mercredi 24 octobre 2012

Tous pour le mariage. Moi aussi! et pourtant...

En réponse à une sollicitation pour signer cette pétition: http://www.tous-pour-le-mariage.fr/




1) "mariage = un homme + une femme".
a) La forme mathématique, comme une équation, de l'affirmation est en soi polémique. Comme si le mariage pouvait être défini de manière aussi évidente, en tout cas aussi simple et sûre, qu'une démonstration mathématique. Il suffirait de faire l'histoire de l'institution du mariage, ou bien faire la comparaison des systèmes familiaux à travers les différentes sociétés humaines (la discipline scientifique s'appelle "anthropologie") pour montrer à quel point il n'en est rien. Si on veut essayer d'extraire les "fonctions" que le mariage réalise, on pourrait lister la procréation, l'encadrement de la vie sexuelle, l'institution d'une unité économique, la création d'un lien de solidarité, etc. Or pour chacune de ces fonctions, on pourrait montrer qu'en d'autres temps et en d'autres lieux, elle a été réalisé indépendamment du mariage, et sans forcément engager un homme et une femme.
b) Même dans le cadre restreint de l'histoire des sacrements catholiques, l'institution du mariage comme un des sept sacrements n'est pas évidente. Il est d'ailleurs un des sacrements à avoir été institué comme tel le plus tardivement, vers le XIIIe siècle. L'Eglise primitive a préféré le célibat consacré au mariage. Ce fut d'ailleurs une des causes de persécution pour les premiers chrétiens que de refuser le mariage. Et pour bien comprendre qu'il y a une continuité entre ce combat des martyrs des premiers siècles pour la liberté de ne pas se marier et le mariage chrétien tel que deux milles ans de théologie chrétien l'ont sophistiqué, il faut envisager que ce qui est en jeu dans ce mariage chrétien n'a rien à voir avec le mariage romain, pour lequel l'équation "1 homme + 1 femme" est effectivement central.
c) Le mariage païen de l'empire romain est un mariage formel, qui ne se préoccupe pas de sentiment entre conjoints. Il s'agit de créer une institution sociale stable qui permette de faire des enfants mâles dont on est sûr qu'ils sont les fils de leur père, et de finalement transmettre le patrimoine et le pouvoir politique. Les pères choisissaient pour leurs enfants leurs conjoints respectifs. On voit des reliques de cette forme jusqu'en notre temps, dans les dynasties royales par exemple. Le mariage chrétien est en opposition totale avec ce principe qui nie la liberté des individus pour les soumettre au pouvoir arbitraire d'un Pater familias, lui même guidé seulement par des considérations économiques et politiques. Le rituel du mariage chrétien insiste sur la liberté et la volonté réciproque des épouxes dans leur engagement l'un vis à vis de l'autre. Si on démontre que l'unë des épouxes a été forcé à consentir au mariage, le mariage est invalide, selon le droit canon. C'est l'institution juridique romaine qui insiste sur la présence d'un homme et d'une femme pour le mariage.
d) Le mariage chrétien trouve ses racines dans la tradition biblique. En particulier dans l'intuition qu'ont eu plusieurs générations de prophète de l'ancien testament qui comparèrent l'amour de Dieu pour l'Humanité avec des épousailles. On en trouve le témoignage le plus beau dans le livre du Cantique des cantiques. Le plus ancien livre biblique qui témoigne de cette théologie est celui d'Osée, le prophète qui pour symboliser l'amour que Dieu portait à son peuple a épousé une femme prostituée, Gomer. De par mon engagement au Nid, j'ai beaucoup médité le livre d'Osée. Il montre comment les amours humaines peuvent nous faire envisager de quelle amour Dieu nous aime. Mais aussi et surtout il nous montre comment les difficultés que rencontrent les couples dans leurs amours peuvent nous enseigner aussi sur les difficultés que tout croyant connaît pour s'abandonner à l'amour de Dieu. En particulier ce qui est dévoyé dans la prostitution: faire payer pour de l'amour, permet aussi de comprendre comment toute religion qui fait payer, ou qui cherche dans la pratique religieuse à obtenir rétribution, est aussi dévoyée vis à vis de l'a Foi authentique que la prostitution vis à vis de l'amour authentique. Dans cette perspective, je ne vois pas en quoi l'amour que se portent deux hommes l'un à l'autre, ou deux femmes l'une à l'autre, serait moins à l'image de l'amour de Dieu pour l'Humanité; ni en quoi les difficultés que connaissent une femme et un homme dans leur amour réciproque serait moins à l'image des difficultés que connaît l'humanité pour accueillir l'amour de Dieu.
Conclusion du 1) La question de savoir si le mariage implique un homme et une femme n'est pas central, en particulier si on parle de mariage chrétien. Le mariage chrétien est un sacrement, il s'agit d'un témoignage de Foi. Il s'agit en quelque sorte d'une "petite" incarnation de l'amour que Dieu porte à l'humanité, et à travers les difficultés que vivent dans leur amour les épouxes l'un pour l'autre, ellils récapitulent les difficultés que connaissent les croyant pour accueillir l'amour de Dieu. La question de savoir si ce couple aimant réuni un homme et une femme me parait secondaire. Je pourrais montrer que, contrairement à une propagande active de nombreux milieu religieux, la Bible ne valorise pas particulièrement le couple hétérosexuel. Elle ne milite pas non plus pour la reconnaissance de prétendu droits pour de prétendus homosexuels (le concept d'homosexualité qui date du XIXe siècle est de toute manière totalement anachronique rapportée à la Bible). Son propos est la Foi, pas la manière dont les humains forment des couples.

Mais alors, la critique qui me paraît la plus pertinente à mon propos, qu'en est il de la fécondité du couple chrétien? Car il est tout à fait vrai qu'une des dimensions fondamentales de la vie d'un mariage chrétien est sa fécondité.

