XXe siècle. Seul Saint-Alphonse de Liguori, dans la ville de Naples du XVIIIe contredira cette vulgate de manière évangélique et courageuse, mais malheureusement il sera isolé et n'aura pas de successeur dans ses affirmations.
On note néanmoins dans les pratiques pastorales et caritatives de chrétiens, à toutes époques, une résistance contre cette tolérance généralisée de l'Église. Dès le monachisme primitif, plusieurs figures appliquèrent un zèle particulier à soustraire des femmes de la prostitution, prenant Marie-Madeleine comme figure de femme prostituée convertie au Christ. Marie l'Egyptienne, Sainte Afra et Thaïs sont des figures de saintes qui seront régulièrement utilisées pour encourager ce chemin de conversion. On notera dès le début et tout au long de l'histoire de la réinsertion de personnes prostituées par les Églises, une tension entre ceux qui ne proposent qu'une voie sévère de continence et de pénitence, et ceux qui proposent une conversion plus libre, selon chaque personne, vers la consécration à une vie religieuse, une vie « protégée » dans des refuges ou le mariage selon la fidélité chrétienne. Théodora, femme de l'empereur Justinien, dont on pense qu'elle est une ancienne prostituée parce qu'elle avait été comédienne, a convaincu son époux de lutter contre la prostitution. Après avoir interdit les maisons closes à Byzance, elle organisa un « monastère de la repentance » dans un ancien palais pour y accueillir les femmes prostituées sans famille. Il semble que les conditions d'enfermement y étaient telles que plusieurs préférèrent se suicider... Quelques années après le décès de Théodora, Justinien reviendra à une politique de tolérance, par « réalisme » politique. De manière similaire, Saint-Louis, dont on fait porter la responsabilité du règlementarisme médiéval, a eu comme première intention la prohibition de la prostitution. C'est l'inefficacité des premières mesures et, semble-t-il, les pressions d'un lobby proxénète de l'époque, qui l'aurait poussé, deux ans plus tard, à légiférer une tolérance, marginalisant la prostitution hors les murs. Tout au long du Moyen-Âge, des monastères de repenties ont été organisés, spécialement nombreux dans l'Italie du XIIIe siècle. Saint Ignace de Loyola, premier général de la Compagnie de Jésus, aura comme principale préoccupation pastorale les femmes prostituées de Rome. Il fondera une Casa Santa-Marta, où les femmes n'étaient pas recluses, mais pouvaient aller et venir, bénéficiaient des exercices spirituels. Malgré une manifeste réussite humaine et spirituelle, son œuvre ne lui survivra pas, à cause de la diffamation d'autres ecclésiastiques. Les œuvres de Jean Eudes et de la Dame de Combé au XVIIe siècle, le Bon Pasteur au XIXe siècle, ont été autant d'actions de charité chrétienne concrète, propre à leur temps, pour donner la possibilité à des personnes prostituées de se soustraire à leur milieu.
Avec la montée du mouvement abolitionniste à partir de la moitié du XIXe siècle, mais surtout au cours du XXe siècle pour le monde catholique, la doctrine et la pratique de l'Église ont beaucoup évolué. La doctrine du moindre mal a été abandonné par les manuels de morale. Pendant le concile Vatican II, la prostitution est présentée comme contraire à la dignité humaine, notamment dans Gaudium et Spes: « Tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaine, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes, ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, toutes ces pratiques sont infâmes. » (27.3) Faut-il rappeler que le concile constitue, après les Écritures, la plus haute autorité doctrinale de l'Église catholique? Charles Chauvin présente le Nid du père Talvas comme un des mouvements d'Église qui porte ces convictions renouvelées dans la pratique de l'action sociale et politique, avec le comité italien de défense morale (CIDD), la mission de minuit à Dortmund et Hambourg (Mitternachtsmission, qui existe aussi à Bâle), et l'internationalisation du Nid, au Brésil, notamment avec l'attitude évangélique et courageuse de l'évêque de Crateus, Dom Fragoso, qui accueillit des personnes prostituées non seulement à sa table, mais aussi dans son conseil diocésain, malgré le honteux rejet manifesté par certains chrétiens de son diocèse.
