-- Traduction: Philippe Gastrein
en castellano: aqui.
Chères
ami-e-s,
De
la part des écosocialistes de la Región de Murcia, nous souhaitons
vous manifester le grand intérêt que nous portons au processus de
convergence écosocialiste qui vous avez convoqué en France. Nous
sommes très fiers que vous nous ayez invité à participé à une de
vos assises [décentralisées de l'écosocialisme], et nous vous
promettons que nous essaierons de diffuser votre travail et l'esprit
de la constitution écosocialiste que vous êtes en train de
promouvoir avec le soutien du Parti de Gauche, et de plusieurs autres
collectifs qui nous accompagnent dans la lutte pour la justice
sociale et l'environnement. Mais avant de continuer, permettez-moi de
vous transmettre notre très profonde solidarité devant la mort du
jeune Clément Méric, qui est la dernière victime de ceux qui
veulent livrer le monde à la haine et aux cendres. Clément Méric
n'est plus seulement un citoyen français. Il est devenu le
porte-parole universel du rappel à l'Europe que le fascisme n'est
pas seulement une chose qui appartient au passé, mais une menace
réélle pour notre futur. La seule manière de vaincre le fascisme,
c'est la solidarité des peuples.
Ecosocialistas
de la Región de Murcia
« Ecosocialistas
de la Región de Murcia » est un parti politique qui fait
partie de Izquierda Unida. Nous nous sommes fondés en 2011, et notre
implantation est la région de Murcia, dans le sud-est de l'Espagne,
entre les communautés autonomes d'Andalousie et de Valence. Nous
sommes donc une formation politique très jeune, mais nous avons une
représentation institutionnelle, à travers IU, dans plusieurs
communes de la Région de Murcia. Nous sommes au gouvernement de la
mairie de Mazarron, où notre camarade David Fernández est
actuellement conseiller à l'environnement et à la participation
citoyenne. Dans notre parti, nous avons des activistes importants
dans les domaines sociaux, syndicalistes et écologistes. Certains de
nos camarades ont participé à la fondation de la « plateforme
des victimes de l'hypotéque » (PAH), qui est à la tête de la
lutte contre les expulsions, un terrible fléau dans notre pays, où
déjà plus de 120 suicides se sont produits en lien avec les
expulsions, et où une famille se fait expulser de son logement tout
les 15 minutes. Murcia est une région particulièrement concernée
par la bulle immobilière : grâce au soutien du Parti Populaire
[parti rassemblant la droite depuis l'extrême droite héritière du
franquisme jusqu'au « centre-droit »], notre zone côtière
a été assaillie par les grandes entreprises de BTP, et notre
système d'irrigation traditionnel de la huerta
de Murcia a été systématiquement démantelé pour y construire à
la place des grands lotissements, avec terrains de golf inclus. La
région de Murcia possède des conditions extraordinaires pour la
production agricole, et un savoir-faire traditionnel hérité des
siècles passés pour la gestion durable de la terre et la production
écologiste. Mais la cupidité de quelques uns a aboutit à la
spoliation d'une grande partie de notre huerta,
et
à un grand péril pour les zones protégées de notre littoral.
Nous, les écologistes, avons lutté durant 11 années pour arrêter
un des grands projets du gouvernement régional, qui consistait en
l'urbanisation de 11 500 hectares de paysages côtiers de «Marina
Cope », où se trouvent 17 habitats communautaires, 16 espèces
protégées de la flore et plus de 80 espèces de la faune locale,
dont la tortue maure, et des variétés de rapaces comme le hibou
royal. Après 11 années, nous avons remporté cette bataille, grâce
au jugement du tribunal constitutionnel qui est tombé en faveur des
demandes des écologistes. C'est la seconde fois en 40 ans que les
écologistes sauvent ce magnifique espace protégé. La première
fois a été dans les années 1970, quand le gouvernement a voulu y
installer une centrale nucléaire. A l'époque déjà nous avions
réussi à l'arrêter. Je vous raconte cette histoire, camarades,
parce qu'il convient de se souvenir que l'histoire n'est pas écrite,
nous l'écrivons avec nos luttes, et l'échec des puissants lobbys de
l'énergie nucléaire et de la construction qui se sont briser deux
fois contre Marina de Cope, témoigne qu'un autre monde est possible.