2) Enfant = Père + Mère
a) Je suis toujours surpris de voir les milieux catholiques conservateurs à la fois défendre le célibat des prêtres ET le modèle d'une famille chrétienne produisant de nombreux enfants. Non pas que je critique au niveau individuel ni le choix de rester célibataire "pour le Royaume" ni le choix d'accueillir de nombreux enfants. Je m'élève contre la propension à élever l'un ou l'autre ou les deux options comme les modèles exclusifs de la vie chrétienne bonne. Pour moi, d'autant plus que je l'ai envisager pour ma vie personnelle, le choix de rester célibataire n'est pas un renoncement à être fécond. Et ce n'est pas un hasard si on appelle nos prêtres "père". C'est que nous signifions par là qu'ils ont une fécondité spirituelle. Pour autant, l'accueil de la fécondité spirituelle que nos prêtres apprennent à vivre, il ne s'agit ni d'un palliatif à leur renoncement à devenir des pères biologiques, ni une exclusivité qui leur serait réservée de par un supposé héroïsme. Tout un chacun, d'autant plus dans le baptême, est appelé à être fécond, pas seulement selon la chair, c'est à dire la biologie, mais aussi selon l'esprit, c'est à dire susciter la Foi chez ses contemporainës, autrement dit enfanter säon prochainë à la Foi. Cette première considération sur le jeu de mot entre "père selon l'esprit" et "père selon la chair" montre à quel point la théologie chrétienne s'est affranchie de longue date des déterminants biologiques. Jésus lui même rabroua les gens qui lui rappelèrent que sa mère le cherchait en disant "qui sont ma mère et mes adelphes? Ce sont tous celleux qui écoutent mes paroles".
b) Cela dit au niveau de la spiritualité, la plupart des théologiens et moralistes catholiques me répondront qu'il est dangereux de trop mélanger ce que l'on dit au niveau spirituel et ce que l'on affirme au niveau concret. Pourtant, au niveau des faits sociologiques, il est faux de dire que pour faire un enfant, il faille un homme et une femme. La seconde équation aussi est fausse. Notre sociologie contemporaine nous montre des enfants élevés par leur seule mère, ou par leur seul père, et qui devienne des êtres humains pas plus ni moins équilibrés que tout un chacun. Nous voyons aussi selon les aléas de la vie des enfants élevés par des communautés d'adulte d'un seul sexe, un tel qui est élevé par sa mère et sa grand-mère, tel autre par son père et son oncle. (Il n'est pas la peine de supposer un lien intime basé sur des relations sexuelles entre les adultes qui élèvent l'enfant) Et pour autant ces enfants, bien que sans "modèle paternel" ou "modèle maternel", n'en sont pas moins humains, c'est à dire avec des richesses affectives et avec des difficultés relationnelles comme nous en avons tous. Nous savons pourtant bien que ce n'est pas la biologie, ce n'est pas le fait de partager la moitié de ses gènes, qui fait le lien entre un père et sa fille, entre une mère et son fils. Puisque nous acceptons l'adoption. Et même quand il y a un lien biologique, il faut passer par le processus d'adoption entre unë parent et säon enfant.
c) encore plus dans une perspective chrétienne, il me semble (mais là c'est une réflexion récente chez moi, et qui demande encore à être mûrie) il me semble que quand nous devenons parent, nous sommes tous des Joseph. C'est à dire comme le père "terrestre" de Jésus. Les enfants que nous accueillons, nous savons profondément qu'ils sont Fillsses de Dieu. Cette perspective me parait juste spirituellement parce qu'elle nous apprend que les enfants que nous portons au monde sont destinés à la liberté, sont destiné à devenir ce qu'ils sont, et non ce que nous voulons qu'ils soient, ou ce que nous pensons qu'ils sont, quand bien même nous trouvons dans les traits de leur visage et de leur caractère des ressemblances.

3) Accueillir la Foi chrétienne, ce n'est pas prendre position sur ce que doit être un couple humain.
La Foi chrétienne porte sur notre rapport à Dieu, qui nous envoie dans un rapport d'amour (de charité) vis à vis d'autrui.

Tout un courant de chrétiens conservateurs affirment que la Bible fonde une "anthropologie", c'est à dire une certaine vision de ce que doit être l'humain. Mes connaissances bibliques (partielles certes) me portent à dire que c'est faux. Il n'y pas UNE anthropologie biblique, mais une multitude d'anthropologies à travers les livres bibliques, qui dépendent des auteurs historiques de ces livres. La Bible supporte de réunir plusieurs anthropologies ensemble parce que l'enjeu de la Bible n'est pas de fonder une anthropologie. L'enjeu de la Bible est de témoigner de la Foi, de la quête de la Foi, du combat pour la Foi, de plusieurs générations de fidèles, jusqu'à Jésus Christ, incarnation de Dieu Lui-même. C'est à mon avis dangereux pour l'annonce de la Foi que de la confondre avec le combat pour une idéologie, pour une anthropologie, ou même pour une morale. La Bible assume plusieurs idéologies, plusieurs anthropologies, plusieurs morales, parce qu'on peut rentrer dans un Foi authentique tout en ayant une idéologie différente, un vision de l'Humain différente, un morale différente, etc.

Tout ceci n'est pas une affirmation de certitude, même si c'est de conviction, j'évoluerai certainement à l'avenir par rapport à ces points de réflexion, en écoutant autour de moi, en continuant à méditer les écritures, etc. Ton avis m'aidera.

mardi 11 septembre 2012

Le pape Benoît XVI condamne la prostitution comme un crime contre l’humanité.

Dans son discours du 7 novembre 2011 au nouvel ambassadeur d’Allemagne auprès du Vatican, le pape Benoît XVI déclare : «Toute personne, homme ou femme, est destinée à exister pour les autres. Une relation qui ne respecte pas l'égale dignité des hommes et des femmes constitue un grave crime contre l'humanité. Il est temps de faire un effort vigoureux pour endiguer la prostitution, ainsi que la diffusion généralisée de matériel à caractère pornographique, également sur Internet » 1.

Non seulement les commentateurs allemands réagirent unanimement2 en associant cette déclaration avec le récent scandale autour de la publication par la société d’édition « Weltbild », propriété de l’épiscopat allemand, de plusieurs milliers d’ouvrage de pornographie. Mais surtout aucun ne citèrent la déclaration complète du pape, escamotant la condamnation de la prostitution comme un crime contre l’humanité. Or le pape s’adressait au représentant de la république fédérale allemande pour condamner clairement et fermement le système prostitutionnel en tant que tel. En effet, comme s’en étonnent certains internautes allemands dans les commentaires d’articles3, si le pape voulait régler une situation interne à l’Eglise allemande, il aurait pu intervenir par d’autres voies, par le nonce apostolique notamment. S’il s’adresse à l’ambassadeur d’Allemagne, c’est bien qu’il compte attirer l’attention de la société allemande entière sur le phénomène prostitutionnel en son sein. Cette déclaration papale et les (non-)réactions qu’elle a suscitée dans la presse allemande induisent à faire deux observations : d’une part la surdité manifeste de la presse allemande à l’interpellation du pape à propos de la prostitution illustre l’absence de (/la faiblesse du) débat sur cette questiondans la société allemande; d’autre part la prise de position de Benoît XVI vis-à-vis de la prostitution est novatrice dans sa fermeté, elle la définit comme un crime contre l’humanité, mais elle s’inscrit dans une tradition qu’il n’est pas inutile de rappeler :


