Le personnage d'Iznogoud nous fait beaucoup rire quand on le
rencontre en BD. En général, il est moins drolatique dans la vraie
vie. On le rencontre dans tous les collectifs humains, cet individu
qui veut « être Calife à la place du Calife », pour la
seule jouissance d'être à la place du chef. Incompétent sinon pour manœuvrer et conspirer. Tant qu'il n'a pas atteint son objectif, il
critique et décrédibilise celles et ceux qui lui apparaissent
comme des obstacles, il flatte celles et ceux qui lui semblent
pouvoir servir, un temps, ses desseins. Une fois chef, il révèle au
grand jour son incompétence et son manque absolu de conviction
personnelle. Il en devient d'autant plus un chef tyrannique, prêt,
pour rester en place, à trahir la cause dont il a prétendu être un
défenseur.
On trouve des Iznogouds partout où il y a un peu de pouvoir à grappiller. Depuis le club de pétanque jusqu'aux plus hautes
responsabilités. A droite, la figure du chef est évidente.
L'Iznogoud de droite n'a pas trop à se travestir. A gauche, le sens
même de l'engagement politique est la souveraineté populaire.
L'Iznogoud de gauche est obligé à quelques contorsions. C'est le
type d'Iznogoud le plus holométabole, qui, à l'instar de certains
insectes, change de forme de la manière la plus complète : ne
cessant de revendiquer plus de démocratie au cours de son stade
larvaire non-calife, il en sera d'autant plus tyrannique une fois
imago calife. J'ai rencontré quelques Iznogoud dans les associations
et dans les organisations politiques auxquelles j'ai participé. Ils
m'ont à chaque fois mis en rage. Instigateurs de zizanies futiles et
inutiles qui nous faisaient perdre du temps, de l'énergie et des
militants de bonne volonté, pour le plus grand bénéfices de nos
adversaires. Ma seule consolation était de savoir que l'Iznogoud est
une espèce également distribuée parmi les collectifs humains. Mais
de manière générale, les Iznogouds de tout bord participent à
décourager partout l'engagement du grand nombre dans l'action
collective, collaborant inconsciemment avec l'oligarchie qui aime la
passivité du peuple.
Avec la France Insoumise, j'ai l'impression que l'Iznogoud redevient
comique, que la rage et la frustration ne les concernent plus qu'eux
seuls. En effet, la FI, mouvement politique polycentrique, n'a pas de
Calife. L'objet de toute les jouissances de l'Iznogoud : « être
Calife à la place du Calife », lui est absolument retiré.
Alors évidemment il essaie de recréer un Calife de carton-pâte,
comme au Carnaval, pour pouvoir ensuite le brûler. Parfois c'est
Jean-Luc Mélenchon. Mais son statut de président du groupe
parlementaire de la FI est légitime, avec une claire distinction des
rôles avec l'animation du mouvement FI. Aussi se retourne t'on vers
Manu Bompard, ou bien « les dirigeants nationaux de la FI qui
sont tous issus du PG ». L'insinuation profite de l'habitude à
penser que le rôle qu'ils occupent correspond à celui d'un
« chef ». Mais la prise de conscience va se diffuser
qu'ils ne le sont pas. Le mouvement distribue les responsabilités à
qui veut bien les prendre, à travers les « pôles
fonctionnels » et les « équipes animatrices des livrets
thématiques ». Pour celles et ceux qui s'y sont inscrit, le
constat est clair que chacun y prend part selon ses disponibilités,
et qu'ainsi chacun gagne en compétences de telle sorte que la
compétence n'est pas un a priori. Sinon la compétence d'être de
bonne volonté.
