- que le Coran condamne fermement le proxénétisme (sourate XXIV, verset 33),
- et que la colonisation française en terre musulmane à encourager la prostitution pour le profit de quelques exploiteurs et pour le maintien des « bonnes moeurs » des armées, quitte à organiser elle-même la traite, et à y compromettre des notables locaux.
« L'islam (…) maintient et sanctionne des interdits. (…) Il ne sonde pas non plus les coeurs, il se contente de brandir la liste des signes d'impureté rituels et sociaux, la liste des métiers impurs, qui privent leurs membres de pouvoir témoigner. (…) On y trouve (…) les proxénètes patrons de maisons closes.
La France (même chrétienne hélas) a un faible pour les proxénètes, elle a refusé d'adhérer à la convention internationale de 1949 [elle le fera en 1960]: qui les mets hors la loi, d'accord en cela avec l'Islam. Peut être espère-t-elle, avec Léon Bloy que l'héroïsme national peut les racheter, tel Denard à Djibouti; et même, qui sait, les faire canoniser. Mais l'Islam, plus naïf que nous, doit s'en tenir au témoignage formel, à la récitation du Coran, ce recueil bien biblique d'interdits et d'anathèmes dont les missionnaires européens n'arrivent pas à faire taire la voix. Et il y est dit dans la sourate de la Lumière XXIV, verset 33: « Lâ tukrihû' fatayâtikum 'alä' lbighâ. »; « Vous ne louerez pas vos esclaves par contrat de prostitution. »
On peut m'objecter, comme pour l'interdiction de l'homicide édictée par le Décalogue, que les commentateurs ont réussi à merveille à tourner ce verste. Mais le malheur, c'est que le Coran n'est pas un code muet pour archives, mais un témoignage oral qui hurle quand on l'avale.
Et, au Maroc, il crie, hélas, contre la non-application par notre faute de la loi métropolotaine de 1946 contre les maisons closes, hypocritement motivée par le prétexte de la non-abolition, au Maroc, de l'esclavage, mais familial, et, avec cela, il réprouve la prostitution réglementée. Je me souviens encore du scandale offert aux Musulmans de Beyrouth par le général Gourraud décorant un trafiquant-chef, M.R..., pour avoir donné du coeur au ventre de l'armée du Levant (sic). Je me souviens de cette jeune femme dont j'avais été le témoin à son mariage, kidnapée, retour d'Alep, à Marseille, et livrée à une « maison » par un policier-agent électoral, qui ne put être coffrée. Je me souviens de cette autre femme, une Berbère musulmane, de Beni-Mellal, qu'on entendit, à mon passage, en 1923, appeler en vain le cadi au secours, tandis que son mari la vendait au marché des vieilles casseroles, contrairement au Coran, mais conformément (m'avouait le commandant Tarrit) à « notre » Dahir berbère mettant sa tribu d'origine hors la loi coranique.
Il ne s'agit pas ici de justifier l'Islam pour l'injustice de ses moeurs envers les femmes sur d'autres terrains, _mais de constater que c'est la colonisation européenne qui est responsable de la création méthodique des maisons closes en terre d'Islam. Tel Allenby en 1917 à Jérusalem, alors qu'inquiet des progrès de l'homosexualité dans ses troupes, il infligea à la Ville Sainte la honte sans précédent de cette institution prohibée par la Bible « ve lo yehye qedesch... ». En fait, elle paraît historiquement connexe à la levée des armées permanentes (sans femmes à la suite). Le paternalisme casernier des chefs militaires considère le proxénétisme comme une « force supplétive » indispensable aux services d'intendance, je l'ai observé dans la Coloniale, où j'ai fini comme chef de bataillon. Ils confient en outre, aux profanes, que c'est pour éviter le pire, l'homosexualité, ce cancer inavoué de l'armée d'Afrique, repéré par Foucauld à Mascara et par Psicharir à Atar. En tout cas, c'est au Maroc que l'érection d'immense « bousbir » dans les villes de garnison a bénéficié des complicités d'urbanisme les plus hautes (cf. Agadir). Et non sans calculs politiques, s'il est vrai que la rupture funeste du sultant avec la Résidence dérive de l'échauffourée sanglante ourdie en 1947 au « bousbir » de Casablanca, pour liquider Eirik Labonne.
Et cette question de l'utilisation du « bousbir » militaire m'amène au pacha de Marrakech. Que ce haut fonctionnaire, décoratif et décoré, ait été patiemment préparé à émerger comme témoin de moralité pour « témoigner » de l'indignité du sultant, _ qu'on l'ait compromis pour cela dans un enchaînement financier qui rappelle étrangement le scandale indochinois de la piastre, cela est du style classique « bureaux arabes ». Mais qu'on ait ignoré le droit musulman au point de disqualifier d'avance un « témoin » aussi précieux en l'encourageant à perfectionner le rendement (hors « quartier réservé », domaine hélas, de Français), taxes contraires au Coran, _ c'est là un oubli inattendu, qui révèle à quel cynisme administratif les Musulmans du Maroc sont livrés par une métropole qui s'obstine à négliger son devoir essentiel outre-mer: réprimer les abus, nazar al-mazalim, comme on dit en droit musulam.
La traite des femmes est, on le sait, le trafic le plus rémunérateur et le plus sûr, la non-application e la loi de 1946 au Maroc donnant conscience nette à nos trafiquants de là-bas, il s'agissait de calmer les scrupules de conscience musulmane chez le pacha, en usant du magnifique escamotage des responsabilités légales que constitue la loi française des sociétés anonymes, dont les proxénètes bénéficient depuis toujours en France (surtout depuis la circulaire Peyroutou du 24 décembre 1940, d'un cynisme ingénu). Dès 1933, la Société d'Urbanisme fondée pour un Yoshiwara de 6000 pensionnaires au Guelliz s'assurait une participation de 50 millions du pacha; et, à l'échec, en 1936, les hauts protecteurs du pacha actionnèrent le Parlement pour la lui faire rembourser par la Caisse des Dépôts et Consignations. D'autres participations plus durables suivirent, grâce à la concentration des capitaux français de la traite au Maroc, et confirmèrent le pacha dans ce rôle de « couverture » musulmane et marocaine d'un consortium anonyme, assez puissant pour l'accréditer à Paris, dans la haute finance et le Parlement. Ce témoin disqualifié est devenu « l'ami de la France », précieux, indispensable, qu'on essaya de faire figurer au Couronnement à Londres, à l'Académie, au dîner d'un « catholique aveuglé » (je lui restitue ce qualificatif, dont il nous décore dans ses communiqués de presse _ le Monde, 28 juillet, Témoignage Chrétien, 28 août), président du Conseil du Canal de Suez, au pauvre Livre d'Or du Conseil Municipal de Paris. »
Ouvrage cité: « Les rouages secrets de la prostitution réglementée » M. Legrand-Falco, 2° édition, Paris, 1936, p.18-19.
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