La prostitution dans la Bible
La source de l’enseignement de l’Eglise sont bien entendu les Ecritures, à commencer par les Evangiles. Deux versants d’une même attitude vis-à-vis de la prostitution et des personnes prostituées si détachent clairement : d’une part l’accueil aimant des personnes prostituées et d’autres part la condamnation sans concession de la prostitution en tant que système.
L’accueil aimant de Jésus.
L’attitude de Jésus-Christ envers de nombreuses femmes suspectées de « mauvaises vies » par leurs contemporains montrent l’exemple. Que cela soit « la pécheresse » (Lc 7,36-50), la « samaritaine » (Jean 4,5-53), Marie de Magdala (Lc8,2 ; Mc 16,1-11) ou la femme adultère (Jn8,1-11), Jésus agit toujours de même : accueil, écoute, soulagement spirituel et matériel de la détresse. Les hommes de pouvoir qui réprouvent l’attitude de Jésus sont régulièrement renvoyés à leurs propres péchés, qui souvent sont la cause même de la situation de ces femmes. Plus encore Jésus donne certaines personnes prostituées en modèle de la foi : celles qui ont cru en Jean le Baptiste « précèdent [les prêtres du Temple de Jérusalem] dans le Royaume » (Mt 21,31-32).
La tradition prophétique : l’idolâtrie est comme un prostitution.
Dans le même temps Jésus s’inscrit pleinement dans la tradition biblique qui condamne à la fois prostitution et idolâtrie, l’une et l’autre devenant métaphore réciproque. La prostitution constitue la perversion de la relation d’amour entre femme et homme et l’idolâtrie celle de la relation entre l’humanité et Dieu. Peu avant de donner les personnes prostituées en modèle de foi, Jésus chassa les vendeurs du Temple, citant les imprécations du prophète Jérémie (Mt 21,12-13). L’argent ne saurait être mêlé au sacré, de même qu’il ne saurait l’être avec la sexualité. Osée, l’un des plus anciens prophètes de l’Ancien Testament, a vécu dans sa chair cette geste condamnant le système prostitutionnel tout en accueillant la personne prostituée. Il en épousa une, Gomer. Des obstacles que la prostitution opposa à leur amour, il en tira un enseignement pour le peuple lecteur de la Bible : comment l’idolâtrie fausse le juste culte à Dieu. Dans la tradition ouverte par Osée, traitant l’idolâtrie de prostitution et comparant la relation entre Dieu et l’humanité avec une relation d’amour, on trouve les prophètes Amos, Isaïe et Ezéchiel. On trouve aussi le magnifique chant des deux amoureux du Cantique des cantiques, que les traditions juives et chrétiennes ont lu comme l’amour mystique entre Dieu et l’humanité. Le Cantique se termine par une condamnation de la tentation de payer pour de l’amour : « Si quelqu’un donnait tout l’avoir de sa maison en échange de l’amour, à coup sûr on le mépriserait » (Ct 8,7). Le théologien Josef Ratzinger s'inscrit entièrement dans cette tradition biblique pour fonder sa théologie du mariage5.
Les personnes prostituées, figures de l’Eglise.
Cependant la Bible est aussi le témoignage littéraire de sociétés successives du Proche-Orient antique. Elle témoigne donc aussi de l’ancienneté de l’existence de la prostitution. Dans la Genèse, Tamar se déguise en prostituée pour obtenir une descendance de la part de son beau-père, qui la lui refusait malgré la loi de l’époque (Gn38). Cet épisode illustrerait la précarisation de la condition des femmes au tournant du néolithique, manifestée par l’apparition de la prostitution6. Dans le livre de Josué, c’est une prostituée, Rahab, qui donne la victoire aux armées de Josué en infiltrant des espions dans Jéricho. Elle et sa famille sera la seule survivante du massacre et ils seront incorporés aux tribus hébraïques (Js 2). Tamar comme Rahab font partie des quatre seules femmes citées dans la généalogie de Jésus par Matthieu (Mt1). Les pères de l’Eglise vont utiliser la figure de Rahab comme allégorie de l’Eglise naissante : elle ne fait pas partie du peuple juif, elle est issue du paganisme (elle est prostituée) mais sa foi a permis la victoire de Jésus (en hébreux Josué et Jésus sont homonymes). Pour Origène, Rahab représente « cette Eglise du Christ qui s'est recruté parmi les pécheurs et les reçoit comme au sortir de la prostitution »7. A sa suite Ambroise de Milan nommera l’Eglise « prostituée chaste » (casta meretrix)8. Urs von Balthasar, théologien du XXe siècle, reprendra cette expression pour fonder son ecclésiologie9.
La prostitution et les chrétiens dans l'histoire
Augustin, ce qu’il n’a pas dit et ce qu’il a vraiment dit de la prostitution.
Il est courant d’entendre dire que Saint-Augustin, parmi les pères de l’Eglise, justifia le recours à la prostitution, par une citation particulièrement ignoble : « Il [Augustin] dit que la femme publique est dans la société ce que la sentine est dans la mer et le cloaque dans le palais. Retranche le cloaque et tout le palais sera infecté." Or Charles Chauvin a montré que cette citation rapportée par Ptolémée de Lucque au XIIIe siècle ne se trouve nulle part dans les œuvres connues d’Augustin10. On ne trouve qu’une citation au sens proche, mais moins injurieux, dans un traité de philosophie écrit par le jeune Augustin, avant sa conversion au christianisme, alors qu’il était manichéen11. Au contraire, une fois devenu évêque, Augustin enjoindra les hommes chrétiens à ne pas être clients de la prostitution lors des fêtes données dans la ville de Bulla. A cette occasion, il rappela que Jésus affirma que les personnes prostituées « nous précèdent au Royaume des cieux »12.
Prohibitions et réglementations en chrétientés
Or cette seconde citation d’Augustin fut oubliée par les théologiens du Moyen-Âge pour ne retenir que le pseudo-Augustin qui compare les personnes prostituées à un cloaque. Concrètement cela va conduire à une succession de régimes prohibitionnistes, condamnant et réprimant les personnes prostituées, et plus ou moins les clients et les proxénètes, et de régimes réglementaristes, méprisant et humiliant les personnes prostituées, mais tolérant complaisamment clients et proxénètes. On cite souvent l'ordonnance de 1256 de Saint-Louis. Elle serait le modèle des réglementations médiévales reléguant la prostitution hors les murs des villes. Cependant Saint-Louis souhaita d'abord interdire strictement la prostitution par l'ordonnance de 1254, qui prévoyait des châtiments corporels sévères contre les « ribaudes » et leurs protecteurs13. Justinien avant lui, parmi les premiers empereurs chrétiens, décida en 535 la fermeture des lieux de prostitution dans Byzance et le bannissement des proxénètes. Apparemment selon le conseil de son épouse Théodora, peut être elle-même une ancienne courtisane. Cette mesure ne dura cependant que 20 ans, Justinien permettant le retour des souteneurs 8 ans après la mort de Thédora.
L’Église tolère la prostitution comme un « moindre mal ».
S’appuyant sur la fausse citation de Saint-Augustin et la doctrine du moindre mal de Thomas d'Aquin, les moralistes catholiques vont justifier la tolérance de la prostitution à partir du XIVe siècle. Cette doctrine de la prostitution comme un moindre mal, quoiqu'en contradiction manifeste avec les sources du christianisme, va prévaloir jusque au début du XXe siècle au sein de l’Eglise catholique, et dans la mentalité des sociétés chrétiennes d’Europe occidentale. On voit à quel point cette mentalité va être reconduite, quoique sécularisée, dans la réglementation de la prostitution « à la française » du XIXe siècle. Parent-Duchâtelet comparant les personnes prostituées aux égoûts.
Les résistances évangéliques à la prostitution en chrétienté.
Pourtant des chrétiens ne cesseront de résister contre ces attitudes anti-évangéliques quant à la prostitution. Ignace de Loyola fonda à Rome en 1542 la maison Sainte-Marthe pour accueillir les personnes prostituées, en leur donnant le choix du type de vie qu'elles souhaitaient. Le vieil Ignace arpentait les rues de Rome pour aller à la rencontre des courtisanes et leur proposer de rejoindre sa fondation14. Alphonse de Ligori de son côté fut un des rares moralistes à condamner fermement les clients de la prostitution. Tout au long du Moyen-Âge et sous l'Ancien Régime, des initiatives régulières vont être prises pour donner aux personnes prostituées un accueil et une possibilité de trouver une alternative à la prostitution, même si l'alternative, contrairement à la maison Sainte-Marthe d'Ignace de Loyola, était souvent réduite à une vie austère et recluse : couvents de repenties ou de Madeleines, le Bon Pasteur...
Retour aux principes évangéliques : l'abolitionnisme chrétien.
La fondatrice moderne de l’abolitionnisme, Josephine Butler, est pleinement issue du protestantisme anglican. L’abolitionnisme va ensuite trouver un écho militant dans les milieux du catholicisme social de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. A tel point qu’au moment de Aggiornamento de l’Église que constitua le concile Vatican II, la prostitution en tant que système sera clairement condamnée. Le Nid a été fondé par le père Talvas avec des militants du catholicisme social. L’Église catholique française est acquise à différents niveaux au double principe de l’accueil charitable des personnes prostituées et de la condamnation du système prostitutionnel. De nombreux diocèses soutiennent matériellement et spirituellement le Mouvement du Nid, laquelle association fait partie du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement. Récemment la conférence des évêques de France (CEF) réagissait à l’augmentation brutale de la prostitution et de la traite en provenance d’Europe orientale au cours des années 1990 par une condamnation ferme du système prostitutionnel :
Il s'agit, en réalité, de savoir si l'être humain peut être objet de commerce. La prostitution est une atteinte à la dignité des personnes: elle exprime un mépris du corps et rabaisse la relation sexuelle au niveau d'un marché. (…) La prostitution est un refus du projet divin à l'égard de toute personne humaine et donc, au regard de la foi, elle relève de l'ordre du péché, tant personnel que collectif.15
En conséquence la CEF encourage vivement les catholiques et les communautés chrétiennes à s’engager en faveur de l’abolition de la prostitution :
“Répondre à la situation alarmante du phénomène de la prostitution, s'engager auprès de ceux et de celles qui s'opposent à toutes les formes de sa banalisation, défendre le respect de toute personne parce qu'elle est une créature aimée de Dieu, sauvée par le Christ: cette tâche incombe aujourd’hui en France à toutes les communautés chrétiennes.”
Peut être influencée par les travaux de Charles Chauvin, la déclaration des évêques reprend sa conclusion: “Le 19e siècle a vu la fin de l'esclavage. Le 20e sera reconnu comme celui où la peine de mort a été abolie dans la plupart des pays du monde. Le 21e sera, si nous le décidons, celui de l'éradication progressive de l'exploitation sexuelle.”
La récente déclaration du pape Benoît XVI est donc à situer dans la continuité de cette longue tradition biblique et chrétienne: condamnation de la prostitution au nom de la dignité des personnes. Plusieurs siècles de « chrétienté » où la prostitution était tolérée comme un moindre mal et où les personnes prostituées ont été particulièrement humiliées, à l’instar de toutes les femmes accusées par une théologie misogyne obsédée par la pureté sexuelle, laisse au christianisme contemporain un lourd héritage dans les mentalités comme dans les faits. Beaucoup trop parmi les chrétiens partagent ces opinions anti-évangéliques, comme le montre la surdité des allemands, y compris des catholiques allemands, quant à la condamnation par le pape du système prostitutionnel dans leur pays comme un « crime contre l’humanité ».
Chronologie.
  • VIIIe siècle av. JC : Osée, prophète dans le Royaume du Nord, épouse une femme prostituée, Gomer, et dénonce toutes formes d’idolâtrie comme une prostitution.
  • VIIe siècle av. JC : rédaction du deutéronome, interdit de la prostitution des femmes et des hommes en Israël. ("Il n'y aura pas de courtisane sacrée parmi les filles d'Israël; il n'y aura pas de prostitué sacré parmi les fils d'Israël. Tu n'apporteras jamais dans la maison du SEIGNEUR ton Dieu, pour une offrande votive, le gain d'une prostituée ou le salaire d'un "chien", car, aussi bien l'un que l'autre, ils sont abomination pour le SEIGNEUR ton Dieu."Dt.23 ;18-19)
  • Temps évangéliques : on compte parmi les disciples de Jean le Baptiste des personnes prostituées. Jésus les montre comme exemple de la foi (Mt 21,31-32)
  • IIIe siècle ap. JC : Origène voit en Rahab une allégorie de l’Eglise.
  • IVe siècle ap. JC : Ambroise de Milan parle de l’Eglise comme d’une prostituée chaste (casta meretrix).
  • 535 : fermeture des lieux de prostitution dans Byzance par Justinien. Les personnes prostituées sont récluses dans des conditions indignes.
  • 1254 : interdiction de la prostitution dans le Royaume de France par Saint-Louis. Des châtiments corporels sont prévus pour les personnes prostituées et les proxénètes.
  • 1256 : réglementation de Saint-Louis. La prostitution est tolérée hors les murs des villes, et à distance des lieux de pèlerinage et cimetierre.
  • 1542 : Fondation de la Maison Sainte-Marthe à Rome par Saint-Ignace de Loyola. Les personnes prostituées sont accueillies dans le respect de leur choix de vie. Ignace va à leur rencontre dans les rues de Rome.
  • 1886 : Joséphine Butler obtient du gouvernement britannique l’abandon de la réglementation de la prostitution « à la française ». Première victoire de l’abolitionnisme moderne.
  • 1937 : rencontre entre Germaine Campion et le père André-Marie Talvas à l’origine du Mouvement du Nid, de l’Amicale du Nid et du Mouvement Vie Libre.
  • 8 décembre 1949 : promulgation de la constitution pastorale « Gaudium et Spes » condamnant la prostitution parmi les « offenses à la dignité humaine » que les chrétiens doivent combattre.
  • 1975 : occupation d’églises dans plusieurs villes de France par un mouvement de personnes prostituées contre le harcèlement policier, avec le soutien de militants catholiques (notamment du Nid).
  • 2000 : Déclaration des évêques de France.
     
