Affiche électorale du parti fondé par le journal satyrique "Titanic"; "Port obligatoire de la burqa pour les nazis; cacher [leur] sales gueules]" |
Le
succés du populisme de droite, Alternative für Deutschland (AfD)
L’AfD
rentre pour la première fois au parlement fédéral, et se retrouve
être la troisième force en présence, avec 12,6% des voix et 94
députés, alors qu’elle n’existe que depuis 2013 et n’avait pu
alors rentrer au parlement en restant sous le seuil des 5%. Ses
slogans sont xénophobes sans masque. L’AfD fait ses meilleurs
résultats au Sud de l’ancienne RDA. Là où des partis
d’extrême-droite (NPD, Republikaner…) ont fait plusieurs percées
électorales depuis la réunification. L’AfD est même la première
force politique en Saxe. Ce sont les regions qui ont le plus
soufferts de la réunification. Les jeunes sont partis massivement
ailleurs en allemagne. Des villes entières y sont désertées.
Cependant, l’AfD fait des scores supérieures à 5%, et souvent à
10%, partout en Allemagne. Les études sur les transferts de voix
(Sueddeutsche Zeitung, 26/09/2017) montrent que l’essentiel des
nouveaux électeurs de l’AfD sont des anciens abstentionnistes.
D’ailleurs l’abstention a perdu 5% (une participation de 76%
contre 71% en 2013). Viennent ensuite des électeurs de la CDU, du
SPD et de die Linke.
Non
seulement il existe en Allemagne un rejet des partis traditionnels,
en particulier de ceux qui à travers la Grosse Koalition (CDU + SPD)
ont appliqué la politique de précarisation des travailleurs (Hatrz
IV, en 2002 par le SPD). Mais surtout c’est uniquement à l’extrême
droite, à travers l’AfD et sa xénophobie qui profite pour
l'instant de ce moment populiste.
Retour
des libéraux, le vote protestataire des gagnants de
l’ultra-libéralisme.
La
chute de la CDU, à son plus bas niveau depuis 1949, ne s’explique
pas seulement par les gains de l’AfD. La FDP, parti ultra-libéral
qui avait perdu les deux tiers de ses électeurs en 2013, réalise le
quatrième meilleur score, avec 10,7% des voix. Ses nouveaux
électeurs viennent massivement de la CDU, mais aussi des anciens
abstentionnistes et du SPD. Son retour doit beaucoup à la
personnalité de Christian Lidner qui a pris des distances avec la
CDU et défendu un programme extrême-libéral. Il gagne des
électeurs dans les régions les plus riches du Sud de l'Allemagne.
La SPD
s’écroule.
Avec
20,5% des voix, les socio-démcrates allemands font aussi leur plus
mauvais résultat electoral depuis 1949. Ils payent leur
participation au gouvernement de grande coalition. Mais peut être
aussi leur obstination à defendre le fait d’avoir introduit la
dérégulation du marché du travail par la culpabilisation des
chômeurs. Schröder disait en 2003 pour justifier la loi Hartz IV :
« Eigenverantwortung fördern
und mehr Eigenleistung von jedem fordern »
(exiger plus de responsabilité personnelle, aider les compétences
de chacun); parmi les slogans du SPD en 2017 apparaît: „Kinder
fordern Eltern. Wir fördern Eltern“ (Les enfants réclament
[beaucoup] de leurs parents, nous encourageons/aidons les parents),
qui peut être lu comme une manière
d'adoucir la formule qui avait tant fait débat, mais aussi pour une
manière de l'assumer pleinement en continuant à jouer sur la corde
d'un moralisme qui culpabilise les plus faibles en premier.
Die
Linke perd à l’Est, se renforce à l’Ouest, mais n’apparaît
pas comme une réponse aux chaînes de revendications populaires.
Le
parti de Gauche, résultat de la fusion des communists critiques de
l’Est et des socialistes opposés aux mesures liberales de la
période Schröder progresse faiblement, à 9,2 % (ce qui
représente un gain de 500 000 voix, amorties en pourcentage par la
hausse de la participation). Mais il recule dans tous les Länder de
l’Est, là où die Linke est souvent aux affaires, souvent en
coalition avec le SPD. Et de manière symétrique die Linke progresse
dans tous les Länder de l’ancienne RFA, passant partout la barre
des 5%.
De
nombreux anciens électeurs de die Linke sont passés à l’AfD. Ce
transfert concerne essentiellement l’Est. Parrallèlement les
nouveaux électeurs de die Linke viennent surtout de la SPD, et un
peu des Grünen. Die Linke continue à se normaliser à l’Ouest où
elle a longtemps eu du mal à dépasser les 5%, mais dont les
représentants sont en interne du parti les plus véhéments contre
le gouvernement de Merkel. Par contre, die Linke ne parvient pas à
incarner une proposition politique credible pour les colères des
victimes de la réunification et de son aggravation après la
déstruction des solidatrités sociales organisée par la SPD il y a
10 ans (ce qui est présenté aujourd’hui en France comme le fameux
“modèle allemande”).
Die
Grüne progresse légèrement aussi (8,9%). Il a été clairement
identifié pendant la campagne comme un parti potentiel de
gouvernement. C'est ce qui va se produire avec une alliance dite
« Jamaïcaine » (du drapeau noir _ CDU, jaune _
libéraux, et vert). Son électorat est resté relativement stable,
centré dans les grandes villes riches du Sud de l'Allemagne, et les
villes universitaires. Beaucoup d'électeurs écologistes ont
néanmoins voté die Linke cette fois-ci. Mais dans le même temps,
die Grüne a convaincu un grand nombre d'abstentionnistes et des
jeunes électeurs qui votaient pour la première fois.
Début
du moment populiste allemand
Mouffe
et Laclau décrive le moment populiste comme le moment où les élites
politiques ne réunissent plus la confiance des citoyens. S'il se
trouve une proposition politique qui fait la synthèse des
revendications contradictoires exacerbées à travers la populaition,
celle-ci se trouve en mesure de rassembler rapidement une nouvelle
majorité qui peut balayer les tenant de l'ancien système. La chute
historique du nombre de voix reccueillies par la SPD et la CDU (ils
réunissent à eux deux 53 % des voix) est le signe du désaveu
porté contre les deux partis qui ont gouverné le pays depuis la fin
de la Deuxième Guerre Mondiale. Le retour de la FDP, autour d'un
programme extrême-libéral et de la personnalisation de Christian
Lidner, pourrait constituer une forme de réaction des gagnants du
système, comme un petit Macron allemand. La faible progression des
Verts et de die Linke montre à la fois que les secteurs de la
population qu'ils représentent chacun, les classes moyennes
hautement éduquées qui ont le souci de l'avenir écologiquement
durable de leur environnement d'une part, et les victimes du « modèle
allemand » d'autre part, sont suffisamment exaspérés pour ne
pas venir au secours des grands partis hégémoniques CDU et SPD.
Personne ne parle néanmoins de convergence entre ces deux familles
politiques. Ce n'est pas dans ce versant progressiste de la politique
qu'est venu pour l'instant la proposition populiste qui fédère le
peuple. Malheureusement, comme longtemps avec le FN en France, c'est
ceux qui accusent les étrangers d'être la cause des malheurs de
chacun qui obtiennent un succès électoral. Par contraste, on peut
apprécier la réussite politique que constitue la France Insoumise,
qui est parvenu à réunir aussi bien les jeunes et les urbains
éduqués, qui auraient voté Grüne outre-rhin, et les travailleurs
syndiqués et les chômeurs qui auraient votés die Linke.
26/09/2017,
Hannovre.
Philippe
Gastrein
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