En conclusion l'auteur s'interroge à partir de l'actualité du début des années 1980: les occupations d'églises, du procès exemplaire de proxénètes dénoncé par trois femmes prostituées à Grenoble (depuis, d'après le témoignage de Marie-Claude/Ulla au colloque de Lyon, une seule a survécu à la libération de ces proxénètes...), sur une évolution de la prostitution dans la France d'alors. Les personnes prostituées s'affirment comme citoyennes, revendiquent des droits. Il minimise la revendication de professionnalisation, il semble qu'à l'époque cette revendication soit encore marginale.... Pour lui, que les personnes prostituées prennent plus d'indépendance, ne veut pas dire que la prostitution soit pour autant une activité qui puisse se faire librement et dignement. La responsabilité des chrétiens est engagée dans cette lutte qui continue. Citant Jean Sulivan: « La prostituée est le signe visible de la prostitution du monde. Elle est ouvertement ce que sont beaucoup d'hommes dans tous les milieux. Chaque fois qu'un homme, une femme, dans le mariage ou en dehors, se prennent comme objet, quand le lien d'amitié n'est plus le premier, mais le lien du désir, de l'argent, de l'habitude, de la facilité, il y a prostitution ». Et: « Tout prêtre, tout évêque qui parle pour ne rien dire ou sans réchauffer la vérité dans les cœurs, se prostitue.» Pour conclure Charles Chauvin nous lance un défi: « Le XIXe siècle a obtenu l'abolition de la Traite des Noirs; le livre La Case de l'oncle Tom y a contribué! Le XXe siècle a vu progresser la décolonisation: des chrétiens y ont collaboré. Faudra-t-il attendre le XXIe siècle pour voir disparaître la prostitution. Aux chrétiens, pour leur part, de répondre.»
Ce livre, concis et rigoureux, bien ordonné, est un outil bienvenu pour répondre aux « rumeurs » selon lesquelles le christianisme serait essentiellement tolérant vis à vis de la prostitution. Il montre de manière lucide que des chrétiens l'ont été de tout temps, partout, et jusqu'à aujourd'hui, et en soi, c'est un scandale. C'en est un surtout parce que la dynamique fondatrice de la vie et des paroles de Jésus-Christ, de l'héritage juif vétéro-testamentaire, et des formulations et réalisations du christianisme primitif est toute opposée à la prostitution, tout en étant accueillante vis à vis des personnes prostituées, et des clients aussi, comme de tout pécheur à qui la conversion est proposée. La présentation des arguments fatalistes et tolérants vis à vis de la prostitution permet de mieux identifier leurs aspects fallacieux. On a face à eux une tradition de figures chrétiennes, théologiens, pasteurs, femmes et hommes engagés pour l'amour de Dieu, qui certes ont toujours eu de grandes difficultés à infléchir les réglementations et les mentalités de leurs temps, mais qui sans cesse ont témoigné de l'authentique combat contre la prostitution pour les personnes prostituées, qui est au cœur de la mission des Églises.