  • 2003: document de la commission sociale des évêques de France "Violence envers les femmes", paragraphe 7 à 13
  •  
  • 2011 : Benoît XVI déclare à l’ambassadeur d’Allemagne que la prostitution est « un crime contre l’humanité ».
2 07/02/2011 Focus,“Papst Benedikt XVI. ruft katholische Bischöfe gegen Erotik auf“; Stern: „Papst fordert deutsche Bischöfe zum Vorgehen gegen Pornografie auf“; Süddeutsch Zeitung: „Papst verdammt Pornos im Internet“; etc.
3 http://www.kath.net/detail.php?id=33798&action=komm
4 Gaudium et Spes, 27,3
5“Si le culte (...)de la fécondité fonde directement du point de vue théologique la prostitution, alors la relation de l'homme et de la femme dans le mariage exprime la conséquence de la foi au Dieu d'Israël.” La fille de Sion, Josef Ratzinger, 2002 (origin. 1990), Parole et Silence, p. 40
6cf. “Nature Culture guerre et prostitution; le sacrifice institutionnalisé du corps” Martine Costes-Péplinski; 2001, Sexualité humaine L'harmattan. pp.75-78
7Homélies dur Josué III,4
8 "Rahab – qui originellement était une prostituée mais qui dans le mystère est l’Église – a indiqué en son sang le signe futur du salut universel au milieu du massacre du monde. Elle ne refuse pas l'union avec les nombreux fugitifs, elle est d’autant plus chaste qu’elle est plus étroitement unie au plus grand nombre d’entre eux ; elle qui est vierge immaculée, sans ride, intacte dans sa pudeur, amante publique, prostituée chaste, veuve stérile, vierge féconde... Prostituée chaste, parce que de nombreux amants viennent à elle par l’attrait de l'amour mais sans la souillure de la faute" (In Lucam III, 23).
9 Sponsa Verbi. Skizzen zur Theologie II. Johannes Verlag 1961.
10 Les chrétiens et la prostitution; Charles Chauvin, Le Cerf, 1983. pp.56-60
11 De Ordine II,IV,12
12 17Eme sermon (pour la fête des machabées I; paragraphes 8 et 9. (http://caloupile.blogspot.com/2010/04/prostitution-intolerable-chez-augustin.html)
13 Les chrétiens et la prostitution; Charles Chauvin, Le Cerf, 1983. pp.30-31
14 Prostitution et Société 1991; http://caloupile.blogspot.com/2011/08/ignace-de-loyola-et-les-personnes.html
15 Déclaration de la CEF; 4 décembre 2000; Prostitution et Société, janvier 2001.