On peut. Si on peut.
D'autres
ecosocialistes en Espagne
En
Espagne, il y a différents courants politiques qui se dénomment
« écosocialistes ». Le plus ancien est « l'initiative
pour la catalogne-Verds » (ICV), qui ont été des membres
historiques des Verts européens, mais qui ont rejoint aussi
Izquierda Unida aux élections territoriales. Récemment un parti
politique s'est constitué au niveau de l'état espagnol, EQUO, qui
est la synthèse de différents partis politiques verts, et que
certains identifient avec les valeurs écosocialistes. Cependant, en
Europe, ils gardent une alliance stratégique avec les Verts
allemands, et, bien que nous respections les camarades de EQUO, et
que nous désirions que leur projet politique fonctionne, nous
pensons que les Verts allemands ne représentent pas aujourd'hui
l'alternative écosocialiste dont l'Europe a besoin, une alternative
qui ne s'oppose pas seulement aux centrales nucléaires, mais aussi
aux guerres impérialistes, à l'Europe du capital, et aux attaques
contre les conquêtes de la classe des travailleurs. C'est pourquoi
nous pouvons nous reconnaître dans le Manifeste français des
Assises pour l'Ecosocialisme. Nous allons débattre de ce document,
et nous voulons initier un processus de convergence en Espagne
similaire à celui que vous avez initié en France.
Sur
la Démocratie Radicale
Nous
avons beaucoup de choses à partager avec vous. Mais il y a un
aspect où il nous semble que notre contribution peut être la plus
intéressante. Notre organisation écosocialiste se définit autour
de deux principes : la démocratie radicale et l'écologie
sociale. C'est autour de la démocratie radicale qu'il nous semble
que votre manifeste pourrait obtenir une meilleur définition. Nous
pensons que la démocratie radicale n'est pas seulement un objectif
pour le futur, un objectif que nous atteindrons quand nous aurons
réussi à déterminer la planificación démocratique des
ressources. Ce serait une vision étroite de ce que la démocratie
signifie. En réalité, ce serait s'emprisonner dans la même logique
instrumentale qu'ont eu historiquement les partis de la gauche
alternative qui se sont caractérisés par la pratique d'un divorce
entre les objectifs qui prétendaient poursuivre et la manière avec
laquelle ils s'organisaient pour lutter pour ces objectifs. La racine
de cette forme d'organisation est le centralisme démocratique, qui
rompait avec la tradition politique d'organisation « assembléaire »
qui remontait à la Première Association Internationale des
Travailleurs. Depuis donc, et sauf quelques exceptions historiques,
les formes d'organisation en assemblées sont restées restreintes au
milieu anarchiste et libertaire, pendant que les sphères politiques
du socialisme et du communisme s'organisaient à travers des
structures représentatives d'organisation politique.
L'histoire
personnelle de chacun d'entre nous est liée, majoritairement, de
l'engagement militant dans des organisations politiques historiques.
Notre proximité avec la forme de travail dans ces organisations a
fait qu'il nous est difficile de prendre conscience de l'énorme
contradiction qui s'introduit entre les fins que nous recherchons et
les moyens que nous utilisons pour les atteindre. Nous voulons une
société socialiste, où les travailleurs seraient les propriétaires
des moyens de production, et où les décisions sur le destin de la
communauté seraient adoptées de manière démocratique par ceux qui
en font partie.