Une critique cependant. Pour expliquer comment, bien que les fondements du christianisme condamnent la prostitution, des chrétiens ont massivement été complice de la prostitution de leur temps, l'auteur met en scène une opposition entre héritage « judéo-chrétien » et héritage « gréco-romain ». Cette présentation de l'histoire me gêne pour trois raisons. 1) D'abord parce que l'auteur ne mentionne pas l'existence de la prostitution sacrée dans l'environnement historique des auteurs de l'Ancien Testament, laissant même entendre que les mentions de prostitution sacrée dans la bible ne sont que métaphoriques (p.54). Comme si finalement les hébreux, puis les juifs n'auraient jamais connus de prostitution institutionnalisée et que la prostitution liée à l'urbanisation de la Grèce aurait été la première du genre. Or il me semble que cela est faux. Si l'institutionnalisation de la prostitution dépend bien de l'urbanisation, le fait urbain est beaucoup plus anciens dans la région que l'on appelle le Croissant Fertile, auquel le pays de Jésus appartient. 2) Cette oblitération de la prostitution sacrée dans le milieu historique de l'Ancien Testament me gêne ensuite parce que la tradition « judéo-chrétienne » n'a pas été confrontée à la prostitution à partir du moment où elle aurait rencontrée la culture « gréco-romaine ». Elle y est confronté dès ses origines. Cela me paraît important parce que l'on pourrait croire que le fatalisme des chrétiens face à la prostitution « gréco-romaine » serait dû à une sorte d'effet de surprise, d'impréparation spirituelle. Qu'ils se seraient accommoder d'une réalité dont l'enseignement biblique n'aurait pas suffisamment prévenu de la gravité, et que les presque vingt siècles de tolérance auraient été nécessaires à la prise de conscience. Or non, la communauté des disciples de Jésus dont faisaient partie de nombreuses anciennes prostituées, les combats des prophètes d'Israël contre la prostitution sacrée très concrète à laquelle s'adonnait le peuple élu, tout cela aurait dû conduire les chrétiens à continuer à lutter contre toute prostitution sans relâche et de manière majoritaire. 3) Enfin cette opposition schématique culture « gréco-romaine » pro-prostitutionnelle contre culture « judéo-chrétienne » anti-prostitutionnelle pourrait laisser penser que seule la seconde est capable de justifier la position abolitionniste. Je suis incapable de montrer qu'il y ait eu parmi les philosophes et juristes grecques et latins des figures non chrétiennes pour s'opposer à la prostitution au nom d'une anthropologie propre. Mais ils existent parmi nos contemporains ceux qui, sans se référer à la Bible, ni même à de prétendues valeurs « judéo-chrétiennes », luttent activement contre la prostitution, pour la dignité des personnes prostituées, pour la dignité de toute personne qui reste potentiellement prostituable tant que la prostitution de quelques un-e-s est tolérée. Et ils sont souvent plus conséquents que nombre de chrétiens.
Donc la lutte pour les personnes prostituées, contre la prostitution, est indubitablement une mission fondamentale des chrétiens, malgré le contre-témoignage historique massif des sociétés chrétiennes tolérantes et complices avec le système prostitutionnel. Cette lutte se fera en retournant aux racines spirituelles du christianisme, mais sans forcément faire plier la société à des conceptions chrétiennes, au contraire elle peut se mener en solidarité fraternelle avec nombre d'hommes et de femmes de « Bonne Volonté » comme nous le faisons déjà.
« Les Chrétiens et la prostitution »
Charles Chauvin
Cerf, Paris, 1983
Dans ce petit livre, Charles Chauvin reprends son travail de théologie, soutenus dans une thèse à Strasbourg en 1973. D'après le quatrième de couverture, Charles Chauvin est un « collaborateur du père Talvas ». L'intention du livre est toute dite dans ces mots de l'introduction: « C'est en vue de répondre à ces question [de la position des Églises vis à vis de la prostitution] posées à la conscience chrétienne occidentale que, depuis bientôt quinze ans, j'effectue de patientes recherches destinées à informer le public. Chrétien soucieux de connaître la réalité des faits, toujours moins simples qu'on ne le dit habituellement, je tente de faire ainsi entendre une voix parmi ceux et celles qui (…) luttent contre les causes de toutes les formes de prostitution. (p.7)» Il aboutira, après un argumentaire lucide, éloigné de toute apologie de mauvaise foi, à une conclusion sans ambages: « La prostitution est incompatible avec le christianisme (p.118) ».