vendredi 2 mars 2012

Lettre d'une ex-pute à une de ses jeunes semblables; ou la plus libre des femmes.

Traduction depuis l'anglais.

Chère Stella, toi qui as vingt ans,

Travaille dur pour apprendre à demander de l’aide. C’est le seul moyen que tu n’auras jamais pour te libérer. Personne ne fait jamais rien seul. Tu n’as pas à essayer.
Tu vas apprendre comment contenter les hommes. Plus ils seront contents, et plus ils te traiteront gentiment. Tu arriveras très bien à être une pute. Mais quand le client dit « ma petite, tu es née pour ça », cela ne veut pas dire que cela soit vrai.
Maintenant, quand la plupart des hommes s’approchent de toi, tu te sens agressée, comme si une lame de couteau se trouvait sous tes yeux, contre ton cou, dans le creux de ton ventre, alors que tu sais que ce n’est pas réel. Tu ne veux pas l’admettre, mais tu es terrifiée. Tu sursaute, tu tremble, tes mains tremblent. Penses-y, tu as été souvent menacée ces derniers temps. C’est une réaction compréhensible après avoir été utilisée par une succession d’homme, durant une succession de jours, dans la prison du bordel. Cela ne veut pas dire que tu es tellement cassée et humiliée que tu ne peux rien faire d’autre qu’être pute.
Être une pute ne fait pas de toi unë sous-humain. Cela n’est pas correct que tes proxénètes (blancs) te battent et te menacent de te tuer.
Tu as de mal à contrôler ta nervosité seulement pour payer une boisson à la caisse. Tu es trop effrayée pour demander au mec derrière le comptoir de te préparer un sandwich. Ce ne sont pas des signes de faiblesse. Ce sont des symptômes biologiques. Les traumatismes ont modifié ton cerveau. Ton hippocampe, la région du cerveau où se forme ta mémoire narrative, s’est rapetissé. C’est un symptôme du PTSD, le syndrome de stress post-traumatique, une réponse neurophysiologique à des traumatismes psychologiques répétés. Ce n’est en rien une preuve que tu mérites d’être dans la prostitution.
Au milieu de l’hiver, au milieu de la nuit, dans la suite d’hôtel luxueuse, quand ce mec t’invite à t’asseoir pendant qu’il te verse un verre d’eau, suis ton instinct et fuis avant que les cinq mecs cachés qui t’attendent dans la chambre n’aient le temps de se mettre entre toi et la porte.
Être vulnérable, ça veut dire que tu es en vie. Il n’y a pas de honte à ça. Cela ne veut pas dire que tu sois une pauvre fille. Tu n’as pas à t’excuser pour faire ce que tu dois pour survivre.
Quand Samantha arrête de travailler pour Johnny, ton proxo. Trouve-la et fais la sortir de la ville. Sinon deux semaine plus tard, Nicole, la “Madame” qui travaille avec Johnny te montrera l’anneau en or de Samantha et te dira que Johnny l’a étranglé. Même si tu penseras toujours qu’elle t’aura menti, tu auras un doute.
Tu as perdu le compte des jours, le temps a disparu et tu as l’impression qu’il fuit. Tu vis maintenant dans l’immédiat et l’éternité. C’est effrayant et déconcertant, mais tu as en besoin, il t’est nécessaire que chaque instant s’étire infiniment de telle sorte que tu puisses être extrêmement attentive au moindre minuscule mouvement et à la moindre modification d’expression de chaque homme, car cela peut t’avertir d’une agression. Cette hypersensibilité va te sauver la vie. Un jour tu verras cette aptitude à être détaché du temps comme une sorte de grâce.
Quand cet élégant pianiste de classique que tu rencontres au café te dit qu’il veut tout savoir sur toi, ne le crois pas.
Beaucoup de ce qui t’arrive aujourd’hui, tu ne le comprends pas, mais tu le comprendras plus tard. Cette habitude que tu as prise de composer dans ta tête des poèmes que tu adresses à un amoureux que tu n’as pas encore rencontré alors que tu prends un taxi pour un rendez-vous ? Il y a quelque chose qui fait sens là-dedans.
Ta capacité à percevoir la beauté fait partie de ta résilience et de ta survie. Quand un homme est sur toi, regarde par la fenêtre les feuilles agitées par le vent. Saisi la joie du grand air que tu ressens alors que tu es entrain de courir pour trouver à acheter des capotes entre deux rendez-vous à trois heures du matin. Quand tu penses pour un instant avoir vu une amie dont tu n’as jamais fait le deuil, se tenir dans la lumière du soleil couchant sous un saule pleureur, sois en reconnaissante. Tout cela a une raison.
Être une pute peut sembler signifier que tu as tout perdu de ce que tu espérais être. Mais ce n’est pas vrai. Tu es brisée en mille morceaux, mais tu es toujours toi. Tu es en vie. C’est dans ces espaces entre ces milles morceaux que tu as appris à sentir comment les autres ressentent. Ca te bouleverse tellement que tu n’es pas sûre que cela ne te tuera pas. Mais non, cela ne te tuera pas. Plus tard, quand tu seras sortie de cette vie ce sera tellement simple d’être heureuse. Ton quotidien sera ta bouée de sauvetage.
Quand ta “Madame” t’envoie dans un hôtel de luxe à trois heures du matin et que tu rencontres un professeur britannique qui te dit qu’il veut t’aider, crois-le. Il t’installera dans un magnifique appartement en face du Lincoln Center, qu’il te donnera. Bien sûr tu devras faire tout ce qu’il faut pour ça, tu es tellement « bonne » à faire la pute, tellement « bonne » pour la baise que tu peux faire faire ce que tu veux à un mec. La honte, c’est dur à avaler. (Shame is a hollow stone in the throat)
Au cours de ces deux années pendant lesquelles cet homme prédateur t’a “gardé” comme sa prostituée privée, l’appartement sera devenu une prison dorée. Mais c’est toujours une chance pour sortir et te soigner. Prends-là.
Après avoir vendu l’appartement et t’être installée dans une résidence étudiante à la Columbia University, tu te trouveras assise à la cafétéria en face d’un homme aux yeux comme du verre strié de bleu. Lorsqu’il commence à te parler, tu sais qu’il s’agit de l’être aimé inconnu auquel tu composais des poèmes toutes ces années durant. Tu essaieras de fuir en courant, mais il ne te laissera pas. Quatorze ans plus tard, alors que lui et toi êtes entrain de randonner sur un affleurement de granite rose avec votre labrador, tu te sentiras la plus libre des femmes.
Un après-midi, à l’âge de 21 ans, tu seras au Musée Metropolitan avec ton meilleur ami Gabriel, qui est un gigolo, un prostitué masculin. Quand il te dit que tu lui « rappelles sa mort », ne le rejette pas. Même s’il te raconte que le médecin dit qu’il n’a pas cet étrange nouveau virus, SIDA, ce sera ton devoir de te rendre compte qu’il tousse encore.
Cesse de penser à tes propres blessures. Ne te tourmente pas avec cette phrase perverse que t’a dite ta mère si souvent : « j’espère que tu auras une mort lente ». Ne lui dit pas que tu ne veux plus jamais le revoir, ne quitte pas la galerie des sculptures. Ce sera la dernière fois que tu le vois. Gabriel mourra du SIDA cinq mois plus tard. Lorsqu’il a dit que tu lui rappelais « sa propre mort », il essayait de te prévenir qu’il était entrain de mourir. Tu regretteras ce que tu lui as dit le reste de ta vie. Et encore plus, tu regretteras d’avoir fuit son amitié.
S’il te plait, dit « pardonne-moi »
Dit « Je t’aime ».