Souvent,
quand le gouvernement de la nation approuve une loi injuste, nous
initions une campagne pour que cette loi soit soumise à référendum
entre les citoyens. Nous exigeons que les représentants politiques
puissent être révoqués à tout moment par leurs électeurs. Nous
voulons que la citoyenneté fasse partie de manière inaliénable du
processus de planification démocratique des secteurs stratégiques
les plus importants : l'éducation, la santé, l'économie. Et
cependant, en même temps que nous nous battons pour ces causes, nous
militons dans des organisations politiques qui sont organisées de
manière hiérarchique, qui réunissent des congrès une fois tout
les quatre ans, qui élisent leurs responsables politiques de manière
indirecte, qui prennent leur décisions les plus importantes non pas
à travers de consultations ou de référendum internes, mais
derrière des portes fermées des organes de direction. Et cela nous
semble normal. Nous croyons que nous sommes démocratiques
participatifs parce que nous défendons la démocratie participative.
Mais ce n'est pas le cas. Dans une certaine occasion, El Che Guevara
a dit qu'un révolutionnaire est celui qui fait la Révolution. Nous
pourrions ajouter : ce n'est pas en parlant de la démocratie
participative que nous deviendrons plus démocratiques et
participatifs, mais en la pratiquant. La démocratie est un sagesse
de caractère pratique. C'est une constatation que les anciens
savaient déjà, et qu'Aristote traita quand il écrivit que la vertu
ne peut pas s'apprendre théoriquement, mais pratiquement, et qu'il
ne s'agit pas de savoir qu'est ce que la vertu, mais de savoir
comment être vertueux. Donc ce que nous disons, c'est que le vrai
problème n'est pas tant de savoir qu'est-ce-que la démocratie
participative, mais de devenir, nous-même et la société, des
citoyens conséquemment démocrates et participatifs.
La
democratie est une fin en soi
Ce
que je pense, c'est que dans la réponse à cette question se joue le
futur de la gauche européenne. C'est ainsi parce que nous nous
trouvons à un carrefour que nous avons déjà rencontré au Xxème
siècle. Ce n'est pas la première fois que nous subissons une crise
mondiale. Et ce n'est pas non plus la première fois que suite à
cette crise les classes opprimées parviennent à porter au pouvoir
certaines de leurs organisations politiques. La question que nous
devons nous poser est pourquoi ces expériences historiques ont
échoué, et qu'est-ce-que nous pouvons faire pour éviter que
l'histoire se répète au XXIème siècle. Pour nous, la clef se
trouve dans la démocratie radicale, mais par seulement parce qu'elle
serait une manière plus juste d'organiser le travail politique, mais
parce c'est sur le terrain de l'organisation, de la forme avec
laquelle nous construisons nos relations sociales, où se livre la
bataille de la conscience. Contrairement à ce que pensent certains,
ce n'est pas en lisant des livres que l'on devient socialiste. Sans
doute, dans une certaine mesure, lire des livres aide beaucoup. Tout
le monde devrait en lire. Mais c'était en lisant des livres qu'on
devenait socialiste, comment expliquer que Dominique de Villepin
proposa une facilitation des licenciements [CPE] quand il était
premier ministre, et comment expliquer que nous connaissons tous des
camarades qui sont beaucoup plus socialistes que nous-même alors que
la vie ne leur a pas donné l'opportunité d'accéder aux études.
Ceci, qui est une évidence, a été ignoré de beaucoup de
dirigeants historiques de la gauche, qui ont formé une sorte de
technocratie politique, valorisant la capacité et la qualité de
l'engagement militant en fonction de son curriculum académique.
Curieusement, ceci n'est jamais arrivé à Karl Marx, pour qui il a
toujours été clair que pour autant que la lecture de ses livres
aiderait, ce qui produirait réellement la prise croissante d'une
conscience socialiste parmi les travailleurs serait l'association des
travailleurs eux-mêmes.
Prenons
un exemple : quel livre pouvons-nous lire pour apprendre à
jouer de la guitarre ? Sans doute y-a-t-il de nombreux manuels
de qualité. Mais tout le monde rirait de la personne qui prétendrait
apprendre à jouer de la guitarre en s'enfermant dans une
bibliothèque avec un manuel. Pour apprendre à jouer de la guitare,
il n'y a qu'une manière : jouer de la guitare. Et la même
chose est vraie pour d'autres compétences pratiques. Nous apprenons
à faire du vélo en faisant de vélo. A nager en nageant. Ceci est
vrai aussi avec les passions, et aussi avec les valeurs politiques
comme la vertu républicaine. Nous apprenons à aimer en aimant ;
à être solidaire en pratiquant la solidarité ; et à être
républicain en menant une vie républicaine.
