Cet article fait suite à une discussion que j'ai eu avec David Hernandez Castro, animateur des écosocialistes de la région de Murcia, le 15 avril 2015.
- Philippe Gastrein
Alors que beaucoup d'entre nous sont persuadés du succès certain de
Podemos dans les mois à venir, plusieurs signes indiqueraient plutôt
que sa dynamique est entrain de s’essouffler, voir de refluer. Pour
David, la marche pour le changement, dans les rues de Madrid,
convoquée par Podemos le 31 janvier dernier aura été son chant du
cygne. Un an plus tôt, les participants d'une marche semblable
convoquée par le mouvement social (les « marées ») se
comptaient en million, et non en centaines de milliers. Les résultats
aux élections régionales d'Andalousie, de 15 %, sont bien
inférieurs à ce qu'escomptait la direction de Podemos : autour
de 25 %. Aujourd'hui les intentions de vote de Podemos sont en
baisse, et il serait heureux si Podemos conserve 15 % des
suffrages quand les élections générales arriveront en novembre ou
en janvier prochain.
Pour David, ces difficultés de Podemos, voire son reflux,
s'expliquent par les contradictions propre à Podemos, dont il
m'avertissait depuis l'été dernier. On peut synthétiser ces
contradictions en deux choix stratégiques : a) une organisation
très hiérarchisée et centralisée autour de Pablo Iglesias et b)
le refus d'assumer un discours « à gauche » et de
proposer une idéologie. David résume avec ironie ces positions par
le « centralisme cybercratique ».
a) Une organisation hiérarchisée et centralisée
Dès après les élections européennes de 2014 où Podemos avait
fait la surprise, obtenant 8 % des suffrages, et 5
eurodéputé.e.s, en seulement 5 mois d'existence, le projet de Pablo
Iglesias annonçait une volonté d'un exécutif resserré, en
opposition avec un projet de parti alternatif, porté par des membres
d'Izquierda Anticapitalista (NPA espagnol), qui était plus
horizontal. La fondation en parti de Podemos au cours de l'automne
2014 va confirmer ces orientations, avec des statuts ne laissant
aucune place à un éventuel courant minoritaire dans l'exécutif.
Cette forme d'organisation est en contradiction avec les attentes de
la majorité de ceux qui y adhèrent, puisque ceux-ci viennent pour
beaucoup du Mouvement 15M (Indignés), ou en tout cas pensent
rejoindre ce qui en serait la continuation. Cette fausse perception
est d'ailleurs celle qui domine parmi nous en France. Malgré le
succès des « cercles », organes de rencontre et
d'organisation locaux de Podemos, les statuts du nouveau parti ne
leur donnent quasiment aucun pouvoir décisionnel. Les décisions des
militants qui s'engagent concrètement sur le terrain, consacrent du
temps aux réunions, etc. sont court-circuités par des référendums
sur internet. Or le nombre d'adhérents de Podemos (adhésion
gratuite) étant supérieur de 100 voir 1000 au nombre de militants
de terrain, les débats qui peuvent avoir eu lieu en assemblée
comptent pour rien dans les décision finale validées par des votes
par internet. Plus pervers, le poids médiatique de Pablo Iglesias
est tel qu'il peut remporter la décision par ses seules consignes de
vote, quelque soit l'implication militante des militants locaux. Des
situations de ce type se sont produites déjà à plusieurs reprises,
notamment à Murcie même, où la candidate aux européennes désignée
par les cercles locaux s'est faite remplacée par une proche
d'Iglesias, inconnue localement.
Il se trouve que David porte une grande estime personnelle à Pablo
Iglesias, et ne doute pas de son engagement à gauche. Pour autant,
le pouvoir corrompt, même les meilleurs. Surtout, ce « centralisme
cybercratique », s'il se pérennise, induira, pour les futures
structures politiques qui l'adopteront, un fonctionnement basé sur
le charisme des personnalités politiques, semblable aux primaires de
type étasuniennes, où gagnera le plus doué à appliquer un bon
marketing politique. Déjà en Espagne, on voit un renouvellement des
porte-paroles des différents courants politiques, pour mettre en
avant des jeunes, avec belles gueules et joli bagout…
La conséquence concrète de cette organisation pour Podemos,
c'est la faiblesse, voire l'absence, de son réseau de militants
locaux. En fin de compte, Podemos se résume à un petit cercle
d'universitaires, pour beaucoup experts en Sciences Politiques. Cette
faiblesse du militantisme est entre autre la conséquence de
l'absence d'ouverture pour des minorités organisées. Pour rentrer
dans Podemos, il faut abandonner ses appartenances partidaires
précédentes. Plus encore, il est interdit de créer dans Podemos
des cercles qui reproduiraient des associations préexistantes. Du
coup, pour un militant aguerris d'une des différentes organisations
de gauche, le choix se limite à soit rester hors de Podemos, soit y
entrer en se dissolvant dans une masse où la parole d'Iglesias à un
poids hégémonique, tout au plus est-il possible d'y être un
partisan démonstratif d'Iglesias pour exister… L'autre cause de ce
manque de militantisme est la faiblesse, pour ne pas dire l'absence,
de formation politique au sein de Podemos. Elle se limiterait à une
formation à l'utilisation des nouvelles technologies.