Reste en contact.

Amour,

Stella

mardi 28 février 2012

Chrétiens de Saint-Martin

Voici une pétition à laquelle j'adhère entièrement. On peut la signer ici.

Le 12 février, Jean-Luc Mélenchon était l’invité de Radio France Politique. Il a dé­noncé les dérives extrême-droitistes de la majorité, illustrées par les récentes déclarations de Claude Guéant et Nicolas Sarkozy. Il a salué la prise de position de François Bayrou et en a appelé aux chrétiens : «?Il est temps quand même que des chrétiens, comme lui, commencent à dire que, au fond, il y a deux christianismes, celui des croisades et celui de saint Martin : partager son manteau sans aller demander les papiers à celui à qui on donne le morceau pour qu’il ait chaud.?» Quelles que soient nos opinions sur Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou ou leurs programmes, nous affirmons fortement notre vision d’un christianisme du « manteau partagé ». C’est ce christianisme que nous faisons vivre sur le terrain, que nous – ou nos Églises — défendons publiquement, sans toujours être entendus. Nous dénonçons l’esprit de croisade pour la défense de la « France chrétienne » : l’extrême droite catholique s’attaque à l’art contemporain, la présidence de la République et sa majorité affirment une soi-disant supériorité d’une civilisation (chrétienne) sur d’autres, sans compter le discours du Front national, et nous en passons… Nous contestons la manipulation et l’accentuation des clivages dans notre pays : clivages raciaux, sociaux, religieux, ethniques, de couleur de peau qui font du jeune de banlieue, du musulman, du chômeur, du Rom, le bouc émissaire. Ces clivages sont utilisés par les médias, les pouvoirs et certaines forces politiques pour occulter le clivage de fond : le clivage social. Les discriminations ne sont plus des faits isolés, elles sont un système qui s’attaque aux habitants des quartiers populaires, aux Noirs, aux Arabes, aux musulmans. Elles créent une classe de citoyens à part. Jésus était du côté des parias pour mettre à bas les murs de séparation, nous sommes aux côtés de ceux d’aujourd’hui. Nous défendons la laïcité de la loi de 1905 dans son esprit et dans sa lettre. Donc nous dénonçons son instrumentalisation pour mener l’assaut contre les musulmans et autres minorités religieuses. Cette croisade n’est possible que parce que d’aucuns renvoient dos à dos laïcité et religion comme deux entités inconciliables. La laïcité ne pourrait que s’opposer à des religions toujours présentées comme dogmatiques, obscurantistes, dangereuses. Le spirituel et ses valeurs ne seraient réservés qu’à la sphère intime ou privée, en l’opposant à la sphère sociale, politique, publique. Au contraire, il est urgent de promouvoir l’esprit des pères de la loi de 1905 : une laïcité inclusive qui n’exclut pas telle ou telle population, une laïcité qui permet le dialogue public de positions religieuses et non religieuses. C’est pour nous le meilleur moyen de renforcer des religions synonymes de liberté de conscience et de faire reculer les courants religieux d’aliénation. Notre christianisme est bien celui de saint Martin, mais aussi de l’abbé Pierre, de Théodore Monod, de Dietrich Bonhoeffer, de Martin Luther King ou Desmond Tutu. Le partage du manteau signifie aider l’autre, frère ou sœur en humanité, qu’il ait des papiers ou non, même si cela viole la loi. Mais il faut aller plus loin. Donner un bout de son manteau, c’est poser le problème du partage planétaire des richesses, rendu impossible par le système capitaliste qui repose sur la concurrence de tous et toutes contre toutes et tous, qui produit souffrances personnelles et violences sociales, qui permet l’émergence de peurs et de discriminations. Nous refusons le chantage sur la dette qui place des pays entiers sous l’emprise des banques et des systèmes financiers. Nous soutenons le peuple grec étranglé par un nouveau plan d’austérité. Nous contestons les politiques d’austérité qui engendrent la pauvreté pour des millions d’individus et mettent en danger l’action publique. Cessons de diaboliser l’impôt, instrument de la répartition des richesses, cessons de penser en « toujours plus » de production, de consommation, d’énergie… Au contraire, face à la crise écologique, posons-nous la question du mieux, du bien vivre ensemble. Le vote pour l’extrême droite est incompatible avec les valeurs de l’évangile partagées bien au-delà des chrétiens. Nous disons aux chrétiens de droite inquiets de la tentation de l’extrême droite, qu’ils se doivent d’interpeller leur camp sur les dérives des politiques et des propos, notamment sur l’immigration, qui ont depuis longtemps dépassé le niveau de l’humainement acceptable. Nous disons aux dirigeants de la gauche que leurs politiques passées et leurs propositions sont rarement à la hauteur des enjeux, que nous espérons mieux d’eux. Nous disons aux chrétiens, aux croyants des autres religions, à tous les humanistes, aux hommes et femmes de bonne volonté : retroussons-nous les manches ensemble, interpellons les partis et les candidats lors des élections présidentielles et législatives, organisons des débats, prenons position pour refuser l’esprit de croisade et défendre celui de saint Martin. Chrétiens sociaux, nous continuerons à assumer dans notre travail associatif, ecclésial, diaconal, syndical, notre part de responsabilité : apprendre à vivre ensemble, dénoncer la manipulation des peurs, exhorter avec le message biblique à ne pas craindre l’autre. Croire que le dépassement de tous les clivages arrivera dans le Royaume des cieux est nécessaire, mais pas suffisant. Il faut assumer d’être dans la différence, dans le conflit : nommer ces clivages pour les penser et agir sur eux, travailler sur nos propres peurs, aider les personnes en souffrance à travailler les leurs… Oui, aujourd’hui un profil public de la foi face aux idéologies et aux injustices est essentiel. Oui, nous voulons soutenir une diaconie (un travail social) de protestation, qui agisse en termes de résistance, de non-violence active, d’invention et bien sûr de justice, d’espérance et d’amour.