On retrouve évidemment la vieille antienne de l'Iznogoud de gauche :
« vous n'êtes pas assez démocratique ! ». De la
bouche même de celles et ceux qui critiquent, discréditent ou
ignorent exactement les décisions collectives prises lors de vote
par l'ensemble du mouvement : tout simplement savoureux. Ils se
retournent alors contre le fait que les responsabilités ne sont pas
attribuées par vote. En effet, le fait de confier les tâches
fonctionnelles, c'est à dire le service au mouvement, à celles et
ceux qui veulent bien, qui ensuite s'auto-organisent entre eux, et de
tirer au sort les représentants des « exécutifs »
(convention, puis assemblée représentative), génère une
frustration sans borne : on leur retire la jouissance du conflit
permanent entre nous, la possibilité d'humilier l'autre en le
mettant en minorité, et de se glorifier de recueillir une majorité,
pour des tâches que les uns ou les autres auraient tout aussi bien
fait, et de toute manière mieux fait ensemble en coopérant… Mais
la pire des frustrations, c'est qu'ils vont être confrontés à la
mise à nu de ce que leurs manœuvres iznogoudiennes cachaient, sinon
à tous, en tout cas à eux mêmes : leur incompétence à
rendre service à notre cause commune, concrètement, humblement, au
quotidien.
Alors je sais que j'écris ceci au tout début de notre
expérimentation collective. Qu'ici ou là les iznogouds l'emportent
parce qu'ils ont convaincu autour d'eux que la FI est telle qu'eux
même la fantasment : hiérarchique et donc non-démocratique,
puisqu'ils n'imaginent pas d'autres formes d'implication de tous que
celle du vote de représentant. Que notre forme d'organisation
polycentrique pourrait faire apparaître des effets pervers que nous
ne supposons pas encore (en tout cas l'alerte sur ces effets pervers
ne viendra pas de ceux qui regrettent de ne pouvoir se complaire dans
la lutte mesquine pour les places de Calife, même s'ils seront les
premiers à s'enorgueillir de nous avoir averti). Que cette forme
d'organisation dépend beaucoup d'une certaine forme de discipline de
chacun, centrée sur la bienveillance, laquelle dépend elle-même de
pratiques qui génèrent des dynamiques vertueuses, et que justement
les Iznogouds, alliés à nos adversaires, sont en capacité de faire
s'écrouler ces dynamiques vertueuses, remplissant chacun de méfiance
et d'amertume.
Mais pour l'instant, celles-et-ceux qui me mettaient en rage de nous faire perdre du temps, me font rire comme dans la BD, de l'effet comique que leur propre obsession à être Calife à la place du Calife est sans objet ni effet face à un Calife tellement débonnaire puisqu'il n'existe pas, et que ce sont elles-eux qui perdent du temps à s'agiter pour rien...
Mais pour l'instant, celles-et-ceux qui me mettaient en rage de nous faire perdre du temps, me font rire comme dans la BD, de l'effet comique que leur propre obsession à être Calife à la place du Calife est sans objet ni effet face à un Calife tellement débonnaire puisqu'il n'existe pas, et que ce sont elles-eux qui perdent du temps à s'agiter pour rien...
Philippe Gastrein,
Cahors,
01/04/2018
5 commentaires:
Oh , c'est tout à fait ça, tu as raison Philippe , rien ne sert de s'énerver,l'humour ouvre toutes les portes .......
Juste bravo ! Excellent article aussi bien sur le fond que sur la forme. La métaphore avec la BD est lumineuse.
Brillant point de vue sur la situation de la France Insoumise. JLM n'est pas le Calife, c'est même à ce motif qu'il est la cible des attaques. Les points de vue argumentés qu'il donne sont toujours, certes le fruit de sa réflexion personnelle, mais aussi le résultat des élaborations collectives d'un groupe sans chef. C'est difficile à supporter en interne et inqualifiable pour l'opposition politique traditionnelle. Un mouvement qui ne veut exercer le pouvoir que de surcroit, après avoir collectivement travaillé sa position, voici qui est intolérable.
Excellent papier qui résume parfaitement ce que j'essaie d'expliquer autour de moi. Merci
Il n'y aurait donc que des Iznogouds, des grincheux, des semeurs de zbeul ... qui déploreraient les manquements démocratiques au sein de la FI, les directions politiques autoproclamées et cooptées ? Ca en fait un sacré paquet à en juger par l'hémorragie militante que nous constatons tous dans nos départements . Mais cela ne semble pas te poser problème ... Mais, le parti (euh non, le mouvement ...) se renforce en s'épurant, pas vrai ?
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