Cette faible formation politique proposée aux adhérents de Podemos
répond d'ailleurs au choix stratégique assumé de ne pas cliver
dans le discours.
b) Refus d'assumer un discours idéologique clivant.
L'intention derrière ce choix stratégique est d'attirer les
électeurs traditionnels du PP (parti conservateur, largement
héritier du franquisme) et du PSOE. Au niveau stratégique, on pourrait reconnaître des parallèles avec ce qui a fait le succès du Front National en France. Il s'agit de
se dire ni de droite, ni de gauche, pour viser une majorité
populaire. Pour autant, dans la culture politique des porte-paroles
de Podemos, il n'y a aucune ambiguïté avec l'extrême droite.
Seulement, leur refus d'assumer une idéologie, d'assumer même une
polarisation à gauche, conduit à renoncer à toute éducation
populaire, ce qui rend leur électorat volatil. Volatilité qui
semble se confirmer en ce moment même au profit d'un mouvement aux
racines clairement droitières : « Cuidadanos »
(citoyens).
Ni de droite, ni de gauche.
En effet Podemos refuse de se dire de gauche. Il parle de « caste »
et de « peuple ». S'il met en avant quelques mesures qui
pour des gens politisés sont clairement de gauche, il insiste
surtout sur le renouvellement des pratiques politiques. Cette
stratégie a fonctionné jusqu'à présent, principalement grâce à
l'aide apportée par le monde médiatique, qui pensait ainsi
affaiblir Izquierda Unidad (IU, l'équivalent du Front de Gauche,
sans équivalent du Parti de Gauche, et donc avec un PCE tout à fait
hégémonique au milieu d'une galaxie de micro-partis, souvent
régionaux). Seulement maintenant que Podemos apparaît comme un
candidat sérieux au pouvoir, les médias se sont retournés contre
lui, l'attaquent de la même manière infamante que nous connaissons
un peu partout. Mais surtout, les média soutiennent un nouveau
mouvement, « Cuidadanos », qui, avec un objectif non
affiché, mais connu, clairement ultra-libéral et réactionnaire,
joue sur le terrain de Podemos de la promotion des nouvelles manières
transparentes de faire de la politique. Cuidadanos en quelques
semaines d'existence réuni 10 % des suffrages aux élections
régionales d'Andalousie, et ne cessent de monter dans les sondages,
alors qu'on assiste à un reflux de Podemos. Vraisemblablement les
électeurs du PP qui avaient été attirés pas Podemos se tournent
vers Cuidadanos, dès que la possibilité leur en est donnée. Ce
faisant, la crédibilité de Podemos diminuant, on peut s'attendre à
ce que nombre d'électeurs traditionnels du PSOE retournent à leur
vote habituel… Il faut indiquer aussi ici que si IU a vu son
ascension dans les sondages avant les Européennes stoppée par
l'arrivée de Podemos, elle garde depuis une base de 8-10 %
d'intention de vote (8 % aux élections d'Andalousie), plutôt
stable.
Aucune lisibilité pour la gauche anti-austéritaire pour les
élections locales de mi-mai.
En terme de stratégie d'alliance, le refus de Podemos de se situer à
gauche l'a conduit à refuser tout rapprochement avec IU. Cela a
conduit à des situations d'une extrême confusion, en particulier
dans la préparation des élections municipales et régionales qui
sont prévues pour la mi-mai. Premièrement Podemos, n'ayant pas de
force militante crédible localement, a refusé de s'engager dans les
élections municipales (il aurait été fréquent sinon de voir des
ex-PP admirateurs d'Aznar devenir tête de liste de Podemos dans
nombre de petites et moyennes communes). Ensuite, pour les grandes
villes, et pour les communautés autonomes, pour répondre aux
demandes pressantes de sa base, Podemos a posé des conditions
strictes à toute participation électorale. En particulier, le refus
de voir nul part accolé les sigles de IU et de Podemos. Du coup se
sont créés des intitulés disparates, qui ont ensuite été
victimes des dissensions entre partenaires, de dépôt de marque par
des adversaires, etc. En fin de compte, aucun nom identifiable ne
réunit pour les prochaines élections toutes les organisations de
gauche opposées à l'austérité. On trouve même le même nom
utilisée par des organisations concurrentes dans des municipalités
voisines (« Cambiemos » soutenu par IU contre podemos
ici, et soutenu par Podemos contre IU juste à côté…, « Ahora
Madrid », « Ganar », etc.).