Exposé clair des prises de position des chrétiens au cours de l'histoire, le livre s'organise de manière très pédagogique:
1) une présentation des trois régimes juridiques d'organisation de la prostitution pour tracer un premier historique des attitudes chrétiennes vis à vis de la prostitution,
2) une présentation de la « doctrine » et de la pratique de l'Église, dans laquelle, sans cacher la constante et scandaleuse compromission des chrétiens avec le phénomène prostitutionnel, certaines « rumeurs » sont contre-dites,
3) enfin une présentation de la situation actuelle de la prostitution et des mouvements chrétiens engagés sur la question de la prostitution, occasion de pointer les défis contemporains que la prostitution pose aux chrétiens.
Dans sa première partie historique, Charles Chauvin montre que l'organisation de la prostitution et les fondements philosophiques de son acceptation dans les sociétés occidentales sont à chercher dans la culture « greco-romaine ». Solon serait le premier législateur connu d'une réglementation de la prostitution. Les cités grecques, en particulier Sparte et Corinthe, et Rome enfin, auraient repris les grandes lignes de la réglementation de Solon: marginalisation des personnes prostituées, impunité voire légitimité des hommes clients. Ni l'Ancien ni le Nouveau Testaments ne justifient la prostitution. La reprise par des chrétiens des législations et des mentalités qui les ont précédées à propos de la prostitution en est d'autant plus scandaleuse. Car force est de constater que les sociétés majoritairement chrétiennes depuis Justinien jusqu'au XIXe siècle ont toutes été des sociétés règlementaristes, avec parfois des tendances prohibitionnistes. Plus pénible pour un catholique, le mouvement abolitionniste est issu de la tradition protestante, plus particulièrement anglicane avec Joséphine Butler, et rencontrera plus de résistance dans les pays catholiques latins. Il donne finalement le manifeste du parti communiste de Marx et Engels comme première condamnation ferme de la prostitution assortie d'une analyse de ses causes et conséquences: « La prostitution se développe là où la femme n'est pas considérée comme une personne et l'homme comme homme, puisqu'il ne traite pas la femme comme homme (p. 35, cette citation ne se trouve pourtant pas dans le Manifeste) ». Il donne alors en exemple les pays communistes, URSS, Chine et Cuba, dont les régimes prohibitionnistes assortis d'une politique efficace d'émancipation des femmes auraient eu une certaine efficacité pour la réduction de la prostitution.
Après ce premier parcours historique sans complaisance sur les législations de la prostitution dans les pays majoritairement chrétiens, où il en ressort que, bien qu'en contradiction manifeste avec les fondements du christianisme, les sociétés chrétiennes ont été pour l'essentiel règlementaristes, tolérant l'existence de la prostitution et stigmatisant les personnes prostituées, l'auteur recommence un parcours historique en s'attachant cette fois-ci à analyser les discours théologiques successifs, et à décrire les pratiques pastorales et caritatives des chrétiens vis à vis de la prostitution. Dans l'ordre des discours, on a le sentiment d'une décadence progressive: des affirmations théologiques et disciplinaires en cohérence avec l'Esprit évangélique dans les premiers siècles, suivie de discours de tolérance et de fatalisme de plus en plus admis au fur et à mesure du moyen âge, jusqu'à une sorte de réveil des consciences catholiques à partir du XIXe siècle, provoqué par le mouvement abolitionniste issu du protestantisme anglican. En effet, les pères de l'Église ont mené une lutte claire contre la prostitution et pour la conversion des personnes prostituées. Jean Chrysostome, Tertulien, Saint-Jérôme, Origène, Saint-Ambroise ont tous eu une position évangélique à ce propos. Même Saint-Augustin, à qui pourtant on prête jusqu'aujourd'hui la responsabilité de la tolérance fataliste des chrétiens vis à vis de la prostitution. Charles Chauvin montre avec détails comment les citations