lundi 27 février 2012

Toute femme est une pute virtuelle, exemple 1

Voici une illustration exemplaire comment la prostitution est une violence symbolique faite à toutes les femmes :

« Je peux même vous dire, par exemple, qu’il m’est arrivé d’être complètement bluffé à propos d’un couple dont je pensais que la femme était une prostituée. Je suis allé dîner chez eux, et j’ai appris qu’elle était notaire ».
Fabrice paszkowski
Cité par le Canard Enchainé, cité par Stéphane Guillon
Comme l’écrit Isabelle Alonso « Toute femme est une pute virtuelle ».

vendredi 10 février 2012

civilisation décadente (Aimé Césaire)

extrait de "discours sur le colonialisme"

"Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.

Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.

Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l'ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déférée à la barre de la « raison » comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d'autant plus odieuse qu'elle a de moins en moins chance de tromper.


L'Europe est indéfendable.

Il paraît que c'est la constatation que se confient tous bas les stratèges américains.

En soi cela n'est pas grave.

Le grave est que « l'Europe » est moralement, spirituellement indéfendable.

Et aujourd'hui il se trouve que ce ne sont pas seulement les masses européennes qui incriminent , mais que l'acte d'accusation est proféré sur le plan mondial par des dizaines et des dizaines de millions d'hommes qui, du fond de l'esclavage, s'érigent en juges.

On peut tuer en Indochine, torturer à Madagascar, emprisonner en Afrique Noire, sévir aux Antilles. Les colonisés savent désormais qu'ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres » provisoires mentent.

Donc que leurs maîtres sont faibles.

Et puisqu'aujourd'hui il m'est demandé de parler de la colonisation et de la civilisation, allons droit au mensonge principal à partir duquel prolifèrent tous les autres.

Colonisation et civilisation ?

La malédiction la plus commune en cette matière est d'être la dupe de bonne foi d'une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu'on leur apporte.

Cela revient à dire que l'essentiel est ici de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement, de répondre clair à l'innocente question initiale : qu'est-ce qu'en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu'elle n'est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l'ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d'admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l'aventurier et du pirate, de l'épicier en grand et de l'armateur, du chercheur d'or et du marchand, de l'appétit et de la force, avec, derrière, l'ombre portée, maléfique, d'une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d'étendre à l'échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes.

Poursuivant mon analyse, je trouve que l'hypocrisie est de date récente ; que ni Cortez découvrant Mexico du haut du grand téocalli, ni Pizarre devant Cuzco (encore moins Marco Polo devant Cambaluc, ne protestent d'être les fourriers d'un ordre supérieur ; qu'ils tuent ; qu'ils pillent ; qu'ils ont des casques, des lances, des cupidités ; que les baveurs sont venus plus tards ; que le grand responsable dans ce domaine est le pédantisme chrétien, pour avoir posé les équations malhonnêtes : christianisme = civilisation ; paganisme = sauvagerie, d'où ne pouvaient que s'ensuivre d'abominables conséquences colonialistes et racistes, dont les victimes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres.

Cela réglé, j'admets que les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu'une civilisation, quel que soit son génie intime , à se replier sur elle-même, s'étiole ; que l'échange est ici l'oxygène, et que la grande chance de l'Europe est d'avoir été un carrefour, et que, d'avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d'accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d'énergie.

Mais alors je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l'on préfère, de toutes les manières d'établir contact, était-elle la meilleure ?

Je réponds non.

Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine.

Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a au VietNam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de 1'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.

Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s'affairent, les prisons s'emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.

On s'étonne, on s'indigne. On dit : « Comme c'est curieux ! Mais, Bah ! C'est le nazisme, ça passera ! » Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c'est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c'est du nazisme, oui, mais qu'avant d'en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l'a supporté avant de le subir, on l'a absous, on a fermé l'oeil là-dessus, on l'a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s'était appliqué qu'à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l'a cultivé, on en est responsable, et qu'il est sourd, qu'il perce, qu'il goutte, avant de l'engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne.

Oui, il vaudrait la peine d'étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que s'il le vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est que l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique.

Et c'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme : d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste.

[…]

J'ai relevé dans l'histoire des expéditions coloniales quelques traits que j'ai cités ailleurs tout à loisir.

Cela n'a pas eu l'heur de plaire à tout le monde. Il paraît que c'est tirer de vieux squelettes du placard. Voire !