Enfin, le phénomène Podemos a aussi induit un désengagement du
mouvement social qui a été pourtant si puissant l'an passé.
Partout s'est installée la conviction que la solution aux
difficultés communes viendra d'une prise du pouvoir prochain dans
les institutions. Dans la gauche espagnole, nous sommes en somme
passé d'un extrême à l'autre : de la conviction portée par
les « indignés » que c'est uniquement par les mouvements
sociaux, organisés horizontalement que viendra le changement
nécessaire au dépassement de la crise sociale et économique, à la
conviction portée par Podemos qu'il faut en priorité obtenir le
pouvoir dans les institutions pour insuffler d'en haut, avec les
meilleurs, le changement de toute la société.
Vers un reflux de Podemos ?
En fin de compte, le présupposé philosophique de Pablo Iglesias
explique ses choix stratégiques. Il s'inscrit dans la continuité de
Platon : le bon gouvernement est celui des meilleurs. C'est ce
qui pour lui justifie d'encadrer Podemos par un cercle restreint et
cohérent d'universitaires, la plupart collègues dans les mêmes
départements de Sciences Politiques. C'est aussi ce qui explique la
méfiance vis à vis des choix collectifs qui pourraient émerger des
cercles.
Cependant ces choix risque d'être lourd de
conséquence pour la gauche espagnole.
En terme stratégique, la « caste » reprend la main en
utilisant la stratégie même de Podemos, et faisant apparaître
« Cuidadanos ».
La situation économique dans les prochains mois ne va pas jouer en
faveur de l'argumentaire de Podemos. Elle va certainement se
stabiliser momentanément. Beaucoup vont se laisser persuader que les
choses vont mieux, que les sacrifices auront été utiles. D'autant
plus que beaucoup se sont finalement habitués à la précarité, à
accepter des travaux pour des salaires et des horaires qui auraient
paru scandaleux il y a 4 ans, et qui paraissent aujourd'hui comme une
chance…
Surtout la fragilité militante de Podemos le rend vulnérable
à une action déterminée et synchronisée d'un petit groupe de
militant extérieur. Cette situation a été illustré à
Murcie-ville ces dernières semaines. L'alliance entre IU et Podemos,
du nom de « Cambiemos », a été actée aux
conditions de Podemos : l'organisation de primaires absolument
ouvertes, sans garantie préalable sur une représentation minimale
des différentes organisations qui soutenaient la démarche. Les
cadres de podemos s'y sont présentés sûrs d'obtenir les meilleurs
résultats. Les cadres de IU, militants aguerris, ont fait une
campagne de terrain dans les réseaux du mouvement social avec toute
leur expérience. Ce sont finalement des militants IU qui raflèrent
les 4 premières places de la liste. Face à ce résultat tout à
fait inattendu, IU elle-même proposa de cèder ses places à
Podemos. Mais ce fut la direction locale de Podemos qui refusa
cet arrangement. Du coup Podemos à Murcia s'est scindé entre ceux
qui continuent à soutenir Cambiemos, et ceux, surtout parmi les
cadres, qui refusent le résultat de la primaire, ajoutant à la confusion… Un tel événement
pourrait se produire partout en Espagne pour Podemos.
La situation politique n'est pas pour autant désespérée pour la
gauche anti-austéritaire en Espagne. Pour David, la porte de
sortie à cette impasse se trouve dans le rapprochement de Podemos
avec IU. Les appareils des deux organisations sont très
antagonistes. Mais IU est en crise depuis la création de Podemos. En
particulier, des groupes proches de Podemos, autour de Tania Sanchez,
sont sortis d'IU et sont entrain d'organiser une association
politique pour les élections municipales à Madrid (« Ahora
Madrid ») qui pourrait à terme jouer le rôle de pont entre
Podemos et IU. Il faudrait cependant que Podemos se décide à
polariser son discours, et que le PCE cesse de vouloir contrôle de
manière hégémonique IU ou les alliances électorales qu'il
soutient.