fondatrice de cette opinion n'est pas avérée dans le corpus connu des œuvres de Saint-Augustin. Par contre, Augustin, une fois devenu évêque d'Hippone, condamne la prostitution tout en en appelant à la conversion des personnes prostituées. « Ce qui est sûr, c'est qu'Augustin s'inscrit dans la lignée des évêques de sont temps pour qui christianisme et prostitution sont incompatibles. (p.60)» Néanmoins, si Augustin évêque est lavé du soupçon de tolérance fataliste quant à la prostitution, il n'en reste pas moins que les moralistes et théologiens vont utiliser des citations pseudo-augustiniennes pour justifier la tolérance voire la réglementation de la prostitution. Saint-Thomas d'Aquin admettra la prostitution comme un moindre mal dans sa fameuse Somme. Il ira jusqu'à admettre que l'Église accepte l'aumône des personnes prostituées (IIa, IIae, qu.32, art.7), alors qu'elle refuse l'aumône issu du vol. A noter, pour mettre en perspective, que Thomas condamnait le prêt à intérêt comme un péché mortel... A la suite de Saint-Thomas d'Aquin, les moralistes ont tous répété la « doctrine » de la prostitution comme moindre mal, jusqu'au milieu du XXe siècle. Seul Saint-Alphonse de Liguori, dans la ville de Naples du XVIIIe contredira cette vulgate de manière évangélique et courageuse, mais malheureusement il sera isolé et n'aura pas de successeur dans ses affirmations.
On note néanmoins dans les pratiques pastorales et caritatives de chrétiens, à toutes époques, une résistance contre cette tolérance généralisée de l'Église. Dès le monachisme primitif, plusieurs figures appliquèrent un zèle particulier à soustraire des femmes de la prostitution, prenant Marie-Madeleine comme figure de femme prostituée convertie au Christ. Marie l'Egyptienne, Sainte Afra et Thaïs sont des figures de saintes qui seront régulièrement utilisées pour encourager ce chemin de conversion. On notera dès le début et tout au long de l'histoire de la réinsertion de personnes prostituées par les Églises, une tension entre ceux qui ne proposent qu'une voie sévère de continence et de pénitence, et ceux qui proposent une conversion plus libre, selon chaque personne, vers la consécration à une vie religieuse, une vie « protégée » dans des refuges ou le mariage selon la fidélité chrétienne. Théodora, femme de l'empereur Justinien, dont on pense qu'elle est une ancienne prostituée parce qu'elle avait été comédienne, a convaincu son époux de lutter contre la prostitution. Après avoir interdit les maisons closes à Byzance, elle organisa un « monastère de la repentance » dans un ancien palais pour y accueillir les femmes prostituées sans famille. Il semble que les conditions d'enfermement y étaient telles que plusieurs préférèrent se suicider... Quelques années après le décès de Théodora, Justinien reviendra à une politique de tolérance, par « réalisme » politique. De manière similaire, Saint-Louis, dont on fait porter la responsabilité du règlementarisme médiéval, a eu comme première intention la prohibition de la prostitution. C'est l'inefficacité des premières mesures et, semble-t-il, les pressions d'un lobby proxénète de l'époque, qui l'aurait poussé, deux ans plus tard, à légiférer une tolérance, marginalisant la prostitution hors les murs. Tout au long du Moyen-Âge, des monastères de repenties ont été organisés, spécialement nombreux dans l'Italie du XIIIe siècle. Saint Ignace de Loyola, premier général de la Compagnie de Jésus, aura comme principale préoccupation pastorale les femmes prostituées de Rome. Il fondera une Casa Santa-Marta, où les femmes n'étaient pas recluses, mais pouvaient aller et venir, bénéficiaient des exercices spirituels. Malgré une manifeste réussite humaine et spirituelle, son œuvre ne lui survivra pas, à cause de la diffamation d'autres ecclésiastiques. Les œuvres de Jean Eudes et de la Dame de Combé au XVIIe siècle, le Bon Pasteur au XIXe siècle, ont été autant d'actions de charité chrétienne concrète, propre à leur temps, pour donner la possibilité à des personnes prostituées de se soustraire à leur milieu.