Ce
semble être compliqué, mais en vérité, cela ne l'est pas du tout.
Quand nous nous organisons pour faire ou décider des choses, notre
activité se déploie dans deux sphères distinctes. D'un côté, il
y a la dimension de la pratique concrète : nous nous
réunissons, par exemple, pour discuter sur l'écosocialisme, ou pour
décider quel sera la prochaine action revendicative. Mais d'un autre
côté, dans le même temps qu'on réalise cette pratique concrète,
il y a des valeurs précises qui s'inscrivent dans notre conscience.
Au début, nous nous réunissons pour parler de l'écosocialisme, ou
pour prendre une décision quelconque, mais durant le déroulement de
cette réunion, nous allons nous rendre plus solidaires et
participatifs. Arrive un moment où le résultat de notre
délibération est le moins important : le plus important est
que le fait de nous réunir nous a transformé en personnes plus
sociables et plus solidaires, plus intéressées dans le destin de
nos camarades, et aussi, plus experts dans la prise de décision. Il
se peut que dans certains cas concrets nous nous trompons, mais se
dont on ne peut pas douter, c'est que plus on participe à la prise
de décision, mieux on apprend à prendre des décisions. Les vertus
et les passions sont des qualités auto-amplificatrices : on
apprend à mieux jouer de la guitare en jouant plus de guitare ;
on aime mieux plus on aime ; et on devient plus solidaire quand
pratique plus la solidarité.
Donc,
la démocratie participative est une fin en soir. Le simple fait de
participer, de s'impliquer dans la gestion de questions qui
concernent tout le monde, de se réunir avec les camarades pour
établir les priorités et les besoins de l'organisation et de la
société, nous réalise comme personne, nous rend meilleurs, nous
éduque dans ces valeurs de convivialité que la société du
spectacle a relégué dans le dernier recoin. Participer, partager,
coopérer, nous rend responsables et solidaires. Au contraire, la
délégation instaure la culture de la passivité et de l'égoïsme.
La délégation corromps la démocratie.
Sur
la Democratie Ecologique
De
plus, et pour conclure, il y a aussi une dimension écologique dans
la participation démocratique. Il y a un principe en biologie qui
relie la variété réelle des populations avec leurs possibilités
de s'adapter à l'environnement, et donc de survivre. Non pas que
nous devions importer aux relations sociales les principes
d'organisation de la biologie évolutive. Mais nous pensons que dans
ce cas concret notre forme politique d'organisation sortirait
renforcée si nous prenions en compte ce principe. Il s'agit de
considérer que l'ecosystème politique qui favorise le plus la
gauche, ce n'est pas la lutte des organisations politiques de la
gauche entre elles, mais l'articulation de formes d'organisation
démocratiques plus riches et complexes, où les organisations et les
tendances de la gauche peuvent déployer leur identité politique
sans avoir à se rivaliser les unes contre les autres. Au contraire
de ce que certains pensent, ce qui renforce une organisation
politique, ce n'est pas une forme d'unité qui élimine les
différences, mais une forme d'unité qui encourage la diversité.
Les conditions sociales et politiques sont dans un processus constant
de transformation, et plus les ressources politiques des
organisations sociales sont variées, meilleure sera les capacités
d'adaptation aux nouveaux défis du système. Nous faisons le pari de
l'organisation d'un large front, parce qu'à l'intérieur de valeurs
communes, nous sommes convaincus que la diversité des identités
politiques favorise la prise démocratique de décisions. Le Front de
Gauche est un bon exemple que cette idée peut donner des résultats
très positifs. Pour cette raison, et pour d'autres sur lesquelles
nous pourrions nous étendre, quand nous parlons de démocratie, nous
parlons aussi de démocratie écologique. Le principe du respect de
la diversité que nous défendons pour l'environnement fonctionne
aussi à l'intérieur de nos organisations politiques.
Merci
beaucoup.