Etait-il inutile de citer le colonel de Montagnac, un des conquérants de l'Algérie :


« Pour chasser les idées qui m'assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d'artichauts, mais bien des têtes d'hommes. »


Convenait-il de refuser la parole au comte d'Herisson :



« Il est vrai que nous rapportons un plein barils d'oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis. «

Fallait-il refuser à Saint-Arnaud le droit de faire sa profession de foi barbare :


« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. »


Fallait-il empêcher le maréchal Bugeaud de systématiser tout cela dans une théorie audacieuse et de se revendiquer des grands ancêtres :



« Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths. »

Fallait-il enfin rejeter dans les ténèbres de l'oubli le fait d'armes mémorable du commandant Gérard et se taire sur la prise d'Ambike, une ville qui, à vrai dire, n'avait jamais songé à se défendre :



« Les tirailleurs n'avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas ; enivrés de l'odeur du sang, ils n'épargnèrent pas une femme, pas un enfant... A la fin de l'après-midi, sous l'action de la chaleur, un petit brouillard s'éleva : c'était le sang des cinq mille victimes, l'ombre de la ville, qui s'évaporait au soleil couchant. »

Oui ou non, ces faits sont-ils vrais ? Et les voluptés sadiques, les innommables jouissances qui vous friselisent la carcasse de Loti quand il tient au bout de sa lorgnette d'officier un bon massacre d'Annamites ? Vrai ou pas vrai ? [1] Et si ces faits sont vrais, comme il n'est au pouvoir de personne de le nier, dira-t-on, pour les minimiser, que ces cadavres ne prouvent rien ?

Pour ma part, si j'ai rappelé quelques détails de ces hideuses boucheries, ce n'est point par délectation morose, c'est parce que je pense que ces têtes d'hommes, ces récoltes d'oreilles, ces maisons brûlées. ces invasions gothiques, ce sang qui fume, ces villes qui s'évaporent au tranchant du glaive, on ne s'en débarrassera pas à si bon compte. Ils prouvent que la colonisation, je le répète, déshumanise l'homme même le plus civilisé ; que l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. C'est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu'il importait de signaler."


Notes
[1] Il s'agit du récit de la prise de Thouan-An paru dans le Figaro en septembre 1883 et cité dans le livre de N. Serban : Loti, sa vie, son oeuvre : « Alors la grande tuerie avait commencé. On avait fait des feux de salve-deux ! et c'était plaisir de voir ces gerbes de balles, si facilement dirigeables, s'abattre sur eux deux fois par minute, au commandement d'une manière méthodique et sûre... On en voyait d'absolument fous, qui se relevaient pris d'un vertige de courir ... Ils faisaient un zigzag et tout de travers cette course de la mort, se retroussant jusqu'aux reins d'une manière comique... et puis on s'amusait à compter les morts, etc. ».

samedi 21 janvier 2012

Democratie 2.0 vs Démovratie -1.0

Extrait de la table ronde organisée par le CCFD "Débat gouvernance: vers un rôle nouveau des acteurs, des territoires et des Etat-nations"; intervention de Gaël Giraud, économiste et Jésuite.
30'23''

"Je reviendrais volontier sur l'expérience islandaise (...) qui me semble absolument fondamentale. (...) Je résume en 15 secondes: L'Islande jusqu'en 2007-2008 était candidate pour rentrer dans l'Union Européenne. L'Islande, c'est 320 000 personnes. Donc c'est un arrondissement parisien. Et l'Islande en 2008 a explosé en vol parce que les trois plus grosses banques islandaises avaient accumulé sept fois le PIB du pays en dette. Les trois plus grosses banques islandaises étaient en faillite. Elles ont toutes été nationalisées du jour au lendemain. Donc l'Etat a repris les dettes de ces banques, mais à la différence de l'IRlande, l'état islandais a dit nous ne rembourseront pas les dettes détenues par des créanciers non-islandais, non-résidents. Cela, tant pis pour eux, bah ils ne récupéreront jamais leur argent. Ils ont fait des paris. Ils ont fait des investissements leur argent de manière hasardeuse. Il n'ont qu'à assumer les choix qu'ils ont fait: c'étaient de mauvais choix. L'Irlande, par contraste, a nationalisé également toutes ses banques, qui étaient également toutes en faillite, comme vous le savez, en Octobre 2010. Mais sous la pression de l'Union Européenne, a dit: "bien sûr, nous sommes gentle man, donc nous allons rembourser la totalité des dettes de nos banques." De sorte que la dette publique irlandaise a été multipliée par quatre en un an, puisque l'Etat a repris à son compte les dettes de ces banques. D'où la situation dans laquelle se trouve l'Irlande aujourd'hui. L'Islande, actuellement, renoue avec la croissance (Alors je ne suis pas du tout favorable à la croissance. Mais sa prouve que quand vous annulez les dettes des banques, ça marche). Et est entrée dans un processus de rédaction de sa constitution qui de fait est tout à fait nouveau, absolument inouï en Europe. Alors comme vous le savez, il y a eu deux réferendum successifs, à une année d'intervalle, pour savoir si les Islandaisses ne voulaient pas quand même rembourser un peu les dettes de leurs banques. Ca, sous pression évidemment de la grande-Bretagne et des Pays-Bas, parce que les principaux créanciers lésés se trouvaient aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Deux fois de suite la population islandaise a dit non. Puis s'est lancée dans la rédaction de la constitution. Alors pour ça il y a eu un grand appel populaire. On a demandé à tout les islandais qui avaient plus de, je ne sais plus combien, 21 ou 25 ans, qui connaissaient plus de 30 amis pouvant témoigner pour eux que ils étaient normalement constitués, qui pouvaient se porter candidat pour être rédacteur de la constitution. Il y a eu quelque chose comme 550 candidats qui se sont déclarés, parmi lesquels 25 ont été désignés. Alors c'est un processus, vous voyez, absolument inouï. D'une certaine manière, moi quand je vous entends parler de la démocratie 2.0, je suis tout à fait d'accord: il me semble que l'Islande est entrain en Europe d'inventer la démocratie 2.0. Dans le reste de l'Europe, nous somme entrain d'inventer la démocratie -1.0. C'est-à-dire celle où vous avez trois gouvernements qui ont sauté alors qu'ils étaient démocratiquement élus, sous la pression des marchés financiers: en Irlande, en Grèce, en Italie. Alors évidemment, quand c'est en Italie, et que c'est Berlusconi, tout le monde est content. Mais en Grèce, c'était Papandréou, qui lorsqu'il est arrivé au pouvoir a tout de suite dit que les comptes étaient faux. Ce n'est pas lui qui a falsifié les comptes grecs en 2001. Et en Irlande non plus. Donc ce sont trois gouvernements démocratiquement élus qui ont été remerciés sans autres formes de procès par une procédure qui échappe à tout controle démocratique, pour être remplacé par qui? En Grèce, vous l'avez vu, et en Italie également, par des techniciens qui sont tous les deux des anciens cadres de Goldmann Sachs. Tout comme à la Banque Centrale Européenne on a remplacé M. Trichet par Mario Draghi, qui est lui même un ancien cadre de Goldman Sachs. Donc c'est très impressionnant, en particulier en Grèce, puisque que on a mis au pouvoir quelqu'un qui fait partie du parti conservateur grec qui a falsifié les comptes en 2001, et qui a été un cadre de Goldman Sachs, qui est la banque qui a aidé la Grèce à falsifier ses comptes en 2001, au moment de l'entrée dans la zone Euro de la Grèce. Donc ça c'est la démocratie -1.0."