Avec la montée du mouvement abolitionniste à partir de la moitié du XIXe siècle, mais surtout au cours du XXe siècle pour le monde catholique, la doctrine et la pratique de l'Église ont beaucoup évolué. La doctrine du moindre mal a été abandonné par les manuels de morale. Pendant le concile Vatican II, la prostitution est présentée comme contraire à la dignité humaine, notamment dans Gaudium et Spes: « Tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaine, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes, ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, toutes ces pratiques sont infâmes. » (27.3) Faut-il rappeler que le concile constitue, après les Écritures, la plus haute autorité doctrinale de l'Église catholique? Charles Chauvin présente le Nid du père Talvas comme un des mouvements d'Église qui porte ces convictions renouvelées dans la pratique de l'action sociale et politique, avec le comité italien de défense morale (CIDD), la mission de minuit à Dortmund et Hambourg (Mitternachtsmission, qui existe aussi à Bâle), et l'internationalisation du Nid, au Brésil, notamment avec l'attitude évangélique et courageuse de l'évêque de Crateus, Dom Fragoso, qui accueillit des personnes prostituées non seulement à sa table, mais aussi dans son conseil diocésain, malgré le honteux rejet manifesté par certains chrétiens de son diocèse.
En conclusion l'auteur s'interroge à partir de l'actualité du début des années 1980: les occupations d'églises, du procès exemplaire de proxénètes dénoncé par trois femmes prostituées à Grenoble (depuis, d'après le témoignage de Marie-Claude/Ulla au colloque de Lyon, une seule a survécu à la libération de ces proxénètes...), sur une évolution de la prostitution dans la France d'alors. Les personnes prostituées s'affirment comme citoyennes, revendiquent des droits. Il minimise la revendication de professionnalisation, il semble qu'à l'époque cette revendication soit encore marginale.... Pour lui, que les personnes prostituées prennent plus d'indépendance, ne veut pas dire que la prostitution soit pour autant une activité qui puisse se faire librement et dignement. La responsabilité des chrétiens est engagée dans cette lutte qui continue. Citant Jean Sulivan: « La prostituée est le signe visible de la prostitution du monde. Elle est ouvertement ce que sont beaucoup d'hommes dans tous les milieux. Chaque fois qu'un homme, une femme, dans le mariage ou en dehors, se prennent comme objet, quand le lien d'amitié n'est plus le premier, mais le lien du désir, de l'argent, de l'habitude, de la facilité, il y a prostitution ». Et: « Tout prêtre, tout évêque qui parle pour ne rien dire ou sans réchauffer la vérité dans les cœurs, se prostitue.» Pour conclure Charles Chauvin nous lance un défi: « Le XIXe siècle a obtenu l'abolition de la Traite des Noirs; le livre La Case de l'oncle Tom y a contribué! Le XXe siècle a vu progresser la décolonisation: des chrétiens y ont collaboré. Faudra-t-il attendre le XXIe siècle pour voir disparaître la prostitution. Aux chrétiens, pour leur part, de répondre.»
Ce livre, concis et rigoureux, bien ordonné, est un outil bienvenu pour répondre aux « rumeurs » selon lesquelles le christianisme serait essentiellement tolérant vis à vis de la prostitution. Il montre de manière lucide que des chrétiens l'ont été de tout temps, partout, et jusqu'à aujourd'hui, et en soi, c'est un scandale. C'en est un surtout parce que la dynamique fondatrice de la vie et des paroles de Jésus-Christ, de l'héritage juif vétéro-testamentaire, et des formulations et réalisations du christianisme primitif est toute opposée à la prostitution, tout en étant accueillante vis à vis des personnes prostituées, et des clients aussi, comme de tout pécheur à qui la conversion est proposée. La présentation des arguments fatalistes et tolérants vis à vis de la prostitution permet de mieux identifier leurs aspects fallacieux. On a face à eux une tradition de figures chrétiennes, théologiens, pasteurs, femmes et hommes engagés pour l'amour de Dieu, qui certes ont toujours eu de grandes difficultés à infléchir les réglementations et les mentalités de leurs temps, mais qui sans cesse ont témoigné de l'authentique combat contre la prostitution pour les personnes prostituées, qui est au cœur de la mission des Églises.
Une critique cependant. Pour expliquer comment, bien que les fondements du christianisme condamnent la prostitution, des chrétiens ont massivement été complice de la prostitution de leur temps, l'auteur met en scène une opposition entre héritage « judéo-chrétien » et héritage « gréco-romain ». Cette présentation de l'histoire me gêne pour trois raisons. 1) D'abord parce que l'auteur ne mentionne pas l'existence de la prostitution sacrée dans l'environnement historique des auteurs de l'Ancien Testament, laissant même entendre que les mentions de prostitution sacrée dans la bible ne sont que métaphoriques (p.54). Comme si finalement les hébreux, puis les juifs n'auraient jamais connus de prostitution institutionnalisée et que la prostitution liée à l'urbanisation de la Grèce aurait été la première du genre. Or il me semble que cela est faux. Si l'institutionnalisation de la prostitution dépend bien de l'urbanisation, le fait urbain est beaucoup plus anciens dans la région que l'on appelle le Croissant Fertile, auquel le pays de Jésus appartient. 2) Cette oblitération de la prostitution sacrée dans le milieu historique de l'Ancien Testament me gêne ensuite parce que la tradition « judéo-chrétienne » n'a pas été confrontée à la prostitution à partir du moment où elle aurait rencontrée la culture « gréco-romaine ». Elle y est confronté dès ses origines. Cela me paraît important parce que l'on pourrait croire que le fatalisme des chrétiens face à la prostitution « gréco-romaine » serait dû à une sorte d'effet de surprise, d'impréparation spirituelle. Qu'ils se seraient accommoder d'une réalité dont l'enseignement biblique n'aurait pas suffisamment prévenu de la gravité, et que les presque vingt siècles de tolérance auraient été nécessaires à la prise de conscience. Or non, la communauté des disciples de Jésus dont faisaient partie de nombreuses anciennes prostituées, les combats des prophètes d'Israël contre la prostitution sacrée très concrète à laquelle s'adonnait le peuple élu, tout cela aurait dû conduire les chrétiens à continuer à lutter contre toute prostitution sans relâche et de manière majoritaire. 3) Enfin cette opposition schématique culture « gréco-romaine » pro-prostitutionnelle contre culture « judéo-chrétienne » anti-prostitutionnelle pourrait laisser penser que seule la seconde est capable de justifier la position abolitionniste. Je suis incapable de montrer qu'il y ait eu parmi les philosophes et juristes grecques et latins des figures non chrétiennes pour s'opposer à la prostitution au nom d'une anthropologie propre. Mais ils existent parmi nos contemporains ceux qui, sans se référer à la Bible, ni même à de prétendues valeurs « judéo-chrétiennes », luttent activement contre la prostitution, pour la dignité des personnes prostituées, pour la dignité de toute personne qui reste potentiellement prostituable tant que la prostitution de quelques un-e-s est tolérée. Et ils sont souvent plus conséquents que nombre de chrétiens.
Donc la lutte pour les personnes prostituées, contre la prostitution, est indubitablement une mission fondamentale des chrétiens, malgré le contre-témoignage historique massif des sociétés chrétiennes tolérantes et complices avec le système prostitutionnel. Cette lutte se fera en retournant aux racines spirituelles du christianisme, mais sans forcément faire plier la société à des conceptions chrétiennes, au contraire elle peut se mener en solidarité fraternelle avec nombre d'hommes et de femmes de « Bonne Volonté » comme nous le faisons déjà.
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